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L’art absurde est accessible à la galerie des Filles du Calvaire

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Si vous êtes coincés sur Paris pendant l’été ou si au contraire vous venez y passer vos vacances, la galerie des Filles du Calvaire vous aère l’esprit jusqu’au 27 juillet avec des oeuvres multi-supports aussi absurdes qu’intrigantes. On n’a que rarement le réflexe d’aller en galerie pour voir des expositions. Le discours souvent obscur et contemporain nous éloigne de ces lieux pourtant passionnant. Mais ici, le titre de l’exposition résolument accrocheur « Absurde, vous avez dit absurde ? » nous ouvre une porte qu’on aurait tort d’ignorer. Alors, un art accessible l’absurde ?



► ► ► Cet article fait partie du dossier Photographes de l’absurde, nouvelle génération

En juillet, on a envie de papillonner, de s’ouvrir à des horizons nouveaux et de respirer un air plus léger. Ca tombe bien, la galerie des Filles du Calvaire vous propose une expo sur l’art absurde jusqu’au 27 juillet. Intitulée « Absurde, vous avez dit absurde ? », celle-ci présente des artistes utilisant différents supports, photo, dessin, vidéo et installation, mais tous ont en commun ce goût du rire insolite. Derrière le rire ou l’incompréhension que suscitent leurs œuvres se cache en fait une réflexion allant à contre-courant de toute logique rationnelle. Une expo où légèreté ne rime pas avec vacuité.

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Sisyphe, contraint de remonter continuellement au sommet d’une montagne une pierre qui ne fait que tomber, serait l’incarnation de l’absurdité de la condition humaine.
© Gilbert Garcin, L’atelier de Sysiphe, 2001, 50 x 60 cm, Courtesy Galerie Les filles du calvaire



Présentation de l’expo : l’art absurde, c’est quoi ?

Devant une œuvre absurde, on s’aperçoit bien vite que quelque chose cloche. Perturbé, dérangé même, l’accès au sens de l’oeuvre n’est pas immédiat parce que faussé. Mais l’œuvre n’en est pas moins accessible. Au contraire, en rendant impossible tout recours à la logique et au raisonnement, l’oeuvre fait appel à quelque chose de plus primordial et instinctif en nous. De l’empire de l’absurde, la raison est bannie.

Martin Sastre
Durant plus de 2 minutes, vous pouvez entendre une petite fille hurler « Please come » en pleurant devant la caméra. Joie.
© Martin Sastre, Please come, 2014, Vidéo, 2’14 », Courtesy Galerie Les filles du calvaire



Quand l’apparente cohérence de la réalité est brisée, on perd nos repères, ce à quoi on reste difficilement indifférent. Que l’on soit rebuté et outré ou au contraire fasciné et passionné, dans tous les cas, l’accès à l’oeuvre est facilité en nous prenant par nos sentiments.

Plonk & replonk 2
Les cartes postales humoristiques de Plonk et Replonk détournent le sens des images par l’introduction de légendes incongrues.
© Plonk & Replonk, La classe d’hyperactifs de Mlle Bemolle 42 x 59.7 cm, Courtesy des artistes


 

Les artistes exposés aux Filles du Calvaire explorent des pistes différentes, celles qui s’aventurent dans ce que la condition humaine a d’incongru, de déconcertant et paradoxal. « Une œuvre absurde n’est pas que absurde. » souligne Marie Magnier, commissaire de l’exposition. Si celle-ci semble frôler les frontières de la stupidité, c’est pour y pousser de plein pieds nos représentations rationnelles du monde. Et c’est là toute sa subtilité : l’artiste y instille un sens subversif sans que ses oeuvres soient de simples one-shot que l’on irait juste voir pour bien se marrer.

Ellen Kooi, par exemple, photographie des femmes hurlant dans des caniveaux. Face à un tel cliché, on peut s’arrêter au rire, certes. Mais on peut s’interroger, remettre en question le préconçu : à qui cette femme s’adresse-t-elle ? Où commence, et a contrario, où s’arrête la réalité ?

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© Ellen Kooi, Haarlem – het putje, 1999, C-print, 76 x 206 cm, Courtesy Galerie Les Filles du Calvaire


 

L’absurde, un genre grand-public

[pullquote type= »2″]« Certaines oeuvres sont plus accessibles car elles utilisent le biais de l’humour », Marie Magnier[/pullquote]

ASGER CARLSEN
© Asger Carlsen, Untitled (Wrong-Vice), 2012, Tirage pigment, cadre en bois, 40 x 30 cm, Courtesy Galerie Olivier Robert


 

L’absurde est d’autant plus « puissant » qu’il ne se ferme à personne. Face à une oeuvre absurde, tout est une histoire de feeling. S’il passe, on adore. Si le spectateur reste impassible, alors la critique sera acide. On peut rester indifférent face à une peinture abstraite, mais face à un homme qui met 2 minutes 45 à se casse 3 oeufs sur la tête… beaucoup moins. Marie Magnier explique : « il y a une proximité qui se fait plus facilement que dans certaines œuvres plus conceptuelles. Ça peut toucher un public un peu plus large. ». L’art absurde est donc « plus facile d’accès pour un public non averti par rapport à l’art contemporain ».

Gudmunson three_substancial_answers  video © Sigudur Gudmunsson, Three Substancial Answers, 2011 Vidéo couleur, sans son, 2’45’’, Courtesy Martine & thibault Delachâtre


 

L’art absurde permet de parler de choses compliquées de manière « simple » car il n’y a aucun raisonnement à reconstruire. On perçoit par le rire ou par la consternation les problèmes qu’une chose pose. Quelque soit la réaction, l’œuvre opère dans tous les cas. Par exemple, face à la réaction des gens devant ses oeuvres, le photographe Thomas Maileander constate : « Il y a des gens qui sont navrés, il y en a que ça fait rire, d’autres qui comprennent que c’est du simple second degré, qu’il y a quelque chose de plus profond derrière, une vraie réflexion sur la photographie. »

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Le beau-père de Thomas Maileander est expert-comptable.
© Thomas Mailaender, Sans titre, Série Item, 2006 15 x 22,5cm Edition de 5 ex., Courtesy Galerie Bertrand Grimont



Fan du livre Guiness des records, Thomas Mailaender expose aux Filles du Calvaire ce qu’il appelle un « portrait de famille fantasmé ». Mère, père, beau-père et tous ses proches ont mis la main à la pâte pour créer des « objets-totems » où un aspect de la vie de chacun est représenté de manière démesurée. Thomas ajoute, non sans humour : « Ils sont tous un peu forcés de travailler avec moi vu qu’ils sont mes proches et qu’ils veulent que je réussisse dans la vie ». L’artiste aime se moquer des principes de monstration de la photographie et joue sur ce décalage par rapport aux canons esthétiques – s’insérant ainsi dans l’histoire de l’art. Ces photos subliment donc ses proches… mais d’une autre manière !

Thomas Maielander

La mère de l’artiste pose avec son blouson des années 1980.
© Thomas Mailaender, Sans titre, Série Item, 2006 15 x 22,5cm Edition de 5 ex., Courtesy Galerie Bertrand Grimont


 

Thomas Maileander recherche cet accès direct à l’œuvre qui n’est pas à prendre qu’au sérieux – et qui ne le doit pas : « Il y a certaines personnes qui pensent que c’est fait avec la moitié d’un cerveau, ce qui est vrai mais il y a aussi l’autre moitié qui pense à autre chose. Quand je fais un projet, j’essaie d’être le plus bête possible et d’oublier d’être intelligent pour une partie du procédé. Il y a des gens qui ne voient que ça, mais moi ça me va aussi. »

Thomas Maielander stylo © Thomas Mailaender, Sans titre, Série Item, 2006 15 x 22,5cm Edition de 5 ex., Courtesy Galerie Bertrand Grimont


 

Avec pour objectif de créer un art qui soit accessible à tout public, Thomas s’explique sur ses projets : « J’adore ce positionnement là. J’aime que ce soit grand public. Ça fait marrer mes grands-parents. Ils ne comprennent peut-être pas forcément la manière dont ça s’incruste dans l’histoire de l’art mais ça les fait marrer, c’est cool. »

Parce qu’on peut être réceptif à l’art sans être calé en histoire de l’art.

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Nathalie Hof est la rédactrice en chef d'OAI13.