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Photographier la relation entre les policiers et les citoyens

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De 2008 à 2012, Sébastien Van Malleghem a suivi la police belge d’Uccle, Bruxelles Nord, Nivelles et Mons à raison de plusieurs nuits par mois. Si celles-ci furent parfois mouvementées, les longues heures de veille délièrent les langues et finirent par transformer de simples discussions entre un photographe et des policiers en échanges, voire amitiés, entre un homme et d’autres hommes. OAI13 a interviewé ce photographe belge qui a voulu montrer le quotidien des policiers au-delà des clichés.

Interview par Nathalie Hof | Toutes les photos, © Sébastien Van Malleghem


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► ► ► Cet article fait partie du dossier : La police, derrière et devant l’objectif

Sébastien Van Malleghem a 22 ans quand il commence à photographier la police belge. Il s’imagine alors des interventions musclées et des courses poursuites. En bref, de l’action, beaucoup d’action. Pourtant, la réalité qu’il découvre est toute autre. Si Sébastien a bien été confronté à des scènes de violence, il a été frappé du temps passé par les policiers à faire du travail social et administratif. Au cours de l’interview, il nous raconte : « J’ai découvert des humains qui font leur boulot. ». Et c’est justement la face la plus visible de ce « boulot » qui nous fait parfois oublier que, derrière les uniformes, se cachent aussi des hommes.



Comment en es-tu venu à faire ce sujet au long court sur la police ?

C’est mon premier sujet de diplômé et à l’époque, je voulais parler de quelque chose qui soit à la fois humain et violent. Comme je n’avais pas spécialement les moyens pour voyager à l’étranger ou photographier des zones de conflits, je me suis retrouvé à me demander où est-ce que je pouvais trouver une certaine forme de violence autour de moi.



L’image que tu as de la police a-t-elle changée pendant tout ce temps à suivre des policiers ?

Oui complètement. Au début clairement, je pensais au policier comme la plupart des gens : des mecs en bleu qui te filent des PV ou qui font des contrôles d’alcoolémie sur la route. Bien que je sois arrivé sans a priori, en me disant « ok, tu pars à la rencontre d’une profession », je ne voyais que des « uniformes ». Mais au fil du temps, je me suis aperçu que je voulais justement savoir qui étaient vraiment ces hommes sous ces uniformes. J’ai découvert des êtres humains qui font leur travail et qui, parfois, l’aiment beaucoup. Bien sûr, il y en a toujours certains qui veulent juste avoir leur salaire et puis basta!


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Tu voulais plus photographier l’homme que sa fonction…

Je voulais photographier la relation entre les policiers et les citoyens. J’ai commencé cette série en étant un peu fasciné à l’idée de voir des missions où tout va très vite et plein d’actions. Mais en fait, 50 à 60% de leur boulot ce n’est pas de la course poursuite mais plutôt de la mission sociale. Ils doivent entrer dans des foyers, calmer des tensions intra-familiales, aider des jeunes ados complètement perdus etc. Leurs journées se constituent essentiellement de moments de dialogue, de travail social sur le terrain.

Finalement, ce sont des fonctionnaires de l’État aux premières lignes avec les citoyens et qui doivent faire face à un panel énorme de problèmes qui vont du plus anodin à la prise d’otage, et ce, durant des nuits de travail qui peuvent être très longues. Ils peuvent commencer leur service à 19h30, le terminer officiellement vers 6 ou 7h, mais à ce moment là ils ont encore tout un tas de paperasse à remplir.


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On reproche souvent aux policiers des états de violence ou des choses qu’ils ne devraient pas faire. Mais il ne faut pas oublier que l’on a aussi affaire à des personnes qui, comme tout le monde, ont des sentiments, même s’ils sont entraînés à devoir les retenir parce qu’ils sont le symbole d’une autorité et d’une justice. Un policier, c’est un mec qui, sur une nuit, peut voir un suicide, se faire insulter de « poulet » ou de n’importe quoi d’autre une heure après, puis aller sur une bagarre familiale pour finalement se voir entendre dire par un chauffard à 7h du matin : « Vous êtes des gros cons ». Mon travail photo contient aussi un aspect émotionnel assez fort parce que j’ai passé beaucoup de temps avec eux.



Est-ce que les policiers avaient une certaine retenue devant ton objectif ? Parce que finalement, comme leurs faits et gestes peuvent être considérés comme ceux de l’État, je me dis qu’ils doivent constamment surveiller leur image…

Au début oui. Dans les premiers commissariats par exemple, ils mettaient leur calotte (ndlr. leur chapeau) en sortant, alors que quand je vois des policiers dans la rue, ils l’ont rarement. Mon premier commentaire fût donc de leur demander pourquoi ils la portaient et ils m’ont répondu : « C’est un ordre de la direction. Comme tu es de la presse, il faut qu’on la mette. » Alors je leur ai répondu : « Oui, ok les gars mais je vais rester là des mois alors il ne faut pas vous embêter avec votre truc ». Ils ont vite compris que ça ne servait pas à grand chose parce que je n’étais pas là pour une heure à faire du news. J’étais là pour rester.

Petit à petit j’ai acquis leur confiance. Je leur parlais beaucoup, j’écoutais beaucoup aussi. Passer du temps dans les voitures de flics, c’est ça aussi : il ne se passe pas tout le temps quelque chose, alors on discute. Il arrive que sur une nuit, il n’y ait qu’une seule mission. À force de me voir traîner avec eux, m’ennuyer avec eux, j’ai fini par gagner leur confiance.


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Je leur montrais mes photos aussi: pas pour leur demander leur autorisation mais pour qu’ils puissent voir ce que je faisais. Et ils trouvaient ça génial. Pour eux, j’étais un des seul à montrer leur métier, leur réalité… celle que les gens ne voient pas. À la fin, je faisais presque partie de la famille. C’est ainsi que j’ai réussi à presque tout photographier.



Elle a mis du temps à venir cette confiance ?

Ça dépendait des commissariats mais en général, oui. Quand j’ai commencé, en 2008, j’étais assez jeune, les policiers ne me prenaient pas forcément au sérieux. Mais comme je suis resté très longtemps et que les policiers parlent beaucoup entre eux du genre « il y a un photographe qui est passé, tiens on va te montrer ses images, c’est son site etc. », la confiance a fini par s’installer. Il faut savoir que les policiers en Belgique se connaissent tous. Finalement, tout le monde connaissait plus ou moins le photographe qui suivait les policiers en Belgique.


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Est-ce que tu penses que tes images ont contribué à casser les clichés sur les policiers ?

Oui je pense. Quand les gens découvrent mes photos, ils me disent : « Ah tiens, je ne m’attendais pas à voir ça. », ou encore « Ah oui tiens ils sont courageux ces mecs là etc. ». Ils ne pensaient pas que les policiers faisaient un si grand travail social. Mais je ne veux pas faire de la propagande ! Il y a certes des images qui sont un peu plus « sensibles » mais j’ai juste voulu montrer des humains qui bossent et je veux que ça reste ouvert. De manière générale, les gens changent quand même un peu leur fusil d’épaules face aux policiers après avoir vu mon travail. Si une fois ou deux ils peuvent se dire « Ah le mec il a l’air fatigué » au lieu de « Tiens, quel con le bleu », c’est que c’est déjà un peu gagné.



Aller au-délà du sensationnel finalement…

Oui, le métier de policier n’est pas si sensasionnel que ça. C’est un métier qu’on connait comme pouvant être dangereux mais il ne faut pas penser uniquement à l’action, défense et autres choses du même genre. Oui, ils sont armés, mais c’est pour les besoins d’un système. Il ne faut pas en oublier pour autant que ce sont des humains. Et moi ce que je veux photographier, ce sont des humains face à d’autres.



Est-ce que tu leur as montré tes images à la fin ?

Oui ils sont venus au vernissage.



Et ils ont réagi comment ?

Ils étaient super contents. Ils ont beaucoup rigolé en voyant certaines images, ça leur a rappelé des souvenirs. De temps en temps, ils m’invitent à leur barbecue ou à leur diner de patrouille. Et parfois je passe les voir, juste parce que c’est des potes et que j’ai envie de garder contact. Je fais parti de la famille.


Pour voir plus d’images de la série « POLICE » de Sébastien Van Malleghem, vous pouvez…