La photographie politique recouvre plusieurs aspects dans la presse. Parmi ses différents visages, on trouve la photographie de campagne : celle de politiques sur les marchés, en visite d’usines ou en meeting, à la conquête de l’opinion publique. Ce type de photographie qui alimente quotidiennement les journaux et les sites internet est en fait un exercice très précis réalisé par les photographes. Quels en sont les enjeux ? Comment garder son rôle de journaliste dans une opération de communication politique ? Réponses avec trois photojournalistes : Hugo Aymar, Corentin Fohlen et Sébastien Calvet.
« Tout est orchestré, verrouillé, quadrillé. C’est difficile de voir quelle information on peut apporter.» – Hugo Aymar
La photographie politique, une image ingrate et contrôlée
Hugo Aymar est un jeune photojournaliste. Quand il termine ses études, il décide de suivre la campagne de Nathalie Kosciusko-Morizet pour la mairie de Paris. Pendant plusieurs mois, il va se rendre à la plupart des rendez-vous donnés par l’équipe de communication d’NKM à la presse. Son constat est amer : « On parle de photojournalisme mais en ce qui concerne la photographie de campagne, on ne se sent pas journaliste. On fait de l’illustration. Tout est orchestré, verrouillé, quadrillé. C’est difficile de voir quelle information on peut apporter. »
« On doit faire de l’image dans des endroits moches, mal éclairés et bondés de journalistes. C’est un vrai défi visuel.» –
Sébastien Calvet
Sébastien Calvet, photographe politique pour le quotidien Libération depuis 1998, s’est lui aussi longuement posé cette question. La photographie politique constitue un double défi pour n’importe quel professionnel : c’est une image contrôlée, certes, mais aussi ingrate. Il explique : « Je comprends qu’on puisse ressentir de la frustration. En photographie politique on a conscience d’être limité et cadré. Mais c’est aussi une image assez pauvre. On doit faire de l’image dans des endroits moches, mal éclairés et bondés de journalistes. C’est un vrai défi visuel. » Comment les photojournalistes se confrontent-ils à ce « défi visuel » ? La première étape consiste à comprendre exactement ce qu’est la photographie politique de campagne, ce qu’elle recouvre et le rôle de l’image dans ce contexte.
Une image contrôlée ? Comment ?
La photographie politique de campagne rend compte dans la presse des déplacements et opérations des candidats à des élections. Elles alimentent le débat médiatique en illustrant les positions et les propos tenus par les politiques. Corentin Fohlen, photojournaliste, a couvert la campagne de François Bayrou – candidat du Modem à l’élection présidentielle de 2007 : « La plupart des journalistes sont là pour attraper la petite phrase qui créera le buzz, les télés veulent des images pour remplir leurs créneaux, et nous, les photographes nous sommes tiraillés entre le fantasme de l’image décalée qui apporterait un contenu journalistique et l’image officielle qui finira tout de même publiée dans la presse ».
Sébastien assimile la photographie politique à un combat entre deux objectifs : celui du photographe et celui du politique. « Si une équipe de campagne donne rendez-vous à des journalistes sur un marché quand un homme politique va en faire le tour, c’est parce que cette équipe veut soutenir visuellement une parole politique. Nous, en tant que journaliste, notre objectif est exactement le contraire. On ne veut pas communiquer un discours, on veut faire de l’information ».
À partir de là, il devient absolument nécessaire d’identifier quels sont les éléments de contrôle de l’équipe de communication d’un politique.
Pour Corentin, le fait de ne pas être tenu au courant de l’agenda complet du candidat constitue déjà une limitation importante : « En période de campagne, les journalistes passent leur temps à essayer de savoir ce que fait le politique entre deux rendez-vous officiels ».
Pour Sébastien, le contrôle de la communication est un peu plus insidieux : « Prenons l’exemple de l’image du politique sur le marché. Ce type d’opération nécessite de ne pas rencontrer d’opposants sur le marché en question. Il va donc falloir faire un repérage au préalable. Les équipes de communication font même des photos des lieux pour s’assurer de la photogénie du point presse. Elles cherchent des décors, des endroits pour des mises en scène afin de porter un discours et organiser une image. Jamais on ne m’a interdit de faire une image. Le contrôle est plus subtil que ça. ».
Échapper à la communication pour faire du journalisme
Comment faire du journalisme dans une opération de communication ? À cette question, les trois photographes interrogés sont unanimes : c’est difficile. « Il n’est pas simple de sortir du conventionnel et d’apporter un regard journalistique », explique Corentin. « Les conditions de terrain compliquent la prise de vue. Il faut sortir de ce que le candidat nous impose : poignées de main, sourires, militants acquis à sa cause. Mais parfois, le miracle se produit et rien de ce qui est prévu ne fonctionne. Un jour, lors d’une visite d’usine, Bayrou s’approche d’un ouvrier. Ce dernier annonce au candidat qu’il ne votera pas pour lui, il entrouvre son bleu de travail : le nom de Ségolène Royal était marqué en grand sur son T-shirt! Ce genre d’incident est rare ».
« Parfois, le miracle se produit et rien de ce qui est prévu ne fonctionne.» – Corentin Fohlen
Les politiques se plient parfois rudement à cet exercice de communication. À partir d’un certain niveau, toute une équipe entoure le candidat et décide de tous ses faits et gestes de représentation. Quand Hugo Aymar couvre une visite de NKM, il la photographie en train de se faire masser en fin de journée et voit son conseiller en communication s’arracher les cheveux (au sens figuré) de peur de voir cette image sortir dans la presse. Les photojournalistes sont à la recherche de cette image inattendue qui échappe à la communication d’un parti.
« Il faut réussir à faire transparaître la mise en scène politique dans nos images.» – Sébastien Calvet
La scène politique et ses fissures
Mais pour Sébastien Calvet, cette recherche de l’image « décalée » doit aller beaucoup plus loin. « Il faut réussir à faire transparaître la mise en scène politique dans nos images. Je joue beaucoup avec des éléments du réel comme les caméras, les câbles qui traînent, les attachés de presse qui tendent une oreille… Je tente de tout prendre en compte pour réaliser une image signifiante. » Afin d’atteindre cet objectif, le photographe entretient des rapports cordiaux avec les équipes des partis. « On te montre ce qu’on veut bien te montrer en politique. Il vaut mieux avoir de bon rapports parce que sans l’équipe de com, tu ne travaille pas. Si tu n’as pas de rapport avec eux tu n’as pas d’infos, tu n’as pas l’agenda, tu ne sais pas ce que le politique va faire, et tu ne peux pas faire ton travail. Il faut discuter avec eux. Mais il faut régulièrement se rappeler qu’on est journaliste et continuer à faire son travail. Quand le conseiller de com prononce ces mots « merci, c’est bon, on s’arrête », c’est à ce moment là qu’il ne faut pas s’arrêter ».
Sites internet :
corentinfohlen.com
hugoaymar.fr
sebastiencalvet.com
[…] Sortir du cadre : le défi de l’image politique, par Molly Benn, analyse d’abord les spécificités et contraintes de la photographie de presse en politique avec le concours de trois photojournalistes (Hugo Aymar, Corentin Fohlen et Sébastien Calvet), qu’on sent parfois un peu fatigués. Ensuite, Les médias aiment-ils encore la politique ? par André Gunthert, pose, lui, les bases d’une réflexion à venir pour la profession. […]
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