On a tous connu cette déception, un hamburger entre nos mains, de constater qu’il ne ressemblait pas vraiment à celui sur les pubs des fast-food. Que les produits de la restauration rapide soient plus beaux et appétissants sur les photos que dans la réalité ne nous empêche pas de les manger. Ces images, pourtant irréalistes, nous apparaissent presque normales. OAI13 a rencontré un photographe travaillant pour la restauration rapide et lui a demandé en quoi consistait la photographie de junk-food.
| par Nathalie Hof, images issues de press kits Quick & KFC
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Alimentation : l’impact de la photographie sur nos assiettes
Aaah ces pizzas fondantes, ces hamburgers croustillants et ces salades rafraîchissantes que nous promettent les affiches sur les devantures des fast-foods ! Pourtant, une fois la porte franchie, la pizza devient moins garnie, le pain plus mou, la salade tassée. Visuellement, le produit ne répond pas à nos attentes… Et pourtant, depuis le temps qu’on les voit ces images, on devrait le savoir !
Ces codes visuels étant entrés dans nos habitudes, on ne remarque même plus que la photo ne ressemble pas au produit. En s’interrogeant sur les dessous de la photographie de fast-food, on a fini par se demander s’il y-avait un épuisement de l’esthétique de cette photographie ? Pour ça, on a interviewé un photographe culinaire qui travaille régulièrement pour des entreprises de restauration rapide. Il nous a raconté comment se passait une séance photo type, la marge de manoeuvre qu’il avait en tant que photographe, les contraintes de cette photographie… mais aussi ses limites.
Pour des raisons professionnelles, la personne que nous avons interviewée a préféré rester anonyme. Les photographies sont issues des packs presse des marques.
OAI13 :Comment ça se passe une prise dans vue des produits de la restauration rapide ?
P.A : En ce qui concerne le grand classique du hamburger, la constitution générale est toujours la même. Le fabricant nous envoient les buns [ndlr. pain hamburger] la veille ou le jour même de la prise de vue. On en reçoit 100-150 et on fait un casting juste après leur sortie du four pour en sélectionner deux ou trois. Le casting sert évidemment à prendre les plus beaux, ceux avec le moins de défauts possible. Après la prise du vue, ils sont post-produits sur Photoshop pour enlever les dernières imperfections.
En général, les produits viennent du fabricant, sauf pour les steaks et les légumes. La viande fournie dans les hamburgers est un mélange qui ne fait pas du tout l’affaire visuellement, donc en général on prend plutôt de la viande chez le boucher. Idem pour les légumes : dans les restaurants, ils utilisent plus des salades iceberg qui sont très raides et pas du tout visuelles, contrairement aux salades ondulées choisies pour les prises de vue. Les tomates et les oignons viennent quant à eux la plupart du temps du marché.
En ce qui concerne le dressage, la viande est pratiquement toujours montée avec un carré de fromage où la pointe est mise en avant. La salade tient dans le bun avec des épingles. Comme les hamburgers sont en général froids au moment de la photo, la styliste rajoute souvent un jus de cuisson ou une huile pour donner l’impression que le produit sort du four.
La façon dont on stylise et photographie un hamburger est finalement caricaturale : on a pris l’habitude de les voir ainsi en photo même si ça ne correspond pas nécessairement à ce que l’on a quand on va dans le magasin. Visuellement ça ne gène personne mais en fait il n’y a aucune cohérence.
Est-ce qu’il y a des particularités propres à la photo de fast-food ?
Les photographes qui travaillent pour les grosses compagnies alimentaires sont en quelque sorte des mercenaires : ils sont là pour faire une photo qui fasse envie. Le cahier des charges est souvent assez lourd. L’angle de prise de vue et la lumière sont plus ou moins imposés : on ne peut photographier le produit que de face, 15° plus haut avec une lumière arrière qui tombe sur le produit, créant ainsi un halo lumineux sur le haut du bun.
Pour reprendre le cas du hamburger, dès l’instant où il est dressé, on le photographie dans une situation plus ou moins toujours similaire, c’est-à-dire devant un fond blanc détouré. Mettre en valeur le hamburger, c’est le plus souvent le travail du styliste culinaire : le photographe va juste réaliser l’image d’un objet terminé en soi. Après la prise de vue, on fait de la post-production dessus pour optimiser les zones très sombres sous les rondelles d’oignons et voilà. Le but, c’est juste de rendre le produit beau.
Est-ce qu’il y a des contraintes particulières à faire de la photographie dans la restauration rapide ?
Oui complètement : il y a une demande du client extrêmement pointue car il sait exactement ce qu’il veut. Les trois quarts du temps, ces codes visuels sont à peu de choses près les mêmes pour toutes les marques. Ils correspondent à la manière dont on dispose les aliments et dont on photographie le produit stylisé. En ce qui concerne la pizza par exemple, on va rajouter un fond de purée sur la pâte pour que les éléments composant la garniture paraissent s’y enfoncer. Visuellement, ça donne une impression de matière et ça permet de tricher un peu sur les quantités.
Cette façon de restituer les aliments n’a pourtant aucune existence réelle. Si vous allez chez un marchand de hamburgers, jamais vous n’allez trouver ces trois petits points de sauce posés à la poche à douille sur le coin de votre hamburger.
La problématique générale reste tout de même d’être crédible : si la photo est over-promising [ndlr. trop prometteuse], ça passera pas.
On est toujours sur la corde entre faire une image qui soit appétissante et prometteuse et faire une image qui ne soit pas totalement irréelle. Et dans certains cas, ça peut être compliqué : quand on photographie une salade par exemple, il faut donner une impression de matière tout en évitant le tassement de la salade par des produits plus lourds. Il faut donc arriver à la dresser de telle façon qu’elle paraisse chantante sans pour autant que les produits paraissent être en lévitation.
C’est un des exemples qui correspond un peu à la limite du genre de l’artifice photographique par rapport à la réalité du produit.
De manière générale, la « triche » reste quand même relativement limitée car le souci de crédibilité est toujours présent. Et curieusement, ce genre d’artifices ne gêne que peu de personnes. Comme c’est entré dans les codes visuels, on n’y réfléchit pas : on a pris l’habitude de voir des publicités où les produits dépassaient des emballages pour embellir le produit alors que dans la réalité tout est tassé sous un opercule de plastique fermé. Intellectuellement, on fait facilement une dichotomie entre ce que propose la publicité et ce qu’on va finalement avoir en magasin.
Dans quelle mesure le photographe intervient dans une prise de vue ?
C’est difficile à dire. Ça dépend de l’agence et du produit. McDonald’s et KFC par exemple savent assez bien ce qu’ils veulent : la prise de vue est extrêmement délimitée. On nous explique en long et en large l’opération avant le jour du shooting : tout a déjà été validé en interne avant même de faire appel au photographe. Quand le client vient sur la prise de vue, il ne fait que la valider. Parfois ça en devient vraiment difficile parce qu’il peut être tatillon sur des petits détails de rien. Ces grandes entreprises sont des machines qui tournent et la place du photographe y est très restreinte.
En tant que photographe, j’ai plus l’impression que je suis là pour résoudre des problèmes techniques que pour faire des propositions créatives. Je suis là pour réaliser une prestation bien précise : à partir du moment où j’ai été choisi, je dois faire le job et le faire bien.
Inversement, je suis actuellement sur un projet de pizza où le client demande et attend des propositions de ma part. Dans ce cas, c’est parce qu’il y a un désir d’évolution de l’image vers plus de naturel de la part de l’entreprise. Et ça, c’est un changement notoire.
Je pense qu’en fait, il y a une lassitude des gens à voir ce genre de photo où l’on a l’impression de voir la énième du genre. La part de pizza parfaitement découpée au laser avec des miettes posées à côté et une lourde fumée grise derrière, qui d’ailleurs ne vient de nul part, n’a aucune réalité ! C’est tellement propre que ça ne correspond à rien.
Du coup, ce que vous voulez, c’est un renouvellement de la photographie culinaire de fast-food ?
Que la restauration rapide renouvelle ses codes visuels, oui clairement j’aimerais bien. En ce moment, il y a un phénomène de mode de prendre en photo les aliments sur des planches en bois peint, alors même que dans les règles d’hygiène, le bois est proscrit car il véhicule des microbes. Il n’empêche que visuellement, ça fait de belles photos qui font plus rêver. Faire raconter une histoire dans la photographie en utilisant des objets ou des fonds qui en ont déjà une, c’est quand même plus intéressant que de faire de la photo épurée qui ennuie tout le monde.
Après il faut voir si cette tendance va vraiment s’installer. On n’y est pas encore dans la restauration rapide mais j’espère que l’on va dans cette direction. Peut-être même qu’on y viendra au moins par nécessité, pour être dans l’air du temps…
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