Les 5 et 6 février derniers, l’artiste Mari Matsutoya, les artistes digitaux LaTurbo Avedon et Martin Sulzer, le producteur Laurel Halo, ainsi que le chorégraphe et artiste visuel Darren Johnston organisaient deux concerts de Hatsune Miku à la Maison des cultures du Monde de Berlin dans le cadre de la transmediale et du festival de musique et d’arts visuels CTM. Et ce, avec un objectif : faire du spectacle le lieu même de sa subversion.
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Hatsune Miku (« le premier son du futur » en japonais) a 16 ans, mesure 1 mètre 58 et pèse 42 kilogrammes. Et ce, pour toujours. Malgré son jeune âge, elle a déjà chanté 100 000 chansons, réalisé de nombreux concerts et collaboré avec des grandes entreprises telles que Google et Toyota.
Un record.
Et pour cause, Hatsune n’existe pas réellement, si ce n’est sous la forme d’un hologramme incarnant sur scène une voix synthétique produite par Crypton Future Media. En mettant en ligne en 2007 ce software musical, la société japonaise se retrouve vite dépassée par son succès. En 2012, elle décide alors de le doter d’une licence « Creative Commons License CC BY-NC » permettant à tout un chacun de transformer le cyber-personnage selon son goût et de le partager. Depuis, l’interprète virtuelle vit grâce à la passion de sa communauté de fans qui conçoit pour elle chansons, vidéos et artworks. Est-ce donc à cela que ressemble le futur de la musique ?
C’est justement pour démontrer le contraire que Mari, LaTurbo Avedon, Martin, Laurel et Darren ont crée la performance « Still be here ».
Contrairement à ce que la mise en scène spectaculaire mêlant vidéo, hologramme et son pouvait suggérer aux premiers abords, l’événement phare des deux festivals berlinois n’était pas un nouvel hommage à la pop-star. S’il s’est ouvert comme un concert « classique » de Hatsune Miku, les paroles des chansons et les interviews apparaissant à l’écran ont très vite changé la donne : alors que la voix synthétique nous annonce mélodieusement qu’elle sera « toujours là » pour nous, ses concepteurs et ses fans témoignent de l’engouement qu’ils ont pour le cyber-personnage. Ce qui interpelle alors, c’est la manière dont une telle figure virtuelle est devenue en quelques années l’objet d’une attention démesurée. Nous découvrons ainsi Rudolf, un enseignant de 61 ans qui se déguise en Hatsune Miku durant son temps libre. Son accoutrement, qu’il a lui-même conçu, ne pèse pas moins de 20 kilogrammes.
Un(e) cosplayer (Rudolf ?) était d’ailleurs présent à la Maison des cultures du monde de Berlin le 6 février dernier :
#hatsunemiku is here. And it freaks me out pic.twitter.com/7zMrKZYgcB
— benjamin bartholet (@Telohtrab) 6 février 2016
Mari souligne ainsi que Miku, appropriable par chacun et dupliquable à l’infini, n’est que le « réceptacle vide dans lequel nous projetons nos propres fantasmes ». Le software à succès s’est constitué en mythe en devenant un produit culturel construit directement par des consommateurs aux voix multiples.
La voix dissidente de Mari en fait-elle alors partie ? Oui.
Pour déconstruire un mythe, il faut d’abord le reconnaitre comme tel. Et c’est ce que les artistes font ici en rassemblant chansons et témoignages des acteurs ayant contribué à le forger. Mais c’est aussi ce qui fait la force de la performance « Still be here » : en mettant à nu Hatsune Miku et en rendant l’origine de son succès plus transparente en utilisant cette même licence qui lui permet d’exister, la performance fragilise le personnage. Plus qu’une nouvelle pop-star, c’est nous-même et nos désirs, manifestés collectivement sous la forme d’une figure virtuelle, qui étaient présents sur la scène de l’auditorium de la Maison des cultures du monde.
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