Quand Louis Vuitton a annoncé prendre pour égérie le personnage virtuel Lightning du jeu vidéo Final Fantasy, la presse et les blogueurs se sont félicités de la fusion entre le monde réel de la mode et le monde virtuel des jeux vidéos. « La réalité et le fantasy ne font plus qu’un : Lightning est une héroïne authentique dans la nouvelle campagne Séries 4 de Louis Vuitton » annonce le créateur Nicolas Ghesquière, directeur artistique de Louis Vuitton, sur son compte Instagram. Les mots sont lancés : « réalité », « authentique ». Le jeu vidéo, ce monde virtuel se mêlerait enfin à l’authentique réel. Mais est-ce vraiment le cas ? Cette relation entre gaming et mode ne commence-t-elle que maintenant ? Réponse en un petit historique.
► ► ► Cet article fait parti du dossier : La photographie de mode, un genre à la recherche de ses frontières
En 2001, la même année que la sortie de Shrek, la série à succès Final Fantasy aboutit à un long projet de film entièrement fait en images de synthèse : Final Fantasy, les créatures de l’esprit. Le personnage principal, le Dr Aki Ross, attire notamment l’attention de magazines en tant qu’actrice. Même s’il s’agit d’une figure virtuelle, elle fait la une du numéro du magazine masculin Maxim sur les femmes les plus sexy de l’année.
À cette époque le New York Times souligne le fait qu’un personnage virtuel soit préféré à des mannequins en chair et en os pour la couverture d’un magazine : « Aki est la plus réaliste des personnages en images de synthèse à être apparue dans des films, dans la mode, dans la pub.».
Malheureusement, les créatures de l’esprit est un échec cuisant au cinéma. Avec 136 millions de dollars de pertes, le film ne trouvera jamais son public. Le youtubeur Karim Debbache raconte très bien l’histoire de cet échec et sa conséquence sur la perception de la réalité virtuelle : « Pour tout vous dire, même si je ne pense pas que le film soit un très bon film, je suis dégoûté qu’il ait fait un flop. Parce que ce qui était intéressant avec les créatures de l’esprit, plus que le film en lui même, c’est ce qu’il aurait pu amener. Le personnage d’Aki devait devenir la première actrice en image de synthèse qu’on aurait retrouvé dans plein d’autres films et même plein d’autres jeux. Si le film avait marché, on aurait assisté à la naissance du premier vrai faux acteur de l’histoire du monde. Mais non, on a juste assisté à une fausse couche. » (dans la vidéo qui suit, à 12mn30)
Mais si le film Final Fantasy fut un échec, la série de jeux vidéos a perduré. Final Fantasy XIII donna naissance à l’héroïne Lightning qui, quinze ans plus tard, réalise d’une certaine manière le rêve de Karim Debbache : Lightning devient une icône mode, celle de Louis Vuitton. Tetsuya Nomura, créateur de personnages sur Final Fantasy commente l’annonce de Nicolas Ghesquière sur Bloomberg : « Il y a plusieurs façons de montrer l’individualité de quelqu’un dans le monde réel, mais dans le monde du jeu vidéo, les options sont plutôt limitées. Les vêtements sont les éléments essentiels par lesquels on peut exprimer la personnalité d’un personnage. L’un des éléments qui permet le plus d’exprimer la personnalité d’un personnage ou son histoire, c’est la mode ».
C’est un fait, la mode et ses codes ont intégrés le jeu vidéo il y a longtemps. Des looks et défilés kitchs dans Second Life à la fashion police dans Animal’s Crossing, les repères ne manquent pas.
On retrouve même les tendances de la vie réelle comme dans certains looks de GTA.
Mais le mariage de ces deux domaines ne s’arrête pas là. En 2003, la marque de vêtements Diesel est la première à décider d’inclure les jeux vidéos dans ses campagnes de communication pour une nouvelle collection. Diesel s’associe à Devil May Cry 2 pour marketer ses produits. Les joueurs peuvent habiller leurs personnages avec des habits de la marque avec un cheat code. La mode intègre de façon très concrète un jeu vidéo pour la première fois à travers le marketing.
C’est donc sans surprise qu’au bout de plusieurs années de flirt intense, la haute couture et le jeu-vidéo se marient enfin. En 2010 déjà, le personnage de Lightning avait attiré Prada pour un shooting mode dans un magazine masculin japonais. En 2014, quand Ubisoft organise un défilé pour la ligne de vêtements créée pour le jeu Just Dance, Anna Wintour se déplace et assiste au défilé. En 2015, Moschino crée une collection dédiée à Mario Bros. Et enfin en 2016, un personnage de jeu vidéo devient égérie d’une maison de haute couture.
Mais pourquoi s’émerveille-t-on d’une égérie virtuelle qui intègre le monde de la mode ? Beaucoup y ont analysé une fusion du réel et du virtuel, certains y voient le signe d’un anoblissement du jeu vidéo au rang de centre d’intérêt mainstream, d’autres encore y voient se repousser encore les limites de la mode.
Au final, il se produit un peu de toutes ces analyses en même temps.
Mais le rapprochement de ces deux « cultures » n’est peut être pas si étonnant. L’industrie de la mode nous parle d’un monde tout aussi virtuel que celui des jeux vidéos. Lightning est un personnage tout aussi virtuel que les mannequins ou actrices habituellement choisies pour ce rôle. Aujourd’hui, le public s’identifiera autant à Lightning, son indépendance, son caractère, sa force, sa coupe de cheveux, qu’à une Jennifer Lawrence pour son humour, sa beauté et son militantisme. La mode a toujours été cette industrie qui vend un monde fantasmé dans lequel la beauté et la puissance sont reines. Et bien cette industrie a enfin décidé de reconnaître le jeu vidéo comme son jumeau, son égal.
Un allié naturel en somme.