Dans les différentes histoires de la photographie, la place des femmes est surtout devant l’objectif plutôt que derrière. Or, il semblerait qu’on assiste à un mouvement souterrain et imperceptible qui mènera à une sorte de rééquilibrage des sexes dans la façon de raconter l’évolution de la photographie. Une évidence dont il y a tout lieu de se réjouir ou un combat jamais gagné ?
Voilà quelque temps, alors que je donnais un cours d’histoire de la photographie, et que j’évoquais l’oeuvre de Diane Arbus avec un enthousiasme trop modéré, la protestation a enflé. Quelques étudiantes se sont écriées qu’il y avait si peu de femmes dans l’histoire de la photo telle que je l’avais déroulée jusqu’à Diane Arbus, que la moindre des choses était de lui donner une place plus importante. Si l’argument m’est apparu peu déterminant sur le plan esthétique, il m’a quand même poussé à reconnaître la validité de la revendication. Un peu lâchement, je me suis d’abord réfugié derrière le fait que je n’étais pas l’auteur des histoires de la photographie sur lesquelles je m’appuyais, et qu’il fallait bien avouer que celles-ci réduisaient la gent féminine à la portion congrue. Mais il faut bien reconnaître aussi que, véhiculer l’idée que la photographie est un art dans lequel les grandes figures historiques sont masculines ne peut que contribuer à renforcer cette idée.
Depuis deux décennies, les travaux sur le genre (le fameux gender, né aux Etats-Unis dans les années 70) ont tellement infiltré le champ artistique qu’ils finissent parfois par reléguer au second plan les questions esthétiques. Appliqué à l’histoire de la photographie, le questionnement sur le genre consisterait alors à s’interroger sur la place des femmes dans l’histoire de la photo, sur le conservatisme social qui s’y révèle en filigrane, sur les rapports de pouvoir hommes/femmes.
Posons le cadre historique. La question porte moins sur la période contemporaine ( dans laquelle nul ne conteste l’importance de Nan Goldin, Rineke Djikstra, Sally Mann ou bien Cindy Sherman) que sur les décennies qui l’ont précédée. On y retrouve bien quelques noms, toujours les mêmes : Julia Margaret Cameron et ses portraits pictorialistes, Berenice Abbott souvent présentée comme œuvrant à la reconnaissance d’Eugène Atget, Tina Modotti et son engagement politique, Dorothea Lange et ses photos chargées d’émotion. Il y en a beaucoup d’autres, heureusement. Mais même dans les histoires de la photo, il faut attendre Margaret Bourke-White ou Lee Miller pour que leurs photos soient considérées indépendamment de tout caractère féminin qui leur est implicitement accolé.
Car la grande question est celle-ci : y a-t-il un regard féminin ? La face de la photographie aurait-elle été changée si les femmes eussent été plus nombreuses dans son corpus ? Aurait-on produit d’autres photos ? Les évènements auraient-ils été traduits différemment ? Pour ma part, je ne le pense pas : le monde de la photo ne fait que refléter un contexte historique et social et je ne crois pas que le genre inspire un œil différent. Ce qui me semble juste, par contre, c’est que l’histoire de l’art reflète ceux qui l’écrivent (et le moment auquel ils l’écrivent). Et qu’il y a fort à parier que dans le futur, certains noms féminins y prendront place car leur valeur est tout à fait égale à celle de leurs homologues masculins. Le travail de programmation entrepris par Marta Gili depuis son arrivée au Jeu de Paume va complètement dans ce sens, ramenant au premier plan les noms de Kati Horna, Laure Albin Guillot, Eva Basnyö ou Florence Henri.
Faut-il voir aussi une forme de compensation dans le fait que les femmes aient pris une place prépondérante dans la réflexion et le commentaire sur la photographie : Susan Sontag et Rosalind Krauss notamment ?
Aujourd’hui, la profession s’est largement féminisée, les écoles d’art aussi. Pourtant, cette proportion ne se retrouve pas dans les festivals de photographie qui sont loin d’atteindre la parité et exposent une majorité d’artistes masculins. Réclamer la parité semble éloigné d’un objectif artistique, mais présenter des expositions uniquement constituées de femmes-photographes ne nous semble guère plus opportun, suggérant qu’il faudrait pour les femmes une place particulière et réservée, faute de représentativité.
Je regarde rarement la signature d’une photo en me demandant si elle a été faite par une femme ou un homme. Parce que selon moi, un tel questionnement ramène à des clichés aussi éculés qu’attribuer à un art féminin plus de sensibilité ou de délicatesse. Par exemple, je me refuse à croire que les œuvres de Iris Hutegger, parce qu’elles sont brodées en partie, sont les œuvres d’une femme : elles sont avant tout celles d’une grande artiste.
PS à l’attention des lectrices et des lecteurs : bien sûr, il est regrettable de ne pas avoir cité Martine Franck, Helen Levitt, Claude Cahun, Ilse Bing, Imogen Cunningham, Lisette Model, Annie Leibovitz, Roni Horn, Mary Ellen Mark, Francesca Woodman, Jane Evelyn Atwood, Camille Lepage, Gertrude Käsebier, Lorna Simpson, Graciela Iturbide, Dora Maar et, et, et. L’histoire est en marche, elle se réécrit à chaque instant.
[…] Les femmes sont-elles sous-représentées dans l’histoire de la photo ? – OAI13 […]
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