Comment présenter une photo prête à être exposée : encadrée ou contrecollée ? Dans un caisson lumineux ou punaisée à même le mur ? Ces choix, s’ils interviennent tardivement dans le processus de création peuvent paraître secondaires, voire même se résumer à une simple question d’habillage. Ils engagent pourtant l’artiste plus qu’on le croit et déterminent, pour le spectateur, des modes de perception bien différents. Petite revue de détails.
Une fois que le tirage est effectué, il faut décider de son mode de présentation : plusieurs possibilités s’offrent à vous. Elles ne dépendent pas seulement de vos goûts ou d’un certain air du temps, mais vous projettent déjà dans l’accrochage des oeuvres : on ne construira pas la même exposition selon que les photos seront présentées dans un cadre classique ou tenues par deux épingles plantées dans le plâtre. Nous allons regrouper ces modes de présentation en quatre grandes familles : le cadre, le caisson lumineux, la photo nue et le tirage contrecollé.
Henri Cartier-Bresson Paul Strand à la Galerie du Point du Jour en 2012
Photographie : Sabrina Lesert
Le cadre semble la solution la plus classique : celle qui nous vient de la peinture. Il faut pourtant savoir que les œuvres n’ont pas toujours été encadrée. Le cadre relève d’ailleurs d’une tradition occidentale : les chinois et les japonais n’encadraient pas leurs peintures et dessins. Certes, le tableau pouvait être intégré à un retable, ou le motif de la fresque être cerné par une bordure peinte, mais le cadre lui-même, élément mobilier et décoratif, ne s’impose qu’à la fin du XVème siècle. Le cadre a plusieurs fonctions : d’une part, il accrédite la conception de l’oeuvre comme fenêtre ouverte sur le monde (voir l’article : Les fenêres de Marie Bovo). D’autre part, il isole l’image de ce qui l’entoure (les autres images, le lieu d’exposition). Enfin, il concentre le regard sur l’espace intérieur et souligne l’autonomie de la photo. Puisqu’il est connoté comme s’inscrivant dans une tradition classique, il appelle de la part du spectateur un regard classique. Mais il est bien sûr possible de servir du cadre pour établir un contraste : encadrer une photo de magazine froissée et déchirée peut être une façon d’établir sa valeur ou de porter un discours ironique sur ce qui est habituellement encadré.
Détail d’une photo de Jeff Wall dans un caisson lumineux
Le caisson lumineux est une boîte d’une certaine épaisseur : la photo, à la surface externe, est rétro-éclairée et bénéficie donc d’un éclat particulier. A ce mode de présentation apparu dans les années 70, on peut trouver deux origines : la diapositive (elle occupe à cette époque une grande part du marché de la photo) dotée d’une transparence qui lui permet d’être traversée par la lumière. Et d’autre part, les enseignes publicitaires dont l’impact est renforcé par cet éclat lumineux. Le photographe canadien Jeff Wall est le premier à en faire un large usage qu’il délaisse d’ailleurs un peu aujourd’hui : probablement parce que nos écrans ont tellement installé ce rétro-éclairage dans nos vies qu’il ne peut plus nous surprendre.
La photo nue. Epingler les photos à même le mur, leur laisser leur aspect de feuilles volantes, fragiles, c’est d’abord désacraliser l’oeuvre. On peut la piquer de trous, elle peut ne pas être parfaitement plane, ce qui compte, c’est qu’elle garde toute sa liberté. Elle s’est échappée de son cadre, de sa cage. C’est ensuite en faire un matériau : aussi facile à accrocher qu’à déplacer, elle est donnée directement au regard. Le geste de l’artiste est simple, l’oeuvre est nue, aucune vitre ne la sépare du spectateur : le contact s’établit et appelle un regard décomplexé devant l’œuvre.
Exposition Pauline Lavogez à l’Immixgalerie
Reste la forme qui est aujourd’hui la plus prisée : le contrecollage sur une fine plaque (aluminium, dibond). La photo, légèrement décollée du mur se présente alors avec des bords acérés. Elle prend un caractère de production industrielle un peu froide, reléguant dans l’ombre le travail de la main de l’artiste (tireur ou photographe). Contrairement au cadre, le contrecollage instaure plus de continuité entre les images et avec l’espace extérieur. La photo semble moins fermée, enclose sur elle-même. Comme pour le caisson, sa matérialité est renforcée : elle fait corps avec son support. Comme la photo nue, elle établit un contact direct mais un peu plus distant : sa matérialité lui donne un statut d’objet plus fort que la photo nue. Elle apparaît aujourd’hui comme un compromis idéal entre les différents supports, sans que l’on puisse affirmer qu’il en sera toujours ainsi.
Et chaque jour, de nombreux autres supports matériels s’ouvrent à la photographie : bâches, adhésifs transparents, vêtements, etc… Alors, gadget ou nécessité ? Tout dépend de la démarche de l’artiste : le support ne doit pas être une décision finale plaquée à la légère, mais investi plus en amont. Dans une démarche bien maîtrisée, les trois questions du tirage, du mode de présentation et de l’accrochage sont intimement liées et se résolvent ensemble.
par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
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