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Il paraît que la photographie est en train de disparaître… Et c’est vrai. Il y a même des photographes qui le prouvent dans leur travail. Ils réfléchissent à cet aspect de leur pratique et adoptent des formes de retrait par rapport à l’image : une position éthique qui fait de cette disparition l’élément central du travail.

De Vraies Images (Real Pictures 1995-2012) : une installation du chilien Alfredo Jaar. Deux cent quatre-vingt-onze photographies prises au Rwanda pour témoigner du génocide survenu en 1994. Mais deux cent quatre-vingt-onze photographies invisibles car encloses dans des boîtes noires empilées ou juxtaposées, comme pour former des stèles ou des pierres tombales. Pas tout à fait invisibles puisque sur chaque boîte, est inscrite une description de la photo qu’elle contient. Alfredo Jaar refuse de montrer ces images dont il est l’auteur.

Pourquoi ? Il s’en est expliqué lors d’un entretien avec Clément Chéroux à la Fondation Henri Cartier-Bresson, le 17 mars dernier : de retour du Rwanda, en regardant mes photos, j’ai vécu une véritable crise. Mes photos n’étaient ni différentes de celles des autres, ni meilleures ; je ne voyais pas ce qu’elles allaient apporter. Alors, j’ai cherché une autre stratégie de représentation.



Alfredo Jaar
Alfredo Jaar


Cette stratégie, c’est celle du retrait : faire disparaître la photo en mettant l’accent sur son absence. Car là où la photo manque, elle crie peut-être plus fort. Une posture singulière qui installe le photographe en équilibre entre art contemporain et photojournalisme. Une position certes critique, mais qui élabore une réponse constructive, et que l’on retrouvera ensuite dans de nombreuses autres oeuvres d’Alfredo Jaar.



Alfredo Jaar
Alfredo Jaar


Montrer en même temps que cacher. Parler en même temps que se taire. Etre à la frontière de l’apparition et de la disparition de l’image. Une œuvre est emblématique de ce processus. En 1986, Jochen Gerz et Esther Shalev-Gerz conçoivent un Monument contre le Fascisme à Hambourg. Dans l’espace public, une colonne de douze mètres est érigée. Sur la colonne, un texte écrit en sept langues (dont le turc, l’arabe et l’hébreu) invite les passants à graver leur nom pour manifester contre le fascisme. Le texte indique aussi que, au fur et à mesure de leurs signatures, la colonne s’enfoncera dans le sol. Pour ne plus laisser à la fin, qu’une plaque correspondant à la face supérieure de la colonne. Alors, dit le texte, la place de ce monument contre le fascisme sera vide. Car à la longue, nul ne s’élèvera à notre place contre l’injustice.



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Difficile d’aller plus loin dans l’élaboration d’un message pris dans un processus de disparition. Avec deux objectifs : impliquer le spectateur (ici son implication fait disparaître ce pour quoi il s’implique), et manifester de la précarité du contenu de l’œuvre.



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Photo Anima Berten
Photo Anima Berten


La disparition de la photo devient une tentation contemporaine. Mais plutôt qu’une stratégie de représentation , les photographes qui se l’approprient cherche une résonance forte avec le contenu des images.

Ainsi, Sylvie Meunier, dont les portraits d’identité du XIXème siècle sérigraphiés sur tissus semblent flotter un dernier instant. Images diaphanes, effacement céleste : une disparition feutrée, sans douleur. Des photos qui ne hurlent pas l’absence mais se dissolvent silencieusement.



Sylvie Meunier
Sylvie Meunier



Sylvie Meunier
Sylvie Meunier


Ou bien Sylvain Couzinet-Jacques, dans sa série Outstanding Nominals (2012), extrayant de fichiers de police londoniens des portraits d’émeutiers. Invisibilité des visages dissimulés derrière les capuches. Invisibilité des agrandissements photographiques. Invisibilité des images noyées dans l’ombre ou la surexposition. Mettre en avant que les photos ne sauraient être toutes-puissantes. Afficher leurs limites : il est même possible de disparaître à l’intérieur de la photo.



Sylvain Couzinet-Jacques
Sylvain Couzinet-Jacques



Sylvain Couzinet-Jacques
Sylvain Couzinet-Jacques


Ou enfin Carine Hesper et son incroyable procédé d’encre thermochromatique qui recouvre la photo mais s’estompe sous l’effet de la chaleur donnée par les mains du spectateur.


Visually Impaired from Carina Hesper on Vimeo.


Sans ce toucher, le spectateur est littéralement dans le noir. Apparaissent alors les portraits d’enfants chinois confiés à des orphelinats à cause de leur handicap. Avant que la photo ne retourne à sa nuit.



Carina Hesper
Carina Hesper



Carina Hesper
Carina Hesper


Effacement de la mémoire, droit à l’anonymat, éloignement ou détournement des regards : artistes et photographes contemporains trouvent bien des raisons de travailler autour de l’idée de disparition. Avec un écueil à éviter : celui de ne pas faire ce choix par facilité ou pour la séduction d’un dispositif, mais de l’articuler autour d’un contenu en accord total avec la forme. peut-être aussi une manière de se préparer à la disparition des photos sur nos disques durs…


Note de mise à jour du 26 Mars 2015 : Le bonus du lendemain via le Facebook de Bruno !

Le bonus à la question que je posais hier sur OAI13…

Posted by Bruno Dubreuil on jeudi 26 mars 2015

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Bruno Dubreuil enseigne la photographie au centre Verdier (Paris Xe) depuis 2000. Il se pose beaucoup de questions sur la photographie et y répond dans OAI13.