À mi-chemin entre un parcours scientifique et un parcours artistique, Jérémie Lenoir photographie le paysage vu du ciel. Mais bien loin d’une représentation magnifiée de l’espace, il capture les lieux que personne ne voit, quitte à faire de la photographie de paysage une image abstraite. Au regard de son travail, impossible de déterminer la localisation des espace photographiés : les images de Jérémie sont à la fois géométriques et désertiques. À partir du 28 novembre, il expose à la galerie Rivière Faiveley. L’occasion de découvrir ses photographies en très grand format !
OAI13 : Quels champs explores-tu dans ton travail photographique ?
Jérémie Lenoir : Depuis environ 7 ans, je m’intéresse à l’évolution des paysages, j’essaie de comprendre et de montrer comment nous construisons et transformons nos nouveaux territoires, comment nous travaillons et nous vivons dedans. Il y a donc une composante presque scientifique dans l’approche de chaque projet, et cette base me donne une matière très riche à explorer plastiquement. Dans cette étude du paysage, je suis très influencé par les artistes de la Kunstakademie de Düsseldorf et par les thématiques de Jurgen Nefzger ou Thierry Girard. Mais picturalement, mes influences sont surtout puisées dans la peintures, chez Soulages, Ubac, Malevitch, Noland et les expressionnistes américains. Cela correspond bien à mon parcours croisé entre sciences et beaux-arts, et je pense aussi que cela se retrouve dans mes images où se mélangent un travail sur le réel et un travail sur l’abstraction.
OAI13 : Comment travailles-tu ?
J-L : Depuis quelques années, la majeure partie de mes projets utilise le point de vue aérien. Je travaille toujours sur un espace géographie donné et restreint ; une ville ou un département. Je trouve un angle d’approche lié à ce territoire puis je sélectionne une trentaine ou une quarantaine de lieux en cohérence avec mon sujet (je les trouve en suivant l’activité économique et politique de chaque région). Ensuite je survole chaque espace en avion (pour des raisons budgétaires, c’est ce qu’il y a de moins cher !) une dizaine de fois pendant 1, 2 ou 3 ans, afin de suivre leur évolution et d’affiner mes cadrages. Je travaille ainsi un peu comme un peintre qui réalise des esquisses, il faut parfois que je revienne 5 ou 6 fois avant de réussir l’image parfaite.
Je me suis aussi efforcé d’établir un protocole très précis pour réaliser mes images : je travaille sur des espaces minutieusement choisis, que je survole toujours à la même altitude, pour être régulier sur les échelles, et à la même heure (midi), pour avoir une colorimétrie très neutre et des reliefs très écrasés. J’obtiens ainsi des images qui fonctionnent en série, avec un rendu à la fois très plat et très graphique, et bien sûr, rien n’est ajouté ou enlevé !
OAI13 : Tu travailles essentiellement sur le paysage. Pourquoi ?
J-L : Je n’ai aucune explication viable, ça a toujours été une évidence. Je sais juste que dans mon parcours je n’ai jamais travaillé sur une autre thématique et que pour le moment je ne me vois pas vraiment travailler sur autre chose.
OAI13 : Qu’apportes-tu de moderne dans ce style photographique ?
J-L : Comme chaque artiste, je pense être soucieux de ne pas répéter ce qui a déjà été vu et pour cela mon protocole et mon approche quasi scientifique m’aident beaucoup. Ils me permettent d’utiliser le point de vue aérien comme un outil et non comme une finalité, de me dégager des codes de la discipline. Et puis mes recherches se concentrent surtout sur cette passerelle entre représentation du réel et transfiguration en tableaux. La construction d’images abstraites me permet à la fois de questionner les capacités du médium photographique à reproduire la réalité, mais aussi d’interroger nos paysages sur leur aptitude à délivrer une quelconque forme d’intelligibilité ou à s’inscrire à un quelconque principe d’identité. Cette confrontation entre le tangible du sujet et le sensible de l’image offre un terrain de jeu et de réflexion très riche, que je tente aussi de prolonger dans des installations ou des dispositifs d’images.
OAI13 : Pour toi, quels sont les enjeux de la photographie de paysage en ce moment ?
J-L : Il y a autant de photographie de paysage que de photographes, mais il me semble cependant qu’une ligne directrice sous-jacente se dessine chez tous les artistes qui se penchent sur cette « problématique » du « paysage contemporain »… Comme si nous nous posions tous la question de savoir ce que signifie encore aujourd’hui le terme de paysage… Dans mon travail, je me focalise sur les « non-lieux », sur les territoires en tant que produits des processus politiques et économiques, et à mon sens, cette position partagée par beaucoup relève plus d’un exercice anthropologique que paysager. La difficulté est dès lors de trouver son écriture pour transcender cet engagement et éviter de tomber dans la propagande ou le contemplatif. Pour ma part, j’essaye de donner à mes photographies un maximum d’autonomie vis-à-vis des sujets que j’aborde. Le risque, avec l’abstraction, de les voir dévidées de leurs concepts n’en est jamais vraiment un, car, au final, elles ne restent que des images.
Site internet de l’artiste : jeremielenoir.com
Site internet de la galerie : galerierivierefaiveley.com