Cet article fait partie du dossier de la semaine du 21.10.13 : Nouveaux regards sur l’Afrique
Robin Hammond, photojournaliste néo-zélandais, expose depuis le 19 octobre au festival Photoreporter de Saint-Brieuc un sujet sur la capitale du Nigeria : Lagos. Entre l’émergence d’une classe moyenne africaine dans une ville économiquement très active et la paupérisation des plus pauvres, rêves et espoirs se construisent dans une ville où les conditions de vie sont rudes. À travers ce sujet, Robin Hammond défie les clichés en montrant la diversité et la complexité de la société nigériane. Avec la seconde industrie mondiale de film et ses plages privées pour jeunes bourgeois, ses bidonvilles et cours d’eau insalubres, Lagos fait partie des villes les plus inégalitaires au monde. Tout au long de sa carrière, Robin Hammond a traité plus d’une vingtaine de sujets en Afrique : la dictature de Mugabe au Zimbabwe, le traitement des personnes atteintes de troubles mentaux dans les pays Africains en crises, les violences sexuelles en République démocratique du Congo, les anciens enfants soldats devenus grands au Liberia… Comment, en tant que photojournaliste, regarde-t-il l’Afrique ? Quelle distance prend-il par rapport aux personnes photographiées ? Comment être sûr de transmettre une information vraie et non un point de vue occidentalement centré ? Réponses de Robin Hammond à travers l’ensemble de son travail.
Lagos, les rythmes d’une mégalopole africaine, Robin Hammond
Photographier l’Afrique
Depuis ses débuts en photojournalisme en 2007, Robin Hammond a toujours voulu documenter les situations de non-respect des droits de l’homme. Il s’est assez vite tourné vers l’Afrique où, pour lui, il y avait énormément de matière de travail.
« J’ai commencé à aller en Afrique par curiosité. Petit à petit, j’ai réalisé la diversité et la complexité de cet espace géographique. Plus j’y allais, plus j’apprenais, et plus je me rendais compte de tout ce que j’avais encore à apprendre »
Quand Robin Hammond commence à couvrir des sujets en photo en Afrique, il a déjà en tête une certaine image du continent : « La photographie documentaire en Afrique s’est longtemps tournée sur des sujets de crises, et c’est cette imagerie-là que j’avais en tête en commençant à travailler. » Néanmoins, ce sont aussi ces photographies de guerres et de famines qui l’ont poussé à s’intéresser au continent africain. « À l’époque, je pensais que l’Afrique était un lieu idéal pour documenter les problèmes de respect des droits de l’homme. Les nombreux sujets possibles m’ont poussé à vouloir mettre en lumière de nombreuses problématiques de développement. Mais j’étais ignorant et naïf… Et aujourd’hui, si je crois toujours qu’il faut rester témoin de ce qui se passe en Afrique, je pense qu’il faut le faire de façon honnête et déontologique. »
Pour Robin Hammond, la première chose à faire est d’arrêter de considérer l’Afrique comme un pays, mais bien de prendre conscience de l’immensité et de la diversité de ce continent. À titre d’exemple, lorsqu’il réalisait son sujet sur les troubles mentaux, il s’est rendu dans cinq pays avant de lever des fonds pour pouvoir s’intéresser à d’autres régions africaines. Face à ce projet, beaucoup de gens sont resté perplexes, lui demandant pourquoi chercher à aller dans d’autres pays alors qu’il en avait déjà couvert cinq ? Qu’est-ce que ça apporterait à son sujet ? « En tant que photojournaliste, je ne peux pas me permettre de photographier une situation dans cinq pays et ensuite décréter que ça, c’est l’Afrique ! c’est l’Afrique ! Ce continent est composé de 55 pays ! C’est comme si je faisais un reportage en Espagne et en Italie pour parler de l’Europe dans son ensemble ! »
Lagos, les rythmes d’une mégalopole africaine, Robin Hammond
Les contraintes de la presse
D’où vient cette vision partielle et simpliste de l’Afrique ? Robin Hammond l’explique assez aisément par le contexte économique difficile des titres de presse qui ne vous envoie que quelques jours pour traiter d’un sujet complexe et incontournable.
« Quand j’ai commencé ma série Condemned en 2011, j’étais très frustré par ce qui se passait dans la presse. J’en avais assez de couvrir des sujets importants en peu de temps et j’ai commencé à remettre en cause l’honnêteté de ce que je faisais
« En effet, j’étais envoyé dans des pays d’Afrique, où j’arrivais avec des idées préconçues que j’avais ni le temps ni l’opportunité de confronter. Alors, je finissais par rechercher ces images de l’Afrique que l’on connaît tous, celles que l’on pense être vraies, je les capturais et je rentrais chez moi. Je n’avais pas de temps pour apprendre à connaître les gens que je rencontrais. J’étais simplement un agrégateur de témoignages et de portraits, ce qui reste la façon la plus facile de parler d’un sujet. J’ai alors décidé de prendre le temps. J’ai voulu retrouver le sens de mon travail et je me suis investi, dans un sujet sur le long terme : les personnes souffrant de troubles mentaux dans les pays Africains en crises. » Loin de lui l’idée de vouloir remettre en cause le rôle des commandes, mais il rappelle à juste titre que pour un photographe, réaliser une commande pour un titre de presse implique également la responsabilité de devoir sortir des images qui conviennent à ce même titre de presse. Et souvent, les contraintes de temps et de réalisation restreignent énormément le photographe. Dans le cadre du festival Photoreporter, Robin Hammond a bénéficié d’une bourse de travail lui permettant de travailler sans contraintes pendant plusieurs mois, si ce n’est pouvoir présenter une exposition à la fin de ce travail de production. Lors du vernissage du festival de Saint-Brieuc, le photojournaliste nous explique son parti pris sur le sujet de la ville de Lagos.
Travailler sur le long terme
Les travaux de Robin Hammond au Zimbabwe, en Afrique subsaharienne et à Lagos font partie de ces sujets au long cours qui lui tiennent à cœur. Le temps lui a non seulement permis d’approfondir les questions traitées, mais aussi de remettre en cause sa propre perception des problématiques en jeu. Par exemple, dans le cadre de son sujet sur les troubles mentaux, Robin était parti avec l’image assez précise d’une prison reniant les droits des hommes malades qu’elle retenait captifs. Et malgré les conditions de détention difficile, il a néanmoins découvert des acteurs qui tentaient d’aider les patients, même si cette aide pouvait parfois être néfaste. Il pensait également pouvoir observer les abus des guérisseurs religieux sur les personnes captives, mais il s’est rendu compte que ces acteurs controversés étaient les seuls à apporter une attention positive aux malades. Ainsi, le temps permet de comprendre des situations bien plus complexes qu’il n’y paraît.
« Le défi de notre métier c’est de réussir à faire comprendre quelque chose à un public en rendant l’information accessible, mais sans la simplifier pour autant, ni créer des stéréotypes
Condemned, Robin Hammond
« Et ça, c’est difficile à faire en Afrique car chacun a des a priori sur ce continent. J’ai maintenant l’impression de porter une certaine responsabilité qui serait d’expliquer ces contextes complexes et faire comprendre au grand public que l’Afrique n’est pas aussi simple à aborder qu’elle n’y paraît. »
Quand on demande à ce photographe de 38 ans s’il pense pouvoir changer le monde avec ses images de l’Afrique, il répond avec beaucoup de lucidité que non, il ne croit pas qu’une seule de ses images puisse individuellement changer le monde. Néanmoins, les médias ont de tout temps participé à la construction d’une imagerie collective qui devient le prisme par lequel nous voyons le monde, et la photographie en fait partie. Son regard sur l’Afrique ne changera peut-être pas la situation de ceux qu’il a photographiés, mais , il espère, fera évoluer notre façon de voir l’Afrique et ses problématiques et nous poussera, nous l’humanité, à faire évoluer nos comportements.
Site internet : robinhammond.co.uk
Your wounds will be named silence, Robin Hammond
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