Jusqu’au 31 août 2014, la Maison européenne de la Photographie expose les œuvres des photographes Françoise Huguier et Marie-Paule Nègre. Deux grands noms de la photographie contemporaine desquels les expositions Pince-moi, je rêve et Mine de rien… en dévoilent les travaux qui ont marqué leur carrière. On y est allé avec des attentes et on n’a pas été déçu.
© Marie-Paule Nègre
Note de la rédaction pour Pince-moi, je rêve de Françoise Huguier : ★★★★☆
Note de la rédaction pour Mine de rien… de Marie-Paule Nègre : ★★★★☆
Les raisons d’y aller
– Vous voulez découvrir des artistes qui ont marqué (et marquent toujours) la photographie
– Vous aimez les monographies
Les raisons de vous en passer
– Vous êtes pressé
– Vous n’aimez pas le photoreportage
Les artistes
Françoise Huguier
Françoise Huguier est une photographe voyageuse qui ne manque pas d’audace : de l’Afrique à +40°C à la Sibérie polaire à -40°C, sa demi-mesure se trouve peut-être à Paris où elle capte les dessous des défilés ou en Colombie où elle réalisa des portraits de nonnes. Née en Seine-et-Marne en 1942, Françoise Huguier a fait du monde entier son espace de vie. Une soif d’ailleurs qui commence dans les années 1980 quand elle part en Afrique sur les traces de L’Afrique fantôme de l’archiviste Michel Leiris inspirée par la mission ethnographique « Dakar-Djibouti » (1931-33). Lauréate de nombreux prix (Prix Kodak en 1986, Prix des Rencontres d’Arles en 1987, Prix World Press Photo en 1993), ses photographies ont été exposées dans le monde entier.
© Françoise Huguier
Marie-Paule Nègre
Marie-Paule Nègre est une photographe française née en 1950. Son travail, exclusivement du reportage, se concentre sur les formes d’exclusion sociale et raciale. Un jour, alors qu’elle réalisait son travail Contes des temps modernes ou la misère ordinaire, une des personnes qu’elle photographiait lui a dit : “montre à ceux du dehors comment on vit”. Et elle l’a entendue. De cette phrase, elle en a fait son leitmotiv : en photographiant ces gens, elle leur a rendu la parole. Membre de la Fondation Leica depuis 1983 et cofondatrice de l’agence photographique Métis, elle s’est vue décerner le prix Niépce en 1995 et la décoration d’officier dans l’Ordre des Arts et des Lettres en 2010.
© Marie-Paule Nègre
Les expositions
Pince-moi, je rêve
Comment aborder une oeuvre aussi riche que celle de Françoise Huguier ? Par le début peut-être, tout simplement. Il y a 2 débuts décisifs dans la vie de Françoise Huguier, et on peut entrer dans l’exposition de 2 manières différentes : par la série J’avais 8 ans qui raconte le retour de la photographe sur la plantation de caoutchouc de ses parents au Cambodge où, à l’âge de 8 ans, elle s’est faite enlevée avec son frère par des combattants du Vietminh durant 8 mois. Ou par Afrique fantôme, son premier projet photo portée par cette question qu’elle s’est posée en mettant les pieds sur le sol africain : « Comment photographier un paysage vide ? ». Et d’emblée, on comprend ce qui, dans les photos de l’artiste, nous interpelle : si, comme tout un chacun, Françoise Huguier arrive peut-être sur de nouveaux territoires avec des représentations plein la tête, sur le terrain, l’exotisme fait place à une grande lucidité.
© Françoise Huguier
Ses photos ne sont pas celles d’une voyageuse qui, simplement de passage, prendrait sans rien donner en retour. Françoise cherche à être au plus près des gens et est attentive à ce qu’on lui offre. Pour ne pas être prise par le vertige du vide, elle photographie les personnes et détails qui peuplent et façonnent ces paysages éthiopiens, béninois, maliens, burkinabè, togolais et camerounais : de la jeune fille au Burkina Faso aux détails d’architecture et de scènes du quotidien, en passant par l’homme qu’elle rencontra sur la route de Nazret en Ethiopie, un 7 janvier 1990 et qu’elle nommera L’ancêtre.
© Françoise Huguier
S’ensuit la ville de Norilsk en Sibérie polaire pendant 6 mois, l’immersion dans un Kommounalki, un de ces appartements communautaires russes qui se développèrent tout au long du XXème siècle après la révolution de 1917, le monde parisien de la mode, l’intimité des cellules des nonnes de Colombie et le « bon goût-mauvais goût » des adolescents asiatiques. Françoise Huguier est une photographe qui va sur tous les fronts.
© Françoise Huguier
© Françoise Huguier
© Françoise Huguier
Mine de rien…
Les photos de Marie-Paule Nègre nous parlent d’exclusion : exclus parce qu’on est pauvre, exclus parce qu’on n’a pas la même couleur de peau. On entre dans le monde de la photographe par ses Contes des temps modernes ou la misère ordinaire réalisés sur 10 ans dans le Nord-pas-de-Calais – de la fin des années 1980 au début des années 2000. En y posant la question « Qui d’ailleurs aurait envie de devenir l’ami d’un pauvre ? », la photographe nous met face à nos préjugés et à nos comportements sociaux; elle questionne les rapports humains et sait y trouver ce qu’il y a d’essentiel.
© Marie-Paule Nègre
Ce sentiment est renforcé par le contraste que suscite l’exposition de ces photos – prises dans l’intimité de familles modestes – aux côtés de celles des Contes des modernes ou l’aisance ordinaire. Ces dernières dépeignent les fêtes de la jeunesse dorée où les jeunes gens, parés de bijoux dans des cocktails mondains, s’affichent devant l’objectif plus qu’ils ne se dévoilent.
© Marie-Paule Nègre
« La photographie peut avoir un impact humain et contribuer à éveiller les consciences, à agir pour la transformation des rapports sociaux” – Marie-Paule Nègre
© Marie-Paule Nègre
Ce désir ardent de Marie-Paule Nègre de porter la voix des personnes marginalisées en résistance nait en partie de son amour du jazz qu’elle photographia de manière incessante dans les années 1980. Les photos de l’artiste ont la musicalité du jazz, elles parlent de ceux dont on ne parle pas, elles montrent ceux que l’on ne montre pas : les femmes burkinabè suspectées de sorcellerie reléguées aux marges de la société, celles gavées pour plaire aux hommes en Mauritanie ou encore ces jeunes filles indiennes qui vont à l’école la nuit pour continuer à travailler le jour.
Mais Marie-Paule Nègre, c’est aussi sa fascination pour sa sœur, danseuse étoile à l’Opéra de Paris, qui mena pendant 10 ans une vie spirituelle de carmélite. Ou encore sa passion pour l’eau qu’elle photographie sans relâche au gré des commandes, voyages, reportages et photographies personnelles.
© Marie-Paule Nègre
C’est par les portraits des artistes de Paris et d’Île-de-France que se finit l’exposition. Intitulée Des artistes en leur monde, cette série de 165 photos fût réalisée entre 2000 et 2014 dans le cadre d’une commande de la Gazette Drouot. On découvre des personnalités, des mondes, des visages dont on ne connaissait que le nom ou dont la photographe nous dévoile l’existence.
On pourrait encore vous parler d’autres travaux de la photographe exposés tant les sujets traités sont divers. Mais peut-être vaut-il mieux vous laisser découvrir par vous-même. En bref, si l’on devait donner un fil conducteur à son œuvre ? Dans le foisonnement des images se dessine une écriture photographique constante, celle de capter des instants et de réussir à en faire prendre conscience le spectateur.
Le bilan
On aime l’impression de se lancer à chacun des deux étages dans un parcours d’initiation aux œuvres de deux grandes photographes françaises ; un parcours parsemé de textes de présentation qui ne manquent pas d’humour ! Si tous les travaux ne nous ont pas touché tant ils font appel à des publics différents, certains restent forcément dans la mémoire. A chaque visiteur de trouver ceux qui lui parlent.
Pince-moi, je rêve, de Françoise Huguier et Mine de rien…, de Marie-Paule Nègre
à la Maison européenne de la photographie, 5-7, rue de Fourcy, 75004 Paris.
Jusqu’au 31 août 2014.
Horaires
Ouvert au public du mercredi au dimanche, de 11 h à 19 h 45.
Tarifs
Plein tarif : 8 € ; tarif réduit : 4,50 € .
Site internet : mep-fr.org