par Molly Benn, le 11 Janvier 2012
J’ai rencontré Cyrus Cornut un peu par hasard avant-hier, ce serait un peu long de vous expliquer comment. (Je voulais aller voir la conf de JR, la salle était pleine, je ne connaissais pas Cyrus Cornut personnellement mais il m’a semblé reconnaître un visage familier dans la foule de gens qui attendait au Centre Pompidou, je lui ai demandé s’il acceptait de me parler un peu de son travail), et je me suis retrouvée à une terrasse, près des Halles à improviser une interview. Le hasard fait souvent très bien les choses ! Cyrus Cornut a participé au projet F14, 14 visions de la France par 14 jeunes photographes (repérés par Raymond Depardon en 2006 pour les Rencontres d’Arles), avec sa série « Voyage en périphérie ». Son regard, dépourvu de jugement et de cliché, bouleverse la vision qu’on a de la banlieue.
Les Doucettes, Garges-lès-Gonesse
Age13 : Comment es-tu devenu photographe ?
Cyrus Cornut : À l’époque j’étais en école d’architecture. Je finissais mes études. Mais, avant de passer mon diplôme, je suis parti en Chine quelque mois…comme ça, pour faire une pause en quelque sorte. Je n’avais pas de projet précis en tête. En vadrouillant, j’ai rencontré quelques photographes du collectif Dolce Vita et de l’agence Vu. J’ai discuté avec eux et j’ai trouvé que le métier de photographe avait l’air sympa. Je voulais un projet de vie qui me donne plus de temps que celui d’architecte. Juste avant de partir en Chine, je travaillais dans une agence et j’étais pas loin de faire 70 heures par semaine ! J’aimais bien la photographie, je n’y connaissais rien. J’ai demandé à mon père de m’envoyer mon appareil photo en Chine, et j’ai essayé de composer une série cohérente de photographies. Quand je suis rentré en France, j’ai revu les photographes que j’avais rencontré à Shanghai et à Pékin. Ils m’ont conseillé d’aller montrer mes photos au festival du photo-journalisme Visa pour l’Image. Juste pour voir. J’y suis allé, j’ai montré mon travail lors des lectures de portfolio organisées par l’ANI (Association Nationale des Iconographes) et j’ai été sélectionné pour participer à une exposition parisienne dans la galerie du Bar Floréal. Cette première étape m’a beaucoup motivé. J’ai décidé que je me donnais un an pour me lancer dans la photographie, sinon je reprenais l’architecture. J’ai eu quelques coups de chance au début. J’ai fait des bonnes rencontres. Du coup, j’ai assez vite démarré et je n’ai jamais passé mon diplôme d’architecte.
Les Tours marrons, Sevran
Age13 : Comment s’est lancé le projet F14 ?
C-C : On était 16 photographes à avoir été sélectionné par Raymond Depardon en 2006 pour les Rencontres d’Arles. On ne s’est pas choisi mutuellement et on n’avait pas forcément d’affinités photographiques. Mais on formait tout de même un groupe et on a eu envie de proposer, en réponse à « La France de Raymond Depardon« , un projet photographique qui réunirait nos visions de la France. Finalement nous avons été 14 à se lancer dans l’aventure. J’ai travaillé sur les banlieues : ma série s’appelle « Voyage en Périphérie ».
Age13 : Peux-tu nous parler de ce travail ?
C-C : L’architecture des cités est un sujet qui m’a très vite tenu à cœur. Je me suis beaucoup investi dans ce projet. On a l’habitude du traitement médiatique des banlieues souvent très caricatural. Moi, j’ai essayé de proposer un regard un peu différent. J’ai voulu traiter ces barres d’immeubles comme des édifices…comme des monuments en fait ! J’ai voulu les photographier comme on photographierait la Tour Eiffel ou l’Arc de Triomphe. J’ai voulu les mettre en valeur. Non pas que j’encense ces modèles d’immeubles, mais on ne peut nier que ce sont des architectures monumentales ! J’ai aussi voulu apporter ma touche personnelle qui est très colorée, et, qui contraste avec une architecture qu’on a l’habitude de voir en noir et blanc ou qu’on envisage spontanément comme une architecture grise. J’ai eu envie de regarder ces constructions comme on regarde des OVNIS, c’est-à-dire comme des objets tombés du ciel mais qui ne sont pas du tout approprié au paysage dans lequel ils s’insèrent. Quand l’exposition F14 est arrivée à Arles puis à la BnF (en juillet et en décembre 2010), je n’étais encore qu’au début de mon travail. Maintenant, au bout de quatre ans, j’ai presque achevé ce boulot. J’aimerais à terme faire un livre et avoir une exposition qui tourne.
La Grande borne, Grigny
Age13 : Tu as donc un regard de photographe-architecte ?
C-C : Oui. Il y a, dans mes photos, le regard d’un architecte sur la ville. Ma série « Voyage en périphérie » soulève d’ailleurs de nombreuses problématiques urbaines. L’architecture influe sur ton état mental à court terme, et sur la manière dont les liens sociaux se tissent, à long terme. Beaucoup de cités ont été construites à des échelles gigantesques, avec des architectures très pauvres : il est impossible de faire vivre des gens longtemps dans ce genre d’environnement. Ces cités ont fait rêver dans leurs débuts. Elles apportaient du neuf, des services. Mais la dégradation des lieux s’est suivie d’une « ghettoïsation » des cités. Mon objectif n’est pas forcément de critiquer ce qui a été construit. Mon projet photo est aussi une manière de rendre hommage à une architecture qui, aujourd’hui, est désuète. Il y a beaucoup de cités dont on ne sait pas quoi faire actuellement. On les réhabilite, mais on se rend bien compte que c’est pas forcément la meilleure solution. Et en même temps, c’est très difficile de parler de destruction. Le sujet est sensible et politique.
Son site internet : www.cyruscornut.com