par Molly Benn, le 24 Février 2013
Jusqu’au 16 mars 2013 à la Petite Poule Noire, Klavdij Sluban expose « Autour de la Mer Noire » : des images noir et blanc, réalisée en Russie, Ukraine, Géorgie, Turquie, Bulgarie, Roumanie… Récompensé par de nombreux prix et distinctions, il vient tout juste de se voir attribué le prix slovène de la Jeune Fille à la Flûte. Son travail profond et cohérent sont le reflet de sa carrière rigoureuse et de son exigence. Rencontre avec un photographe voyageur, engagé et libre.
Our Age is 13 : Qu’est-ce que vous racontez dans l’exposition « Autour de la Mer Noire » ?
Klavdij Sluban : Je ne raconte rien, je montre. Je montre des photographies réalisée autour de la Mer Noire entre 1997 et 2002, en noir et blanc. Je travaille toujours par cycle : je choisis une région du monde qui me tient à cœur et je l’explore. J’ai commencé avec les Balkans, je suis ensuite passé à la Mer Noire puis la Baltique.
Vous travaillez vos séries sur du très long terme. Comment réussissez vous à mener votre thématique sur plusieurs années ?
Je suis quelqu’un de lent et j’ai besoin de prendre mon temps. Je ne cherche pas à vendre quoi que ce soit. J’essaye simplement de trouver ma place dans ce bordel ambiant, dans ce labyrinthe qu’est notre vie contemporaine. Je ne peux pas vivre ma photographie autrement qu’en y consacrant du temps.
À quel moment de votre vie avez-vous décidé de vous consacrer entièrement à la photographie ?
J’ai commencé la photographie à l’adolescence, par passion. Au fil du temps, je me suis impliqué de plus en plus. J’ai commencé à montrer mon travail, donner une forme à ce que je faisais. En 1990, je suis retourné vivre en ex-Yougoslavie, en 1991, la guerre a éclaté, en 1992, je suis revenu en France. J’ai vu comme tout pouvait basculer du jour au lendemain. J’ai décidé de ne faire plus que de la photo.
Et ensuite ?
La photo, c’est comme le saut à l’élastique mais sans élastique. Il faut savoir assumer la prise de risque. Ça n’est pas anodin si Tarkovski a appelé son dernier film « Le Sacrifice ». On ne peut pas tout avoir.
Est-ce que ce sacrifice vaut le coup ?
Bonne question. Je ne suis pas encore tout à fait sur la fin. Il me reste quelques années d’activités devant moi donc j’ai encore un peu d’espoir ! Un bon artiste commence par décevoir ses parents, ses proches… Une fois qu’il s’est démarqué, il doit se placer en marge. Si il le fait pour la pose, il ne tient pas très longtemps. Mais si il le fait parce qu’il ne peut pas faire autrement…là il peut commencer à réfléchir et donner une forme à son travail. On pourrait rapprocher le parcours de l’artiste de celui du prisonnier : ils ont tous les deux cette incapacité à entrer dans le droit chemin. Je fais tout pour ne pas être aigri face à la vie. Je n’ai jamais rien attendu de la photographie, mais oui, ça vaut le coup.
Quand on se lance en tant que jeune photographe, on a souvent des doutes très profonds. Est-ce que ces moments de doutes s’atténuent avec le temps ?
Ce n’est jamais facile, ni acquis. La photographie est une manière de vivre et non un métier. À partir de ce postulat, je sais que je ne peux pas faire sans. Je fais très peu de commandes, je ne fais pas de photographie alimentaire. J’ai choisi de me consacrer à un photographie personnelle, que j’estime exigeante, en phase avec ce que je suis intérieurement. Je ne pousse que ma photographie d’auteur pour gagner ma vie. Je ne suis pas complètement partagé entre faire de l’art et faire de l’argent.
Quel regard portez-vous sur cette période de crise actuelle ?
La crise est bénéfique. Elle montre qu’il n’y a pas un seul créneau valable. Toutes les directions sont exploitables. Quoi que l’on fasse, il faudra payer de sa personne. Alors, à partir de là, autant faire quelque chose qui nous tient à cœur. De toute façon, je suis toujours en crise. Je suis en crise depuis que je suis né.
Ce qui pose problème aujourd’hui, c’est cette facilité qu’il y a dans la réalisation d’une photographie. Avant, pour être photographe, il fallait aussi être artisan. Maintenant, les gens pensent qu’ils sont photographes du moment où ils ont réalisé 3000 clichés de l’anniversaire de leur neveu. Tout ceci est un leurre. Cette facilité ne donne pas lieu à de la qualité. Pour devenir photographe, il faut éduquer son œil et connaître son medium.
Pourquoi êtes-vous photographe ?
Si j’étais Beckett j’aurais dit « bon qu’à ça ». Pour moi c’est une manière de choisir un langage autre que celui de la langue parlée.
© Klavdij Sluban