OAI13 est partenaire de l’édition 2015 du prix Lucas Dolega qui récompense Sébastien Van Malleghem pour son travail dans les prisons belges. Rencontre avec le photographe qui nous raconte les coulisses de ce sujet.
Prisons, Sébastien Van Malleghem
Comment as-tu eu l’idée de travailler dans les prisons belges ?
J’ai commencé à penser aux prisons quand je terminais ma série sur la police. J’ai passé près de quatre ans à l’arrière des voitures de police un peu partout en Belgique. À l’origine, je voulais témoigner de la vraie vie des policiers et ainsi casser les clichés fournis par la télévision et les journaux. Je voulais traiter un sujet complexe. Je n’avais pas les moyens de partir dans un autre pays donc j’ai réfléchi à ce que je pouvais documenter en bas de chez moi. La police était un bon sujet. J’ai vite lâché le côté impressionnant et violent de ce métier pour m’intéresser aux interactions entre le policier et le citoyen. J’avais accès à toutes les classes de la population en contact avec des représentants de l’État, c’est-à-dire la police. Ce regard me permettait notamment d’observer l’impact quotidien de la crise sociale que nous traversons.
Police, Sébastien Van Malleghem
Et après ?
J’ai commencé à réfléchir à un autre projet de long terme. Et je me suis dit que ce serait intéressant de se pencher sur la prison, pour connaître l’après. Je me suis donc renseigné pour voir comme je pouvais y entrer.
Alors, comment tu entres en prison avec un appareil photo ?
La prison est une administration assez complexe. Personne ne te dira d’entrée de jeu « tu dois contacter untel ». Je suis d’abord allé voir le maire de Nivelles, qui m’a redirigé vers le directeur de la prison de Nivelles, qui m’a orienté vers une personne du gouvernement, etc. Ces prises de contact ont duré environ 8 mois. À chaque fois on me demandait de réexpliquer mon projet, qui était pourtant simple : photographier les prisons de l’intérieur. J’ai fini par recevoir une autorisation écrite par mail qui m’a servi carte d’entrée, même si chaque directeur de prison pouvait encore me refuser s’il le souhaitait.
En janvier 2011, j’ai pu photographier la prison de Nivelles. Puis, j’ai travaillé sur Bruxelles et en Wallonie pendant deux ans et demi, avant de m’attaquer à la Flandres jusqu’à cet été 2014.
Prisons, Sébastien Van Malleghem
Quand tu entres pour la première fois en prison, que vas-tu d’abord chercher du regard ?
Tu cherches tout de suite les détenus. En un ou deux regards, tu comprends tout de suite la situation de la prison.
C’est-à-dire ?
La première prison dans laquelle je me suis rendue, celle de Nivelles, était relativement bien tenue. L’ambiance y est assez calme, les détenus sont tranquilles, ils disent bonjour, font leurs trucs, ça a l’air d’aller. Par contre, à Bruxelles, les détenus ne te regardent pas, ils ne disent pas bonjour, ils crient. Tu sens que les agents sont assez tendus. La prison était sale. J’ai vite compris que cet endroit serait plus difficile à photographier.
Prisons, Sébastien Van Malleghem
Quelles sont les principales difficultés que tu as rencontrées ?
En prison, tout est contrôlé en permanence. Ma première difficulté a été de sortir de ce contrôle. Dès l’entrée en prison, on te colle tout de suite un agent, soi-disant pour ta sécurité mais c’est surtout pour voir ce que tu fais. Mais ces gardiens sont souvent en sous-effectif. J’ai vite remarqué qu’ils préféraient travailler plutôt que me « baby-sitter ». Je me suis donc intéressé à eux pour comprendre leur métier, j’ai gagné leur confiance, et ils m’ont laissé travaillé assez librement. La deuxième difficulté que j’ai rencontré était de réussir à faire des images dans une relative spontanéité. Étant donné que je dois faire signer des autorisations pour photographier les détenus, il fallait que je me présente, que j’explique que je fais, que je fasse des photos et ensuite que je fasse signer les autorisations. Je marchais dans les codes de l’administration. Alors, dans tous ces grillages, ces couloirs droits, ces uniformes, cette tension et ce contrôle, il fallait que je trouve un peu de spontanéité et de sincérité.
Prisons, Sébastien Van Malleghem
Quel rapport as tu eu avec les détenus ?
J’en ai rencontré beaucoup. Je passais du temps à leur parler. Ce qui m’a le plus marqué, c’est le contrôle qu’ils perdent sur leur vie en entrant en prisons. Tout ce que tu veux exprimer, tu dois le faire via un formulaire administratif. C’est une autre forme de punition. Le contrat de base de la prison, c’est te mettre hors du système et te priver de ta liberté. Mais on n’est pas sensé te priver du reste.
Qu’est-ce que ce sujet t’as apporté comme vision sur l’exercice de la justice en Belgique ?
Je me suis rendu compte que le système judiciaire est très obsolète. Les démarches sont lentes, les cours de justice sont débordées. Tout se fait sur papier. Il n’y a aucune assistance psychologique valable. D’autre part, les prisons ne sont pas toutes égales. Elles n’ont pas les mêmes budgets. Quand je suis allé à la prison de Bruxelles, le directeur m’a fait entrer en me disant qu’il fallait que je montre l’état de cette prison. Tu vois la photo de la cuvette des WC ? C’est dans la prison de Bruxelles.
Prisons, Sébastien Van Malleghem
Sais-tu maintenant ce que c’est que de vivre en prison ?
Non pas vraiment. Je ne pourrai jamais me rapprocher de l’expérience d’un détenu. Mais j’ai passé trois jours en prison dans une cellule. J’ai donc fait l’expérience de l’enfermement.
Alors ?
C’est très oppressant. Le premier truc auquel j’ai pensé c’est m’évader. J’étais dans une prison moderne, tout en gris et blanc. Tu n’entends pas ce qu’il se passe dehors. Tu as littéralement envie de pousser les murs. Tu étouffes dans ces 8m2. Et ça, c’est dans une prison moderne. Dans certaines prisons, ils sont trois dans ce même espace avec seulement un sceau derrière un rideau pour faire leurs besoins. Imagine toi en plein été quand tu n’as le droit qu’à deux douches par semaine. On dans un niveau de punition presque médiéval. C’est très humiliant.
Il t’auras apporté quoi ce sujet ?
Ça m’a apporté encore plus de rage. Il y a tellement de choses à montrer. Il faut creuser. Peu de sujets s’intéressent aux actions étatique. La prison est un vrai tabou aujourd’hui. On ne veut pas voir les prisons. Elles font pourtant partie de notre société.
Voir aussi :
Portfolio de Sébastien Van Malleghem en Islande
Le site internet de Sébastien : sebastienvanmalleghem.eu
Prisons, Sébastien Van Malleghem