Pierre Morel est photojournaliste depuis 2008. Basé à Paris, il travaille principalement en commande pour les journaux, entreprises et institutions. Il s’intéresse de près à l’évolution et aux conditions d’excercice de sa profession.
C’est mon 5éme Visa, mon premier était en septembre 2007. Pour les photojournalistes, c’est un rendez-vous incontournable pour prendre le pouls de la profession. Our Age Is Thirteen m’a demandé de réunir 10 éléments importants que je retiens de l’édition 2015.
En 2008, après mon second Visa pour l’Image, j’avais publié une longue critique sur le forum Photojournalisme.fr (aujourd’hui hors ligne) sur le festival qui me semblait manquer de modernité et d’intérêt pour le jeune photographe que j’étais. Un débat public à la MEP s’en était suivi en mars 2009 où Jean-François Leroy était venu expliquer et défendre son idée du photojournalisme et du festival. Quelques années après, Visa n’a pas foncièrement changé, mais les festivaliers, les débats et l’esprit général évoluent.
1. Plus de 46 nationalités présentes
Visa pour l’Image est connu dans le monde des photojournalistes comme le festival qu’il faut faire au moins une fois dans sa vie. C’est notre pèlerinage à La Mecque. Par conséquent, malgré son grand classicisme, son attractivité reste certaine considérant que plus de 2800 professionnels dont près de 980 photographes de plus de 46 pays se sont retrouvés toute la semaine.
C’est aussi la démonstration de la nature profondément internationale et universelle de notre industrie. Les agences, les diffuseurs et la communauté s’organisent en dépassant les frontières. À Visa pour l’Image, les échanges de pratiques, conseils et autres s’en trouvent facilités. C’est enfin la meilleure garantie pour que la semaine d’ouverture reste moderne et connectée au monde.
2. « crise du photojournalisme » et « âge d’or » n’existent plus.
« Crise du photojournalisme », et « âge d’or de la profession ». Ces deux idées, constamment répétées par les professionnels et par toute la littérature sur le sujet, sont devenues tellement communes et politiquement correctes qu’elles se sont imposées comme des vérités, comme des synonymes de notre métier. Ces idées ne signifient plus rien. Bref, à partir d’aujourd’hui, cessons tout simplement de les employer. Cessons de commencer tous les articles sur notre profession par 5 paragraphes qui résument l’histoire de notre métier et ses enjeux. Les Échos ont commencé timidement avec un article « Le photojournalisme reprend un peu espoir après des années de crise » publié pour le festival.
Les termes du débat et de l’avenir sont aujourd’hui connus, le plus dur économiquement est derrière nous. Les enfants de la crise et les photographes en activité depuis 2000 composent la majorité des festivaliers en 2015. Les trentenaires sont là. La nostalgie disparaît. Il ne nous reste plus qu’à nous séparer de l’idée même de crise, pour que cela aille définitivement mieux et pour écrire sereinement les 10 prochaines années.
3. Les photographes seuls avec leur sujet et editing
« Cette année, nous avons reçu près de 4500 propositions. Un record. Cela ne veut pas dire – hélas ! – que tout est bon, qu’il n’y a rien à jeter… De bonnes idées, souvent. La technique est là, presque toujours. Néanmoins, une constatation, que l’on pourrait généraliser : la médiocrité, parfois même la pauvreté des editings. Oh là là ! Les iconographes, au secours ! Les photographes ont besoin de vous ! La qualité du travail n’est pas à remettre en cause, non. Mais la construction des sujets… » C’est le point clé de l’édito de Jean-François Leroy cette année, et c’est le challenge principal pour la profession dans le futur : comment mieux aider et donner des retours aux photographes, complètement externes désormais aux rédactions et aux agences, tout en réduisant au minimum les contacts avec les photos editors.
Olivier Laurent du Time Lightbox, qui avoue avoir vu 71 photographes en rendez-vous en 4 jours, ainsi que les files d’attente de plus de 2 h au Palais des Congrès pour obtenir une lecture de portfolio organisée par l’ANI et le 2ème Bureau témoignent d’un vrai besoin pour les photographes d’avoir des professionnels avec qui échanger. L’avenir du photojournalisme passe aussi par ce que peuvent proposer les iconographes, rédacteurs photo, accompagnateurs de projets ou directeurs de structures. Ils ont un boulevard de travail et de demandes devant eux et doivent multiplier les espaces où ils rencontrent les photographes. Ils doivent initier des workshops, de la documentation sur l’éditing, sur la construction des sujets et sur l’angle d’observation. Cela permettra d’élever le niveau général de la profession, de diversifier davantage les sujets en multipliant les axes de travail et en donnant aux photographes les informations sur les histoires trop traitées.
4. Le rapport sur le photojournalisme : un super guide pour comprendre le métier
Depuis quelques années, les rapports se succèdent sur le photojournalisme ou la photographie en général. Souvent commandés et publiés par les autorités publiques, ces rapports sont indigestes, même s’ils sont riches en données. La SCAM s’en inspire, mais est allée beaucoup plus loin dans son étude « Photojournaliste, une profession sacrifiée » dévoilée à Visa pour l’Image. 60 pages coordonnées par Béatrice de Mondenard qui a passé plusieurs mois à rencontrer les acteurs de la profession et une diversité de profils. Elle dresse un tableau de ce qu’est ce métier et, surtout, de comment on le pratique en France. Si le rapport a une visée politique et militante, il n’en reste pas moins un excellent moyen pour les aspirants photographes (ou non) d’appréhender ce métier et les différentes façons de faire. Le carnet central, par exemple, propose trois photos du 11 janvier qui ont connues trois histoires économiques totalement différentes alors qu’elles décrivent le même événement.
C’est la lecture à faire en ce début d’année et c’est le rapport à transmettre dans les écoles.
5. Pas de batterie sur les portables.
Ce n’est pas forcément propre à Visa pour l’Image, mais c’est une problématique professionnelle si l’on considère les smartphones comme outils de travail pour notre profession. Ce festival aura vu la quasi-totalité des festivaliers à la recherche d’un point de charge au long de leur journée. C’était presque une obsession. Quelque chose à planifier.
Nombreux sont ceux qui se sont trouvés déconnectés. Plus de rendez-vous, plus de contact faute de batterie. À ce titre, Visa pour l’Image avant les smartphones était plus moderne et connecté.
6. Dysturb x MYOP, Lumix festival ou Prix Mentor rafraichissent Visa
L’agence MYOP et le collectif Dysturb se sont retrouvés cette année pour occuper un grand espace « la maison MYOPxDysturb », dans une rue du centre-ville. En plus d’expositions et d’une proposition de scénographies intéressantes, ainsi qu’une trentaine de photos affichées en ville, ce partenariat était l’occasion de proposer des débats sur des thèmes comme l’éthique, le photojournalisme et l’humanitaire.
On espère que ce genre d’initiatives se reproduiront, elles apportent de la fraîcheur au festival. Tout comme la présence de l’équipe du Lumix Festival, le festival de de la jeune photographie documentaire qui a lieu tous les deux ans à Hanovre (Allemagne) qui montrait des images dans le OFF et organisait des lectures de portfolios.
Dans les initiatives de cette année, il y aussi le prix Mentor initié par Freelens : des photographes doivent présenter leur travail et leur univers devant un jury et le public. Ces derniers votent en live pour choisir celui qui pourra soutenir un projet photographique en novembre prochain à Paris. Il y avait une session à Perpignan et c’est Capucine Granier Deferre qui a remporté cette édition.
7. Soirées de projections : le montage interroge toujours
Si Visa pour l’Image avait besoin de boucler un budget compliqué, il pourrait mettre en vente un single de leur désormais célèbre musique qui accompagne la rétrospective des mois de l’année à chaque début des projections du festival. Cette musique, une belle boucle, agit comme une drogue sur les photographes dès leur premier Visa. C’est peut-être même pour ça qu’on vient à la projection, pour l’entendre et se laisser embarquer avec elle.
Blague à part, au-delà de cette musique, je n’ai eu cesse d’entendre des remarques de photographes et de citoyens non photographes qui s’interrogent sur les montages des projections. Malgré la faillite de la société qui produisait les soirées depuis 26 ans, ses ex-employés continuent à travailler sur les projections. Pourtant, c’est difficile d’oublier que depuis 10 ans, le montage de diaporama photos s’est largement diffusé sur internet. Par conséquent, on a vu de plus en plus de productions de qualité. On a vu la mode des POMs, les interventions répétées de Mediastorm et ses nombreuses productions. C’est alors assez compliqué de rentrer dans les montages souvent rétros projetés à Visa pour l’Image.
Ce qui est plus important encore, c’est que le public regrette amèrement que certains sujets et images soient détruits par un montage qui surjoue d’effets. On préférerait pourtant la simplicité. Une image après l’autre. Ça nous suffit. Comme sont les expos d’ailleurs.
8. Lagos par Robin Hammond
Si j’ai décrié les projections dans mon point 7, je n’en suis pas moins heureux des découvertes qu’elles offrent. C’est très fort de voir des images en très grands format (avec des couleurs et un détail parfait) présentées à un large public toujours présent. C’est pour cela que le sujet « LAGOS – NO BE SMALL T’ING » a fait réagir positivement lors de sa projection mercredi soir.
La combinaison d’une série de portraits d’habitants de Lagos à un editing très large du travail de Robin Hammond offre une vision extraordinaire et nouvelle de l’Afrique dont le photographe défendait l’idée en 2013 ici : Photojournalisme : sortir l’Afrique de ses clichés. Son travail n’a pas la même force que sur le web et grâce à cette projection, c’est l’un des coups de coeur de ce visa 2015.
9. Des légendes parfois trop légères
L’ambition journalistique du festival se heurte aussi parfois sur certaines expositions à une légèreté bien trop grande sur les légendes et la contextualisation des photographies. Plusieurs photographes se contentent trop souvent de légendes sans date, sans identification des personnes en présence, sans le lieu de prise de vue. L’expo de Goran Tomasevic, témoin à la première loge des évènements au Burundi, ne comportait pas de dates ni de contexte sur plusieurs images.
Les photographes soumettent les légendes et on pourrait attendre de Jean-François Leroy et son équipe d’exiger plus de rigueur à ce niveau. C’est un problème récurrent à Visa pour l’Image. Et pourtant, c’est possible de faire des légendes de qualité comme dans l’expo de Daniel Berehulak sur Ebola. Pourquoi ne pas le généraliser partout ?
10. Visa pour Leroy
Visa pour l’Image est plus que jamais le festival d’un seul homme, son fondateur : Jean-François Leroy. Peu de festivals connaissent un unique commissaire (rédacteur en chef) depuis leur création. Leroy choisit parmi les 4500 sujets proposés cette année, il donne aussi le ton de la scénographie, de la direction artistique des soirées et, au final, de sa vision du photojournalisme qu’on pourrait signifier de classique et traditionnelle tant elle a si peu évolué à Visa depuis 25 ans. Jean-François Leroy innove certes avec le prix du Webdocumentaire, l’invitation d’André Gunther en 2014 ou cette année un blog des coulisses de Visa mais le débat le 3 septembre entre lui et Lars Boering directeur du World Press Photo était à ce titre révélateur. Si Leroy pense que l’évolution ne se justifie que rarement et n’accepte pas la ligne éditoriale que prends le jury du World Press, Boering semble souhaiter, à travers son organisation, faire évoluer le médium, ses représentations et embrasser un large champ du photojournalisme de manière collégiale.
Quand on parle de Visa pour l’Image, on parle en fait de Jean-François Leroy. Il faut approcher le festival en ayant cela en tête pour comprendre l’inégalité de qualité des sujets et des projections. Ce festival est à l’image d’une personnalité humaine. Il comprend le meilleur, mais aussi les contradictions et les faiblesses qui font de nous des êtres sensibles. Ce qui signifie aussi des êtres avec des idées et des partis pris fort.
Et Jean-François Leroy a la qualité du cœur : il aime les photographes, ses photographes. Les longues étreintes et l’émotion qui est la sienne notamment lors de la remise des différents prix nous le prouvent. Il donne de l’amour et de la place aux photographes, d’où qu’ils viennent (on pense à la jeune Adrienne Surprenant ou au Somalien Mohamed Abdiwahab cette année).
Il construit un festival de cœur, où solidarité, fête, et vivre ensemble sont au rendez-vous. Parce qu’il est une incarnation, un esprit qui partage et réunit, il a transformé Visa pour l’Image en un grand rendez-vous de famille.
Dans une interview à Blink cette année, il évoque sa succession, il a quelques noms en tête. La question mérite de se poser. Car en s’appuyant sur l’équipe de Visa, qui pourrait incarner à la fois une proposition éditoriale forte et moderne, réellement journalistique, et à la fois un esprit et un individu qui puissent nous permettre de nous rencontrer, de provoquer l’émulation, un esprit qui continue à nous aimer. Et à qui on peut dire merci, comme je dis merci à Jean-François Leroy.
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[…] article assez intéressant à propos du dernier Visa pour l’Image sur le site d’OAI13 (Our Age […]
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