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La stéréoscopie a-t-elle changé la photographie ?

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On étudie trop souvent l’esthétique de la photographie indépendamment de ses applications commerciales (la carte postale, le portrait-carte de visite, la photographie en relief). Or celles-ci ne doivent pas être considérées seulement comme des modes de diffusion ou des produits ingénieux. Elles ont aussi eu une influence sur la construction de l’image, sur le cadrage et l’angle de vue. Prenons le cas de la stéréoscopie et voyons quelques implications esthétiques qui en découlent.

Souvenez-vous : chez vos parents, vos grands-parents, il y avait cet appareil au design délicieusement années 60 : le View-Master. Ses planches circulaires et la rondeur de ses formes en faisait un jouet photographique au service d’une photo majoritairement touristique. La magie de cette images en relief, la façon de les faire jouer devant la lumière (si bien qu’on avait l’impression de pouvoir faire se lever le soleil à l’intérieur de la photo) ont assuré son succès commercial.

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Le View-Master n’est pourtant qu’un avatar récent de la stéréoscopie. Mais au fait, quel est le principe de cette photographie en relief ? Il est basé sur le fait que, si nous voyons en relief, c’est que notre vision associe et recompose deux visions légèrement différentes puisque décalées : celle de notre œil droit et celle de notre œil gauche. Si alors, au lieu d’une seule photo, l’appareil en prend deux légèrement décalées, et qu’elles sont présentées à une certaine distance de notre regard, alors le relief se reconstituera.
Là où l’expérience est amusante, c’est que le relief est censé se rapprocher d’une vision réaliste. Or, la photographie stéréoscopique accroît certes la profondeur de l’image, mais les différents plans apparaissent plats et clairement découpés, comme ces décors de théâtre que l’on actionne depuis les coulisses.

On aurait pourtant tort de voir la stéréoscopie comme un genre mineur de la photographie. Elle accompagne les débuts de la photo (on l’avait déjà expérimentée autour du dessin) et explose littéralement sous le Second Empire (entre 1850 et 1880). Elle devient alors un passe-temps à la mode, on la diffuse et la regarde dans tous les salons. Le stéréoscope, qui sert à les regarder, est un objet élégant, voire précieux. Et qui devient un support important pour la photo de paysage, mais aussi pour la photo pornographique, le fameux effet de réel…

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Et bien sûr, les photographes travaillent en fonction de cette application commerciale. C’est-à dire qu’ils photographient de façon à ce que la stéréoscopie puisse produire les effets les plus appréciés, pour certains les plus spectaculaires. D’abord une recherche de la profondeur, des effets qui accusent la perspective. Ainsi, cet angle étonnamment audacieux permettra-t-il de détacher la tête de l’animal et de la faire surgir au premier plan de la photo.

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Ces grandes perspectives avec lignes de fuite bien lisibles seront aussi magnifiées par la stéréoscopie :

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De la même façon, de célèbres photographies de la conquête de l’ouest américain furent conçues, à l’origine, en tant que vues stéréoscopiques. De là ces cadrages très découpés et ces premiers plans, presque en ombre chinoise, complètement détachés de l’arrière-plan : lorsqu’on les regardait dans le stéréoscope, l’effet de relief devenait spectaculaire. Aujourd’hui, de tels cadrages, de tels effets de profondeur donnés par l’étagement des plans sont évidemment couramment admis. Mais à cette époque, en dehors de cette application technique, les photographes qui composent leurs images de cette façon sont très rares.

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Carleton Watkins, entre 1861 et 1870

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Andrew Russell, 1868

 

Lorsqu’on regarde la photo ci-dessus, on est stupéfait par l’originalité de la composition qui semble quasi-géniale par rapport aux productions contemporaines. Mais on la comprend mieux si on réalise qu’elle n’était pas destinée à être vue seule, mais en relief.

Voilà donc comment un procédé technique permet aussi de découvrir de nouveaux principes esthétiques. A l’heure ou le relief (cinéma en 3D, impression en 3D) connaît une nouvelle phase d’expansion, il est permis de se demander si ce n’est pas le procédé qui impose son esthétique aux objets artistiques qui l’utilisent.

 

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Bruno Dubreuil enseigne la photographie au centre Verdier (Paris Xe) depuis 2000. Il se pose beaucoup de questions sur la photographie et y répond dans OAI13.

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