J’ai rencontré Jérôme Bryon l’été dernier, à Arles, où il présentait son exposition invisible. N’étant ni dans le in, ni dans le off, il avait réfléchi à un moyen de faire parler de son travail différemment : maquetter sa future exposition en miniature et la montrer à qui voulait bien la voir. Une loupe à la main, on se penche, on regarde, mais il faut bien dire que l’on ne voit rien. Jérôme exposait pour la première fois à Paris au mois de septembre, et ce petit évènement lui a permis d’annoncer sa prochaine expo. Je l’ai retrouvé à Art Paris Art Fair ce week-end, où il vendait quelques œuvres sur le stand de la Galerie Vieille du Temple. Cette fois ci, il a opté pour du très grand format ! Rencontre avec Jérôme Bryon.
Age13 : Aujourd’hui, est-ce que tu te définis en tant qu’artiste ?
Jérôme Bryon : Oui, je commence à assumer le statut d’artiste. Avant, je me considérais plutôt comme un « artisan photographique ». Mais maintenant, je prend l’habit d’artiste et je l’assume.
© Jérôme Bryon
Age13 : Qu’est-ce qui motive ton travail photographique ?
J-B : J’essaye de révéler le beau dans le médiocre, le banal. La photographie, c’est cadrer la réalité et donc, lui redonner un autre statut. Je suis marqué par ce côté judéo-chrétien qui me fait dire que je vais sauver le médiocre en lui redonnant une beauté. Chaque jour, je cultive mon jardin, et mon jardin, c’est ce qui m’entoure : c’est le centre commercial en bas de chez moi, la zone industrielle. Et oui, c’est moche ! Si j’étais la police du mauvais goût je punirais les architectes pour leur travail. Mais ce réel, jour après jour, continue de me séduire et de m’étonner. Le photographe peut s’apparenter au chasseur de papillons : il tire du réel des images rares. Et moi, chaque matin, quand je pars à la chasse, j’espère revenir avec une image qui me fasse du bien, qui me rende heureux.
Age13 : Pourquoi es-tu artiste ?
J-B : C’est ma thérapie, mon divan. Plus je cultive ce terrain, plus je me sens fort. Et même si parfois je touche à des choses compliquées, ça reste positif.
Age13 : Tu as eu une première exposition en galerie en septembre dernier et tu exposes aujourd’hui tes œuvres à Art Paris Art Fair. Quel chemin as-tu parcouru entre ces deux évènements ?
J-B : Je suis entré à la Galerie Vieille du Temple l’année dernière, une galerie d’auteur accessible sur le prix mais aussi sur le plan humain. Quand tu intègres une galerie de ce genre, il y a tout un protocole à respecter avant de pouvoir exposer la première fois. Certains feux verts doivent s’allumer auprès de collectionneurs en interne et des mécènes qui font vivre la galerie. Aujourd’hui, lancer un jeune artiste, c’est beaucoup d’investissement de temps et d’argent. C’est un vrai risque et il faut oser le prendre. Une fois que ces étapes sont passées, une première exposition se monte à la galerie. Plusieurs séries sont exposées et on a eu de bons retours presse. Il faut communiquer beaucoup pour faire déplacer quelques personnes. Une première exposition, c’est toujours compliqué parce que personne ne te connaît. Ton succès dépend de la force de frappe du réseau de la galerie et du tien. À la première exposition, les collectionneurs attendent de voir. Ils regardent, absorbent et digèrent. Mais la réaction n’est pas immédiate, elle vient plus tard. On a beau avoir des articles dans la presse, tout ça ne change rien au temps d’attente des collectionneurs. De plus, mon travail n’est pas dans la provocation. Moi qui vient de la publicité, je connais très bien les sujets qui peuvent marcher. L’art contemporain qu’on voit souvent à la FIAC est pour moi un art marketing, qui vient taquiner le sexe, la religion, les tabous. On voit souvent des artistes émerger avec 6 images, qui sont des scoops, qui font un carton pendant quelques mois et disparaissent aussi vite que des étoiles filantes.
Age13 : Tu as fait le choix d’une communication plus lente ?
J-B : Je n’ai pas fait de choix. Je suis comme ça. Je suis honnête avec moi-même. Au contraire, comme je viens de la pub, je ne veux pas manipuler. Je ne fais pas le tapin.
Age13 : Faire le tapin ?
J-B : C’est le mot ! Faire la photo un peu choc qui fait que tout le monde s’arrête ? Oui, je peux te la faire. Mais je la fais déjà pour la publicité. Alors, pour mon travail d’artiste, je veux être propre et dans l’authenticité. Ce que je montre, je peux le défendre.
© Jérôme Bryon
Age13 : À ton avis, pourquoi achète-t-on une image à Art Paris Art Fair ?
J-B : Ici, à Art Paris Art Fair, nous sommes clairement dans un achat instinctif contrairement à la Fiac où l’achat d’œuvre est motivé par l’appât du bénéfice. Art Paris Art Fair constitue une sorte de second marché, un marché d’auteurs, mais qui n’est pas dominant.
Age13 : Comment agiras-tu le jour où tu passeras sur ce marché dominant, confronté à ces œuvres provocatrices dont tu parles ?
J-B : Attention, sur ce premier marché, il y a aussi de vrais œuvres très puissantes. Mais on se rend bien compte que les 50 personnes qui font l’art contemporain n’ont plus rien à dire. Ils s’épuisent tout comme les festivals de photographie émergente qui mettent des coups de projecteurs sur quelques photographes qui disparaissent ensuite dans la nature.
Age13 : Selon toi, qu’apporte les festivals de photographies émergentes aux artistes ?
J-B : Je ne conseillerais pas aux jeunes photographes de participer à ces festivals. Cette piste est sur exploitée. Il y a un beaucoup de festivals et ils finissent par se tuer entre eux. Ils ne prennent pas assez soin des photographes. Finalement, ils créent une sorte de Star Academy géante et on ne voit plus personne. Il faut trouver une autre piste.
Age13 : Comme quoi par exemple ?
J-B : Il faut que chacun trouve sa voie. On est entouré de moyens de communication, il faut trouver des idées et être créatif. En fait, la question, elle est de l’ordre de la survie. En effet, tu peux briller un coup dans un festival, mais il faut continuer après. Et pour réussir ça, il faut avoir faim, faim d’exister, d’être là. L’artiste émergent peut difficilement vivre de son art. Moi, je suis photographe professionnel à côté donc je vis de la photo, mais pas d’art.
Age13 : Mais un festival reste une excellente visibilité pour un jeune photographe. Pourquoi se priver de ce coup de projecteur ?
J-B : Je ne me prive pas de coups de projecteurs. Quand je vais à Arles avec mon expo invisible, j’essaye de le créer. Mais avant, je me pose la question : qu’est-ce que je fais pour communiquer de façon différente ? Je fais le malin, le rigolo. Ça a marché et tant mieux. J’essaye vraiment de trouver une manière de communiquer différente pour être vu en dehors des codes. Il faut trouver d’autre moyen d’expression et ces moyens, tu les trouve si t’as envie d’exister.
Aujourd’hui, tout le monde a des choses à dire. Et à qualité de travail égale, la différence se fait sur la communication. Tu peux faire de très belles choses, si tu n’en parle à personne, personne ne viendra te chercher chez toi.
© Jérôme Bryon