Au festival de photojournalisme Visa pour l’image qui se déroule du 3 août au 14 septembre 2014 à Perpignan, l’Association Nationale des Iconographes (ANI) organise des lectures de portfolio permettant aux photographes de montrer leur travail à des professionnels de l’image. L’iconographe Emmanuel Zbinden nous a partagé son coup de cœur 2014 : Vies spéciales réalisé par le binôme formé de Marida Augusto et Max Hirzel. Ce projet photographique, initié en 2012, documente sur le long terme la vie quotidienne des personnes handicapées de la coopérative « Domus Laetitiae Social » en Italie. Une série qui cherche à briser les tabous sur le handicap en refusant tout pathétisme et voyeurisme. Rencontre avec Emmanuel Zbinden, Marida Augsuto et Max Hirzel.
Les photographes
Marida Augusto et Max Hirzel sont deux photographes italiens.
Après des études à l’école Polytechnique de Turin, Marida Augusto travaille successivement comme directrice adjointe à la Pistoletto « Cittadellarte » Fondation de Biella, responsable de retouche-photo dans un magazine mensuel spécialisé dans la défense et la protection de la défense des droits de l’homme, des réfugiés et photographes.
Max Hirzel est diplômé en photographie à l’Institut Européen de Design de Milan depuis 1990. Il commence par devenir photographe, puis s’éloigne de la profession pour découvrir de nouveaux horizons, allant du tourisme au domaine social, avant de revenir à la photographie en 2010.
Depuis deux ans et demi, les deux photographes travaillent sur un projet commun, Vies spéciales. Ensemble, ils ont réfléchi et produit des images dans lesquelles aucun d’eux ne cherche à faire valoir son propre regard. Ils ont choisi d’appréhender le sujet de concert avec un postulat commun : le handicap ne définit pas la personne.
La thérapie n’occupe qu’une partie du temps de ces personnes. Comme pour tout un chacun, la sociabilité, les tâches quotidiennes (ménage, cuisine etc.) et les divertissements (sport, musique, bowling etc.) font partie intégrante de leur vie.
C’est cette attitude qui a d’abord touché Emmanuel Zbinden : « Au-delà des images, [il y a] l’intelligence de la collaboration entre deux photographes ».
La naissance du projet
Ce projet est l’un des aboutissements d’une commande vidéo de la coopérative Domus Laetitiae Social de Biella en Italie qui accueille, soigne et offre un espace de vie aux personnes atteintes de handicap. Avant d’aborder le sujet, les deux photographes décident de se familiariser au contact de ces dernières en assistant aux Special Olympics. Cet événement sportif pour personnes ayant des déficiences intellectuelles vise à l’amélioration de la qualité de vie de ceux qui participent.
Venus pour y photographier des handicapés mentaux, ils y ont avant tout rencontré des êtres humains. Plus que de simples relations cordiales, certaines se sont transformées en amitié : en apprenant à les connaître, ils ont découvert des personnes qui vivent pleinement et qui ne cherchent pas à paraître : « Ils sont comme ils sont. (…) Nous, dans nos relations, nous sommes pleins de murs. », racontent les photographes. Cette expérience, ils l’ont ensuite vécue avec les personnes de la coopérative.
Nos vies spéciales sont normales
A côté du travail vidéo initial, Marida et Max photographient le quotidien de ces personnes. Le binôme n’a pas eu besoin de s’immerger longtemps avant de sortir les appareils : toutes sont très vite à l’aise devant l’objectif et aiment être photographiées.
Le regard des photographes est d’un réalisme que certains pourraient trouver dur. Simplement, ils ne cherchent pas à créer l’illusion d’un pathétisme… qui serait mal placé.
Le contact rapide avec les personnes ne signifie pas pour autant que ces photos sont facile à réaliser. Car au-delà de leur aisance existe un malaise de nos sociétés à l’encontre du handicap. Nous sommes face à des personnes qui semblent différentes sur le plan moteur et/ou mental. A partir de ces différences se crée un fossé relationnel. Cependant, nous ne nous rendons pas compte que c’est justement parce que nous partons du principe que ce fossé existe que nous le créons.
A travers leurs photographies, Marida et Max nous interpellent : ces suppositions viennent simplement du fait que tout individu n’a pas eu l’occasion de connaître des personnes vivant avec un handicap. Or, elles pensent comme tout le monde, aiment comme tout le monde, pleurent comme tout le monde. Bref, vivent comme tout le monde.
Et, contrairement aux idées reçues, elles ne sont pas dans le regret d’une « vie meilleure » qui serait ce que l’on qualifierait de « normale ». Pourquoi est-ce que le handicap ne serait pas, lui aussi, une situation normale qui, comme toute autre, fait partie de la vie ?
Un jour, les photographes ont demandé à une femme en fauteuil roulant : « Si tu voulais changer quelque chose dans ta vie, ce serait quoi ? ». Ce à quoi elle a répondu : « Je voudrais une meilleure chaise. »
Pour en voir et savoir plus :
Vous aimez le magazine? N’hésitez pas a nous suivre sur Facebook