Le conflit qui a secoué la bande de Gaza ces derniers mois a été relayé et analysé dans tous les médias et des photographes du monde entier s’y sont rendus pour couvrir les événements. Si on entend beaucoup parler de ces photojournalistes qui se rendent à l’autre bout du monde pour témoigner d’un conflit, de ceux qui, vivant et travaillant dans les pays concernés, moins. Les membres du collectif Actives Stills sont de ceux-là. Ils vivent en Israël ou en Palestine, sont majoritairement d’une des deux nationalités, connaissent très bien la langue et les lieux qu’ils couvrent et s’y investissent personnellement sur le long terme. Qu’il y ait conflit ou pas, ils sont là. Pour se présenter, le collectif écrivait : « La photographie est un canal d’expression de soi. L’appareil photo est la bouche. La photo est le cri. ».
| par Nathalie Hof
► ► ► Cet article fait partie du dossier Documenter le conflit : mission impossible ?
« Pour nous [Les photographes d’ActiveStills], c’est vraiment important de revenir constamment sur les mêmes lieux, de ne jamais arrêter de documenter ce qui s’y passe. »
OREN ZIV
Active Stills est un collectif de dix photographes israéliens, palestiniens et internationaux déterminés à produire des photos pouvant avoir un impact sur la situation politique et sociale d’Israël et de Palestine. Tous les membres du collectif, qu’ils soient locaux ou d’origine étrangère, vivent dans cette zone géographique et photographient le conflit qui se déroule en bas de chez eux. Directement impliqués, leurs images ont pour but d’informer les populations locales, de les rendre conscientes des injustices, des formes d’oppressions et des problématiques sociétales qui se passent autour d’elles (droits des femmes, immigration, droit au logement, droits des animaux entre autres) : « Nous utilisons la photographie comme outil pour le changement social et politique et pour donner une voix à des sujets et des questions qui ne sont pas couverts par les médias ou qui le sont, mais pas dans le sens que nous pensons être le bon. Notre but consiste majoritairement à nous adresser au public israélien, mais aussi bien sûr à l’étranger. » (Oren Ziv, co-fondateur d’ActiveStills).
Pour eux, l’enjeu principal actuel est de s’engager contre la politique d’Israël envers la Palestine. Pour cela, ils soutiennent la lutte populaire palestinienne contre l’occupation israélienne et dénoncent le siège sur Gaza.
On a interviewé Oren Ziv, co-fondateur et photographe d’ActiveStills. Originaire d’Israël, il réside à Tel Aviv d’où il s’engage, depuis le début des années 2000, dans une lutte contre toutes les injustices qui se déroulent autour de lui avec comme armes, son appareil photo et un collectif qui donne de la force et du pouvoir aux images de chacun.
ActiveStills, la naissance d’un mouvement local
« Nous avons commencé ActiveStills parce que nous voulions avoir le contrôle sur la façon dont nous publions nos images et ça, c’est un pouvoir important. »
OREN ZIV
ActiveStills est né en 2005 en Israël suite au projet de 4 photographes de faire connaître la situation du village de Bil’in en Cisjordanie où le gouvernement israélien a eu pour projet de construire un mur qui prendrait plus de 60% du territoire du village. A l’issue de ce projet, les photos sont exposées sur les murs de Tel Aviv. Le but est d’interpeller, non pas les personnes déjà intéressées par la photographie ou par la situation politique et sociale de la région, mais les habitants de la ville en général, sans distinction aucune. Affichées illégalement, les photos ne portent pas le nom des photographes mais celui, conçu pour l’occasion, d’ActiveStills. A l’issue du projet, les quatre photographes, trois israéliens et un argentin, décident de continuer ensemble à réaliser ce genre d’actions et d’étendre la lutte en créant un collectif : ActiveStills est né.
« Depuis 2003, je me joignais à différentes manifestations contre le mur et contre l’occupation israélienne en Palestine. En 2005, j’ai commencé à aller dans le village de Bil’in, en Cisjordanie. Les habitants ont commencé à organiser des manifestations hebdomadaires contre le mur et de nombreux activistes israéliens, ainsi que d’autres personnes, les ont brûlé.
C’est dans ce contexte que j’ai commencé à travailler et que j’ai rencontré trois autres photographes qui, comme moi, venaient y prendre des photos, non seulement parce que c’était leur métier, mais aussi – surtout – parce qu’ils s’intéressaient à la situation du village et qu’ils voulaient montrer ce qu’il s’y passait. A cette période, ces événements [à propos du mur et du village] n’étaient pas véhiculés dans beaucoup de médias. Après y avoir documenté pendant plusieurs mois les manifestations et la vie quotidienne des habitants, nous avons cherché, avec notre petit budget, un lieu d’exposition qui ne soit pas une galerie ou un autre lieu où les seules personnes qui viendraient seraient des personnes intéressées par la photographie ou déjà d’accord avec nous et informées par ces problèmes sociaux et politiques. Nous voulions nous adresser aux personnes d’Israël en général et c’est pourquoi nous avons choisi d’exposer les photos dans des rues passantes de Tel Aviv. »
Nous sommes sortis de nuit coller les photos sur des murs abandonnés. Parce que nous ne voulions pas mettre nos noms sur les murs et avoir des problèmes avec la municipalité – car ce que nous faisions était illégal, nous avons choisi le nom d’« Active Stills » pour nous représenter. Puis nous avons ouvert un site Internet où les gens pouvaient voir nos photos et obtenir plus d’informations sur l’exposition. Après ça, nous avons décidé de continuer à travailler ensemble et c’est comme ça que le collectif est né. »
ActiveStills documente un grand nombre d’actualités en cours. Leurs travaux sont ensuite publiés directement sur leurs réseaux sociaux et dans leurs archives, ainsi que dans des médias internationaux, locaux et indépendants avec lesquels le collectif coopère comme +972 Magazine qui couvre les événements se déroulant en Israël et Palestine. Il travaille aussi avec des ONG locales et internationales. Dans tous leurs sujets, la ligne directrice reste la même : lutter pour la justice sociale dans leur pays en gardant le contrôle sur le type événements à couvrir et sur la manière dont ils les publient.
Pourquoi je préfère photographier chez moi ?
« Un photographe local a entre les mains plus de points de vue différents qu’un photographe étranger sur la manière dont on peut regarder les choses. »
OREN ZIV
L’intérêt du collectif est de photographier local, de documenter sur le long terme le conflit qui se passe dans sa zone géographique : non pas seulement le conflit en lui-même, mais aussi tout ce qui se passe autour, avant, après. Les événements ne sont pas couverts de manière ponctuelle : les photographes sont présents auprès des populations et s’enquièrent de leur quotidien ; qu’il se passe quelque chose de notoire ou pas.
« Je pense que, si vous n’êtes pas un photographe local ou même un photographe étranger qui vit ici depuis longtemps, vous ne continuerez pas pendant 10 ans à documenter la même lutte, les mêmes questions, d’aller encore et encore aux mêmes endroits même s’il ne s’y passe plus rien de nouveau. Pour nous, c’est très important de revenir constamment sur tout cela pour ne jamais cesser de documenter ce qui se passe. Si vous n’êtes pas local, je ne pense pas que vous seriez en mesure de le faire. »
De cette manière, ils ont non seulement une très bonne connaissance du terrain – qui est aussi celui de leur quotidien, mais ils maîtrisent aussi la manière dont ils veulent l’aborder : « Nous avons le pouvoir de décider où l’on veut aller ou pas. ». Les photographes d’Active Stills se sentent directement concernés par les problématiques, les personnes et les lieux qu’ils couvrent car ils les connaissent souvent personnellement :
« Si j’ai commencé Active Stills, c’est parce que ça me rendait fou de savoir que la Cisjordanie était seulement à 40-50 km de Tel Aviv et que les gens ici ne savaient pas ou ne voulaient pas savoir ou voir ce qui se passait derrière le mur de séparation. C’était important pour moi de montrer les choses qui se passent ici. »
Ce n’est pas tant la photographie de conflit qui intéresse Oren Ziv que la documentation des changements et processus qui se produisent dans sa zone géographique. Et pour cela, une présence constante est nécessaire car c’est un travail de fond qui se transforme en le travail d’une vie. Ce n’est qu’ainsi qu’Oren Ziv pense que l’on peut vraiment comprendre une situation et vouloir s’y impliquer d’une manière durable : « Nous espérons que nous réussirons à montrer un peu de cette situation compliquée avec nos photos. ».
Dans quel but ? Dans une volonté ferme de s’impliquer et d’interagir avec les événements pour avoir un impact ciblé :
« quand vous travaillez pour un journal, le fait d’être un photographe étranger ou un photographe local n’a pas d’importance : vous racontez une histoire qui sera ensuite éditée et c’est votre éditeur qui vous dit ce qu’il faut faire. Nous avons senti que nous n’avions pas de plateforme pour raconter des histoires beaucoup plus compliquées et menées sur le long terme comme celles que nous faisions, et c’est pourquoi nous avons commencé ActiveStills. Parce que nous voulions avoir le contrôle sur ce que nous photographions et sur la façon dont nous les présentions. »
Les photographes d’Active Stills savent pertinemment où ils vont et ont des objectifs précis qui servent directement les personnes et les territoires qu’ils photographient.
Une photographie qui s’engage dans le conflit
« Nous n’avons jamais essayé d’être objectif, nous ne sommes pas un média grand public. Cela ne signifie pas que les journaux grand public sont objectifs mais entre eux et nous, il y a, dès le début, une différence : nous avons toujours exprimé quelles étaient clairement nos intentions et nous n’essayons pas de paraître mesuré ou objectif. »
OREN ZIV
Les photographes d’Active Stills ne vivent pas dans leurs pays en simples observateurs. S’ils sortent avec leurs appareils, c’est parce qu’ils veulent jouer un rôle dans l’issue du conflit. Car l’enjeu est de taille : contrairement à un photographe étranger en reportage ponctuel ou en présence non permanente sur le territoire, le déroulement des événements qu’ils couvrent a une influence directe sur leur vie et sur celle de leurs proches. Presque nécessairement, c’est avec leurs tripes qu’ils ont du s’y engager :
« Lorsque vous photographiez dans votre pays, c’est beaucoup plus compliqué [que lors d’un reportage à l’étranger] parce que ce n’est pas comme si vous veniez pour un mois et que vous en oubliez ensuite les problèmes. Il reste avec vous. Par exemple, je vais en Cisjordanie et j’y photographie des soldats israéliens qui tirent sur une manifestation, sur nous, sur les journalistes et les manifestants, et ensuite je rentre à la maison à Tel-Aviv. Mais les soldats reviennent aussi à Tel Aviv – ou dans d’autres villes des environs – car ils y vivent : ils rentrent à la maison en même temps que moi. Si vous êtes à Tel Aviv, vous ne pouvez pas vous détacher de cette réalité. Vous êtes affectés par les événements. »
Le conflit israëlo-palestinien, c’est aussi leur combat, celui dans lequel ils s’engagent personnellement muni de leur appareil photo. Y intervenir, c’est prendre l’initiative de changer de manière immédiate leur propre quotidien. Aucun de leurs actes n’est neutre ou anodin :
« Quand on va dans un lieu nouveau où l’on n’a jamais vécu, on peut faire des photos grandioses. Parfois, vous devez être déconnecté de toutes les petites choses qui se passent sur le terrain pour pouvoir prendre du recul. Ce n’est pas ce que nous cherchons à faire. Nous avons une vision politique et nous ne cherchons pas à raconter une histoire ou à montrer à quel point les gens ici sont pauvres. Nous pensons simplement que la situation ici doit changer et nous espérons que nos photos montrent comment amorcer ce changement ».
Les photos d’ActiveStills ont clairement une utilité pratique : l’intérêt n’est pas tant de faire une exposition, un livre ou de se faire connaître en tant que photographe, que de servir le plus efficacement possible la cause défendue en donnant aux habitants, qu’ils considèrent comme premiers acteurs de changement social, les outils pour y parvenir :
« C’est important pour nous d’avoir un effet médiatique, que les photos sortent, que les gens nous suivent et aillent voir ensuite ce qui se passe. On ne fait pas comme d’autres photographes qui gardent leurs photos – et leur valeur – juste pour une publication spéciale, une exposition ou un livre. Une partie de notre travail est de nous joindre au conflit que nous couvrons. Si nous documentons la lutte d’un village, d’une famille ou d’un quartier qui se bat contre l’expulsion de leurs habitations, ces personnes que nous suivons peuvent utiliser nos photos gratuitement pour des communiqués de presse, des collectes de fonds ou pour du soutien juridique. »
ActiveStills est un diffuseur alternatif d’informations et de photographies qui viendrait combler une lacune dans le photojournalisme sur le terrain. Ils collectent et diffusent en permanence des images recueillies sur des lieux qu’ils connaissent d’autant mieux que, pour la plupart, ils y ont grandi ou s’y sont installés pour y vivre. Oren Ziv a mis plusieurs fois en avant le fait que les photographes du collectif « ne sont pas comme certains photographes qui viennent juste dans un lieu, prennent des photos et rentrent chez eux. Nous discutons avec les gens et entretenons avec eux des relations de longue durée. Nous allons toujours dans le village de Bil’in par exemple. ». Active Stills, ce sont ces photographes qui, acteurs dans leur pays, défendent d’autant plus ardemment une cause précise qu’ils s’y sentent personnellement engagés. Un photojournalisme qui tire sa force de l’engagement personnel et de l’énergie que des photographes déploient à couvrir des situations qui les concernent directement et qui ont fait le choix de les défendre du point de vue qui leur semblait le plus juste. C’est un engagement à vie entre un (des) photographe(s) et un territoire.
Pour naviguer dans les différentes archives d’ActiveStills :
Cet article fait partie du dossier de la semaine du 01.09.14 : Documenter le conflit : mission impossible ?
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