Quand, il y a 5 ans, la photographe Goodyn Green découvre les photos de femmes lesbiennes que publie un magazine gay, elle est révoltée : tous les clichés sur la représentation féminine, concentrés en quelques pages. L’artiste s’est alors dit : et si je les prenais moi, ces images érotiques de femmes queer que personne ne fait et que j’aimerais pourtant voir ? Elle nous raconte la naissance de ce projet intitulé The Catalog.
Interview par Nathalie Hof | Toutes les photos, © Goodyn Green
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Quand les femmes inventent les images de leur sexualité
Goodyn Green est une photographe et réalisatrice danoise résidant à Berlin. Si en 2007 elle s’expatrie dans la capitale allemande pour y faire du Street Art, c’est autre chose qu’elle découvre : la photographie, le porno et une importante scène queer*. De cette alchimie est née, 5 ans plus tard, The Catalog, une série de photos érotiques de femmes queer prenant des poses inspirées des magazines porno gays. Réponse d’une photographe féministe à un manque dans les magazines érotiques.
Comment est né votre projet The Catalog ?
En 2009, j’ai passé un mois à Barcelone. C’est là que m’est venue l’idée de The Catalog. J’avais acheté le magazine gay Kink, que j’adore. Mais quand j’ai vu leur seule publication lesbienne, Marikink, j’ai été énervée par la manière dont ils montraient la plupart des femmes. Elles étaient représentées de manière traditionnelle : les cheveux longs, entourées par la nature et montrant leurs seins en soulevant discrètement leurs robes ou chemisiers pour laisser entrevoir quelques poils pubiens ou un mamelon. Dans la version masculine gay, plusieurs des modèles se masturbaient et montraient fièrement leur pénis. Ce contraste stéréotypé des sexualités masculines et féminines m’a complètement mise hors de moi ! J’étais déjà inspirée par le porno gay (film et magazines), en particulier par cette frontière fragile entre le sexy et le ridicule. J’ai alors décidé de l’utiliser pour mon projet.
Les premières photographies que j’ai prises pour « The Catalog » montrent des femmes queer à l’apparence androgyne prenant des poses que j’avais remarqué dans des magazines traditionnels de porno gay. Aujourd’hui, j’ai fini par m’en éloigner et par inventer mes propres poses, car il devenait de plus en plus difficile d’y en trouver de nouvelles !
Pourquoi avez-vous photographié des femmes queer adoptant ces poses ?
J’ai choisi de photographier ce type de femmes, parce que ce sont celles qui m’excitent le plus. À l’époque, les magazines de mode étaient remplis de mannequins androgynes aux cheveux courts, et j’avais toujours voulu voir ces modèles nues! J’ai donc commencé à chercher des femmes sexy (de mon point de vue) aux cheveux courts.
J’ai choisi de publier The Catalog comme une alternative aux magazines érotiques féminins, pour montrer une autre forme de sexualité féminine. Elle apparaît de manière évidente dans mon projet mais en fait, elle est rarement représentée. Mon principal objectif est de montrer ces images aux nombreuses femmes queer, qui ont les mêmes préférences sexuelles que moi ou du moins similaires, mais qui ne savent pas vraiment où les trouver.
En travaillant sur The Catalog, j’ai aussi réalisé que le cliché des lesbiennes étaient dans le porno gay. Ce n’est pas tant dû à un intérêt pour les hommes gays eux-mêmes, mais pour la façon dont ils montrent leur corps avec force et fierté. On voit rarement des images de femmes montrant fièrement leurs chattes ou leurs clitoris, sauf si c’est pour un porno orienté « homme hétérosexuel » où l’objectif est de montrer comment le « mâle » peut «prendre» la femme. En aucun cas les femmes ne sont présentées comme des êtres fières de leur vulve.
Il y a-t-il une dimension féministe et engagée dans cette série ?
Mon travail est toujours politique et est avant tout féministe. C’est devenu pour moi un aspect très important de montrer que la sexualité féminine peut être aussi agressive que celle des hommes, ou du moins dans la façon dont elle est représentée.
Je me concentre sur la photographie d’images érotiques ou pornographiques de femmes queer et sur la réalisation de porno pour femmes queer parce que je sens qu’il y a un manque. Comparé au grand choix que les hommes (et particulièrement les gays) peuvent avoir, on ne trouve pas grand choses pour les femmes. Le plus drôle, c’est que je peux facilement me sentir exaspérée par des choses que je lis, expérimente ou vois dans mon entourage, mais ça me fait plutôt l’effet d’une sonnette d’alarme, d’une prise de conscience. Ça ne me fait pas crier après les gens dans la rue. Non, ça me donne des idées pour mon travail, pour faire bouger les choses.
Je ne comprends pas quand les gens se sentent provoqués par mon travail, parce que je ne le trouve pas provoquant du tout! Je sais que pour beaucoup de personnes, il l’est à certains égards, mais ce n’est en aucun cas mon objectif. Mon intention est simplement de contribuer aux archives d’art queer, pour montrer la vie et les problématiques queer aujourd’hui, parce que personne à part nous, queers, ne le fait.
Lexique :
- Queer : se dit de personnes qui ne veulent pas se voir définit par leur sexe et/ou leurs pratiques sexuelles. Les queer rejettent l’idée d’une société construite autour de normes hétérosexuelles.
En savoir plus sur Goodyn Green et « The Catalog »
- Sur internet : son site, son tumblr
- Vous pouvez acheter « The Catalog » dans la boutique du site du magazine « Bend Over », revue berlinoise publiant interviews et travaux d’artistes queer.
- Son travail est exposé au « Schwules Museum » de Berlin dans le cadre de l’exposition « Porn That Way » jusq’au 31 mars 2015.
- Goodyn prépare actuellement une nouvelle exposition avec les photographes Paula Winkler et Alexa Vachon. Planifiée pour mars 2015, elle aura lieu à la « Aff Galerie » de Berlin.