NDLR : cet article ne parle pas seulement de photographie, mais de problématiques contemporaines qui touchent à l’image. Surveillance et censure sont des thèmes qui peuvent certes être appréhendés au travers de la photographie, mais qui touchent plus généralement le fait de voir et d’être vu, d’être visible ou invisible. Plus que la vision, c’est la visibilité qui est centrale : celle de notre image, mais aussi celle de nos données personnelles. En cela, image et photographie trouvent ici leur sens et leur profondeur dans un cadre pluridisciplinaire où des œuvres et des sources d’informations diversifiées dialoguent pour s’enrichir mutuellement. Pour comprendre les mécanismes de nos sociétés digitalisées, il faut exercer son regard plus loin que sa vision.
Du 3 octobre 2015 au premier mai 2016 se déroule au Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe (ZKM | Zentrum für Kunst und Medientechnologie en allemand) l’exposition « GLOBAL CONTROL AND CENSORSHIP. Surveillance et censure mondiales ». J’ai eu le plaisir de rencontrer Bernhard Serexhe, co-curateur de l’exposition et curateur en chef de cette institution culturelle dédiée à la digitalisation des sociétés contemporaines et à sa compréhension depuis 1989.
| Propos recueillis par Nathalie Hof
« Le besoin de données dans cette société est en train de devenir de plus en plus grand. En fait, il est insatiable. » – Bernhard Serexhe
Bernhard Serexhe s’approche de la fenêtre de son bureau et me montre la ligne d’horizon : « quand vous regardez dans cette direction, vous pouvez voir la frontière française. Ces montagnes au loin, ce sont les Vosges. ». La frontière est là, et pourtant je ne la vois pas. Cette invitation à être attentif aux détails, à regarder de plus près ce que l’on ne voit pas forcément au premier regard, c’est la même que celle faite une heure plus tôt lorsque, me présentant d’un geste de la main la poupée Cayla, il m’explique qu’elle peut répondre aux confidences que lui font les enfants qui la possèdent grâce à un programme de reconnaissance vocale lié au moteur de recherche Google ; avant d’ajouter : « les parents, qui offrent une telle poupée à leurs enfants, peuvent aussi acheter une application en supplément, avec laquelle ils peuvent les mettre sur écoute. »
Caméras, micros, historiques internet, géolocalisation intégrée et bien d’autres encore : nous sommes entourés de dispositifs de surveillance que nous ne remarquons même plus ou que nous négligeons de considérer comme tels. Qu’ils soient présents à notre insu (géolocalisation intégrée) ou installés de notre plein gré (bracelet tracker d’activités), on s’accommode de leur présence pour le confort qu’ils nous apportent. L’exposition « Surveillance et censure mondiales » explore les enjeux de leur intrusion au sein de nos sphères privées. Conçue dans le cadre plus général de l’événement culturel GLOBALE au sein du Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe, elle rend compte, en un état des lieux aussi exhaustif que critique, de profonds bouleversements qui résultent de la digitalisation de nos sociétés contemporaines amorcée il y a une vingtaine d’années. Parmi ceux-ci : surveillance et censure ; phénomènes entremêlés qui se sont vus dotés de moyens inédits au cours de cette dernière décennie : « La surveillance a la censure comme objectif et la censure ne peut fonctionner sans surveillance. C’est pourquoi surveillance et censure doivent être considérées comme un couple de notions ou plutôt comme deux thèmes si profondément liés l’un à l’autre qu’on ne peut les appréhender séparément.«
Le temps d’une après-midi, j’ai eu l’occasion de me rendre à Karlsruhe et de m’entretenir avec Bernhard Serexhe, co-curateur de l’exposition et directeur du ZKM. Fruit d’un travail de collaboration avec pas moins de vingt-cinq correspondants et groupes de recherche du monde entier, parmi lesquels on compte le Centre d’excellence pour les technologies de sécurité appliquées (KASTEL) de l’Institut de technologie de Karlsruhe (KIT), Reporters sans frontières, organisation pour la liberté de l’information, la résidence d’artistes Villa Aurora de Berlin, le Chaos Computer Club, plus grande association de hackers d’Europe ou encore l’espace alternatif LOOP de Séoul, on y trouve certes de la photographie, mais pas que !
Vidéos, sculptures, installations, performances, enregistrements sonores, affiches, peintures, dessins, textes, rapports sur la torture rédigés par l’Agence centrale de renseignement États-Unienne (CIA), voire… tapis, poupées et débris d’ordinateurs. La diversité des supports et la richesse de l’exposition reflètent tant les multiples visages de la surveillance et de la censure, que l’inquiétude et les interrogations qu’elles suscitent auprès des soixante-dix artistes, intellectuels, activistes exposés et du curateur : « Le Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe est un des rares lieux au monde dédié à la compréhension de la culture digitale. Notre mission n’est pas d’acclamer les nouveaux médias, mais de les analyser et de les questionner.« .
Chaque pas dans l’exposition est une immersion toujours plus profonde dans nos cultures digitalisées. On s’y familiarise avec ses implications, ses limites et ses risques. Quelques minutes à peine passées à la parcourir suffisent pour savoir que l’on n’en ressortira pas indemne. En trois points, on vous dit pourquoi. Une exposition qui nous interpelle pour mieux nous informer et nous informe pour décupler notre capacité d’agir.
Interpeller
En guise d’accueil dans l’espace d’exposition, un écran conçu par les artistes Alex Wenger et Max-Gerd Retzlaff affiche l’empreinte électronique de votre smartphone, les noms des contacts a qui vous avez téléphoné ces cinquante dernières heures, ainsi que ceux des lieux à partir desquels vous avez établi ces communications. Quelques pas plus loin, trois portes s’offrent alors à vous. Deux d’entre elles sont dotées de leur propre système d’entrée : la porte de droite, d’un capteur d’empreinte digitale et d’un appareil de mesure de la fréquence cardiaque, celle de gauche, d’un détecteur futuriste d’ADN par la salive qui permettrait de recréer en quelques secondes votre visage.
Au centre, une installation de l’artiste allemande Sascha Pohle composée d’une centaine de lecteurs CD et DVD vous fait face. Ils ont été fabriqués il y a une dizaine d’année et sont pourtant déjà obsolètes. Dans votre dos, une réplique de la caméra de surveillance présente sur la place Taksim (à Istanbul) lors des mouvements sociaux turcs de 2013 semble vous suivre du regard. Dorée par les soins de l’artiste Halil Altındere, elle en paraîtrait presque belle.
En vous prenant – effectivement ou symboliquement – vos empreintes électroniques, digitales et génétiques, ainsi que votre image, ces premiers moments résument à eux seuls un des points majeurs abordés dans l’exposition : « Le besoin de données dans cette société est en train de devenir de plus en plus grand. En fait, il est insatiable. ».
« Peut-être est-ce banal de voir des gens en train de dormir, de prendre leur petit déjeuner ou d’essayer une paire de chaussures. Mais cette destruction de la sphère privée est aussi un des plus gros danger de cette industrie de la surveillance.« – Bernhard Serexhe
Ces œuvres, en brouillant les frontières entre réalité et science-fiction et en nous interpellant, voire nous provoquant, nous contraignent à éprouver ce que l’on ne peut plus, d’un seul regard, appréhender : « les cinq doigts d’une main ne suffisent plus aujourd’hui à faire le tour de cette thématique de la surveillance. Il s’agit ici de technologies qui interfèrent dans nos vies, qui les empiètent. ». Il ajoute : « dans cette exposition, il est clairement question d’’Aufklärung’ [« Lumières », le fait de transmettre des connaissances, NDLR], mais aussi, à un niveau plus bas, de perception : que se passe-t-il concrètement quand vous postez une photo sur Instagram ? Qu’est-ce que signifie le fait, en terme de surveillance, que les données spatiales qui lui sont liées, permettent à n’importe qui de voir où vous vous situez exactement ? Pour certaines personnes, être amené à se poser ces questions, peut provoquer un déclic et elles se disent alors : ‘Ah, je n’aurais jamais vu cela comme ça !’ Et on peut très vite, à partir de cette base – quand cette base est là, quand la perception est là -, discuter ou clarifier certaines choses. »
Loin de vouloir diaboliser ce type de pratiques (poster une photo sur les réseaux sociaux), le curateur appelle avant tout à la vigilance et cherche à inciter les visiteurs à prendre du recul sur leurs propres comportements et à les analyser. Devant l’installation multimédia « Sehen und gesehen werden » (« Voir et être vu » en français) composée de seize moniteurs et diffusant en live des enregistrements de caméras de surveillance non protégées du monde entier, Bernhard Serexhe commente les images qui défilent : « Peut-être est-ce banal de voir des gens en train de dormir, de prendre leur petit déjeuner ou d’essayer une paire de chaussures. Mais cette destruction de la sphère privée est aussi un des plus gros danger de cette industrie de la surveillance. Souvent, les gens disent que ça leur est égal, que de toute façon, ils n’ont rien à cacher, qu’ils ne sont pas des terroristes et qu’ils n’ont rien fait de mal. Cet empiètement dans l’espace privé est pourtant une caractéristique des États totalitaires et l’a toujours été. Dans les sociétés digitales, cette perte de l’espace privé devient d’autant plus extrême qu’on peut, au moyen d’une connexion Internet ou des réseaux sociaux, surveiller quelqu’un sans qu’il ne le remarque.«
La projection de l’œuvre en ligne Me du suisse Marc Lee, en connectant des photos postées quelques secondes plus tôt sur Instagram à leurs métadonnées sur Google Earth, montre à quel point il est devenu simple pour n’importe quelle personne ou groupe d’intérêts de suivre les déplacements d’une personne ou de s’auto-surveiller : « ce ne sont pas que les services secrets qui peuvent trouver et extraire facilement ces données, mais tout un chacun. Environ cent millions d’images et de vidéos sont publiées chaque heure sur le net et un bon nombre d’entre elles sont des selfies. Cet aspect de l’auto-surveillance est un aspect essentiel de la culture digitale. »
L’enjeu est de taille : si de l’intrusion croissante de dispositifs de surveillance dans les espaces publics et privés émerge l’hypothèse que je puisse être surveillé à mon insu à tout moment, vais-je continuer à agir comme avant ? Puis-je être libre de mes mouvements, de mes paroles, dans mes actes, là où existe cette virtualité que, peut-être, je suis observé ou écouté ?
Si j’écris un mail dans lequel j’utilise les mots « terroristes », « djihad », « État Islamique » ou « Edward Snowden », vais-je être mis sous surveillance ? « On parle ici de censure. Et cette censure ne fonctionne naturellement que quand les gens concernés sont surveillés ou peuvent l’être. Ce qui est intéressant, ce n’est pas la surveillance concrète en elle-même, mais la peur que suscite cette surveillance. Le seul fait de savoir que l’on peut être surveillé produit le même effet qu’une surveillance effective.»
Informer
« Les informations en elles-mêmes sont neutres. Elles n’ont aucun pouvoir. Elles n’en ont qu’à partir du moment où, grâce à elles, on cherche à exercer un pouvoir. Et encore plus de pouvoir détient celui qui est en mesure de contrôler le flux de savoir. » – Bernhard Serexhe
Savoir que nos données peuvent être visibles, utilisées, piratées par des inconnus, des services secrets, des États, est une chose. Se retrouver directement confronté à cette réalité et réaliser que même votre voisin, un dentiste tokioïte ou un sombre inconnu peut y accéder en est une autre. Parce que brutalement, on passe du virtuel au réel. De propos généraux à des objets concrets. Ce rapport personnel, sensible, à l’information que l’exposition instaure est ce qui rend le visiteur réceptif aux nombreuses qui y sont données : « Sous le visible, l’invisible existe aussi, et celui-ci tend à se vêtir d’une grande importance au sein de la société. ». À partir de quel moment dès lors, un outil, neutre en lui-même, peut, selon l’usage que l’on en fait, intensifier les échanges interpersonnels, améliorer notre confort, accroitre les mesures de sécurité ou se transformer en menace pour le respect de nos libertés individuelles, de nos vies privées et de l’exercice démocratique ?
« Plus l’État a accès aux données de ses citoyens, plus il présente le risque de se transformer en État totalitaire. » – Bernhard Serexhe
À mes interrogations sur les implications de la publication et de la collecte de données, Bernhard Serexhe me répond : « Il y a plusieurs groupes d’intérêts. L’un d’entre eux, c’est l’économie. Par exemple, les enquêtes de consommation menées par des entreprises privées cherchent à déceler les tendances et évolutions mondiales, ce qui est grandement facilité par Internet. Le second groupe d’intérêt, c’est l’« État » – sous toutes ses formes. L’État développe un intérêt très important pour les données de ses citoyens : pour les métadonnées des communications en général tout d’abord, mais aussi pour leurs données personnelles. Plus l’État a accès aux données de ses citoyens, plus il présente le risque de se transformer en État totalitaire. L’histoire nous donne de nombreux exemples d’États et de sociétés totalitaires et il en existe encore aujourd’hui. Il y a suffisamment de raisons d’être extrêmement prudent à ce propos. »
De ces raisons, on en trouve de nombreux exemples dans l’exposition. Une de ses salles, dédiée à « Reporters sans frontières », nous accueille avec un panneau qui dénombre les journalistes morts ou emprisonnés pour leurs idées depuis le début de l’année. Une information délivrée de manière brute, glaciale. Plus loin, le monolithe noir de l’artiste, blogueur et libre-penseur chinois Xu Wenkai, alias aaajiao, crache les adresses des sites Internet qui, à l’instant même, viennent d’être censurés en Chine. La liste tombe au sol en un tas interminable.
En leitmotiv de cette exposition, une affirmation : « le savoir c’est le pouvoir. ». Celui qui possède l’information a aussi la capacité de s’octroyer le pouvoir sur les autres. Pour le curateur, cette idée est centrale : « Les informations en elles-mêmes sont neutres. Elles n’ont aucun pouvoir. Cela dépend de l’usage qu’on en fait. Elles n’en ont qu’à partir du moment où, grâce à elles, on cherche à exercer un pouvoir. Et encore plus de pouvoir détient celui qui est en mesure de contrôler le flux de savoir : leur circulation et, à partir d’elle, les informations elles-mêmes. »
Ainsi, les photographies de Trevor Paglen nous montrent en apparence de simples plages américaines et allemandes. Leur titre, NSA-Tapped Fiber Optic Cable Landing Site, nous révèle pourtant qu’elles accueillent dans leurs entrailles des câbles sous-marins. Si leur fonction initiale est de faciliter la circulation mondiale des communications téléphoniques et Internet, les révélations faites en 2013 par l’informaticien et lanceur d’alerte Edward Snowden, alors employé de la Central Intelligence Agency (CIA) et de la NSA (« Agence nationale de la sécurité » des États-Unis), ont montré qu’ils avaient été mis sur écoute par cette dernière dans le cadre de programmes de surveillance de masse.
Les photographies, affiches, textes et autres travaux et œuvres entrent ainsi en résonance afin de créer une grille de compréhension multiforme. Les visiteurs peuvent alors se figurer de manière simultanée des images, des mots et des chiffres pour se représenter quelque chose de communément invisible ou inaudible.
Agir ?
« Cette exposition n’est en aucun cas un divertissement. Les oeuvres exposées nous permettent de comprendre comment fonctionne la vie dans nos sociétés et de mieux communiquer. Pour que cela soit possible, il faut beaucoup de travail : de notre côté – ceux qui travaillent au Centre -, mais aussi de celui des visiteurs. » – Bernhard Serexhe
Si certains travaux mettent en exergue des informations publiques mais vite négligées et que d’autres pointent du doigt les dérives possibles, voire effectives, de l’usage des infrastructures et outils modernes, un troisième groupe de travaux, à l’instar de ce téléphone sous verre, questionne et sollicite directement la capacité d’action et de réaction des visiteurs.
Le téléphone ci-dessus a comme numéro le +49 (0)174 276 6483
Sachant que celui-ci a servi à appeler le lanceur d’alerte William Biney en juin 2015, appelerez-vous ce numéro au risque d’être associé à cet ancien employé de la NSA ? Avec cette installation, l’artiste allemand Christian Sievers conduit chaque personne qui se pose cette question à en mesurer l’absurdité : à quel point la peur est-elle devenue omniprésente dans nos sociétés si l’on hésite même à appeler un simple numéro ?
Au premier abord, Bernhard Serexhe semble pessimiste sur l’influence que peuvent avoir ces oeuvres sur nos comportements : « Je pense qu’en sortant de l’exposition, les gens ne changeront même pas un pourcent de leurs comportements. Le confort, mais aussi l’habitude d’utiliser ces nouveaux médias, sont devenus trop importants et constituent une des tendances essentielles de notre époque. » Nos smartphones sont devenus des outils sociaux incontournables : « quand le smartphone est cassé ou que la batterie est déchargée, pour beaucoup, c’est la catastrophe. il y a quelques jours, j’étais dans un taxi en Corée du Sud et face à moi, au dos du siège du conducteur, il y avait une affiche sur laquelle on voyait une femme avec un smartphone dans la main pleurer abondamment. En dessous, on pouvait lire : ‘si votre batterie est vide, nous pouvons vous aider.’ Quelle était la cause de son chagrin ? Sa batterie vide. Nous en sommes aussi loin. Le bonheur est devenu si fortement tributaire de ces technologies et celles-ci sont tellement impliquées dans tous nos actes et dans toutes nos pensées que nous ne pourrons plus, à mon avis, y renoncer. »
Il ne tarde pourtant pas à ajouter : « Assurément, on doit y réfléchir, en discuter, lire un peu, regarder personnellement ce qu’il en est exactement et se poser à soi-même les questions auxquelles on se retrouve confronté ici. Peut-être avons-nous besoin d’y revenir. On doit laisser le temps à toutes ces informations de faire de l’effet. Cette exposition n’est en aucun cas un divertissement. Les oeuvres exposées nous permettent de comprendre comment fonctionne la vie dans nos sociétés et de mieux communiquer. Pour que cela soit possible, il faut beaucoup de travail : de notre côté – ceux qui travaillent au Centre -, mais aussi de celui des visiteurs. En attendant, ces derniers savent aussi que, lorsqu’ils viennent ici, ils ont aussi leur part de travail : un travail qui s’accompagne d’un gain important de connaissances. ».
Au fil de cette exposition, la construction d’un tel savoir et de pratiques de résistance semble dès lors prendre deux formes : une forme symbolique et une forme pratique.
C’est certainement la chambre aménagée spécialement pour Edward Snowden par l’artiste Alice Cavoukdjian, dite Galli, qui m’a semblé être la plus représentative de cette portée symbolique. Cette artiste française a conçu une pièce de travail et de vie et l’a mise à la disposition du lanceur d’alerte. À la frontière avec le réel – Edward Snowden a été officiellement invité par l’institution à venir y travailler durant le temps de l’exposition -, cet espace met matériellement en place les conditions de possibilité de la création d’un nouveau flux de savoir et nous montre l’imminence de son élaboration. D’ici son arrivée, les visiteurs peuvent lui déposer du courrier dans une boite aux lettres prévue à cet effet dont le contenu est envoyé à Moscou chaque semaine, lieu actuel de résidence du lanceur d’alerte.
Pratiquement, les visiteurs peuvent venir y découvrir des outils, qui, s’ils sont conçus ou diffusés par des artistes, sont présentés ici afin de pouvoir être testés, réutilisés et partagés. La sculpture et installation Internet « Autonomy Cube » de Trevor Paglen et de Jacob Appelbaum est de cet ordre. En permettant d’accéder, grâce à une connexion WiFi, au réseau informatique d’anonymisation des données « Tor », cette œuvre crée simultanément la distance critique propre à l’œuvre d’art et l’effet de proximité de l’outil que l’on s’approprie. De même, avec son projet « Facial Weaponization Suite« , l’artiste américain Zach Blas proteste contre la reconnaissance faciale biométrique en organisant des workshops au cours desquels les participants construisent ensemble des « masques collectifs » composés des données de leurs visages et qui, une fois portés, ne sont plus analysables par les technologiques biométriques. Présentés dans l’exposition sous la forme d’une vidéo, de photographies et des objets réels, ces derniers peuvent être utilisés pour préserver son anonymat lors de manifestations ou de mouvements sociaux.
Le Centre d’art et de technologie de Karlsruhe apparait non seulement comme un lieu clé où les lanceurs d’alertes peuvent s’exprimer, mais aussi où la construction d’un savoir autre, alternatif est possible. Travailler à transformer le monde, c’est (aussi) travailler sa pensée. L’objectif de cette exposition est de donner naissance à (ou de renforcer) un regard critique des visiteurs sur leurs pratiques, sur les infrastructures qui constituent le monde contemporain, sur les services qu’ils utilisent, les conditions de production des informations qu’ils consomment, et des risques inhérents pour que, sous couvert de sécurité et de lutte contre le terrorisme, ils ne confondent pas, à l’instar de l’oeuvre de l’artiste hongrois Erik Mátrai, les caméras de surveillance avec des anges. Entre états des lieux et outils d’action, cette exposition est un appel : un appel à la vigilance.
Pour aller plus loin :
– Site Internet du Centre d’art et de technologie des médias de Karlsruhe (en anglais et allemand),
– Présentation de l’exposition « Surveillance et censure mondiales » (en français),
– Présentation de l’événement « GLOBALE » dans le cadre duquel cette exposition est organisée (en français).
Infos pratiques :
– Lieu : ZKM | Karlsruhe, Lorenzstraße 19, 76135 Karlsruhe, Allemagne
– Durée de l’exposition : du 3 octobre 2015 jusqu’au 1 mai 2016.
– Horaires d’ouverture : 10h-18h du mercredi au vendredi. 11h-18h le samedi et le dimanche. Fermé le lundi et le mardi.
– Trajet gare de Karlsruhe – ZKM : Tram 2 (arrêt : Karlsruhe ZKM) ou bus 55 (arrêt : Karlsruhe Lorenzstr./ZKM) ou environ 30 minutes de marche.
[…] Un évènement majeur au ZKM Karlsruhe, dédié à la digitalisation des sociétés contemporaines et à sa compréhension depuis 1989. […]
Comments are closed.