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Comment la prostitution est-elle devenue un marronnier photo ?

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Peu traitée avant les années 50, la prostitution comme sujet photographique devient ensuite plus visible. A tel point qu’elle est devenue aujourd’hui un champ d’exploration banalisé, une sorte de marronnier de la photo. On peut alors s’interroger sur les raisons qui amènent les photographes à se pencher plus massivement sur le sujet, comme si, une fois le tabou levé, l’accès en était assez facile. Serait-ce parce que, en prétendant tout montrer d’un tel sujet , la photo ne montre finalement presque rien ?



Myrto Papadopoulos
Myrto Papadopoulos


Alors que l’expression courante évoque le plus vieux métier du monde, la photographie semble bien intimidée lorsqu’il s’agit, avant les années 50, de documenter l’univers de la prostitution (alors que, dès ses débuts, elle s’est emparée de la pornographie avec vigueur, trouvant là un débouché commercial attrayant).

Nous nous laisserons séduire par l’élégance des Storyville Portraits de Joseph Bellocq : vaste ensemble de portraits de prostituées du Red Light District de la Nouvelle-Orléans réalisés autour de 1910. Nous accompagnerons Brassaï dans son Paris interlope pour y faire la connaissance de la truculente Môme Bijou. Le temps d’une cigarette, nous patienterons dans la lumière d’un réverbère. Ou bien, plus prosaïquement, la fréquentation des maisons closes de Bruxelles par Georges Thiry aura-t-elle livré quelques vues attendries d’un monde que tous ces photographes auront quelque peu aseptisé. Car leur regard est avant tout le coup d’oeil masculin sur un métier considéré comme exclusivement féminin ; et un regard de connivence, celui de clients qui ont un rapport étroit avec leurs modèles.



Joseph Bellocq
Joseph Bellocq



Brassai
Brassai



Georges Thiry
Georges Thiry


Mais c’est un tout autre Paris, bien loin de l’imagerie de Brassaï, que révèle Christer Strömholm lorsqu’il photographie ses amis transsexuels de la Place Blanche. Plus que des corps, ce sont surtout des visages que cherche le photographe suédois, ouvrant ainsi une voie documentaire.



Christer Strömholm
Christer Strömholm


Le vrai bouleversement du regard sur la prostitution vient surtout du fait qu’une partie de la profession de photographe va se féminiser. Il est temps alors de quitter le regard du client armé de son appareil pour une vision plus empathique mais aussi plus engagée socialement. Quand Jane Evelyn Atwood commence son premier reportage, Rue des Lombards, en 1976, elle tisse des liens avec la communauté des prostituées et ne gomme rien des difficultés de leur réalité quotidienne, dans la lignée de ce que Claudia Andujar avait réalisé, quelques années auparavant, dans les bordels de Sao Paulo.



Jane Evelyn Atwood
Jane Evelyn Atwood


Il semblerait alors que la vision documentaire de la prostitution ait été largement diffusée. Pourtant le sujet, aussi cru soit-il, reste souvent vu à distance « respectable », comme en témoignent les Dirty Windows de Merry Alpern en 1995.

Aller plus loin ? Montrer plus ? Antoine D’Agata pousse-t-il l’objectif au plus plus loin, au plus près ?



Antoine d'Agata
Antoine d’Agata


Et pourtant, le sujet réapparait, perdure et se rejoue à intervalles réguliers, faisant semblant de garder la même charge de transgression : tendance hallucinée de All about love, de Jean-Christian Bourcart, tendance trash de Lowlife de Scot Southern, portraits bien sages de Jane Hilton, érotisme chic de The Attendants de Myrto Papadopoulos (mais dont les photos évoquent aussi la prostitution masculine), réalisme brut des prostituées ukrainiennes de Brent Stirton, ou encore le puissant reportage de Maya Goded à la frontière américano-mexicaine (à voir en fin d’article).



Scot Southern
Scot Southern



Brent Stirton
Brent Stirton


Pourquoi le sujet reste-t-il aussi fécond ? Les raisons sont multiples. D’abord, il charrie toujours avec lui sa part d’exotisme et de pittoresque : et même si les lieux ne sont pas forcément des destinations de voyage, nous sommes comme en pays étranger lorsque nous regardons ces images. Ensuite, le sujet permet de mêler, voire de fusionner des éléments : drogue et prostitution, sexualité et argent, couleurs crues et images obscures, séduction et sordide. Autant de tensions qui permettent de créer des images ambivalentes, ce qui est toujours riche en photographie. Enfin il y a l’argument voyeuriste : qui n’a pas envie de voir ce qui est caché ? Qui n’a pas envie de voir plus ?

Et les photos portent elles-mêmes leur réponse : elles ne montreront pas plus. Elles nous transporteront, poseront des visages sur des idées, donneront une réalité à des discours abstraits. Mais elles nous laisseront dans l’attente, comme les prostituées du subtil Waiting Game de Txelma Salvans.



Txema Salvans
Txema Salvans


Pour aller plus loin

Le reportage de Maya Goded à la frontière américano-mexicaine évoqué dans l’article.

WELCOME TO LIPSTICK from Maya Goded on Vimeo.



par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué