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Ericka s’en fiche que la photo soit en crise, en 2014 elle ne lâchera rien.

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Ericka Weidmann travaille dans la presse photographique web depuis plus de 10 ans. Souvent décrite comme une femme de l’ombre (elle passe plus de temps derrière son écran que dans les vernissages), elle partage ses journées entre du commissariat d’exposition indépendant et la rédaction en chef de l’Œil de la Photographie, nouvelle version du feu Journal de la Photographie.

Entrée dans le milieu photo à 19 ans, elle a pu observer au plus près les bouleversements de ces 10 dernières années. Entre la génération qui a connu les années glorieuses de l’argentique et celle qui s’extasie des avancées digitales, elle se bat au quotidien pour faire exister un modèle économique du quotidien photographique en ligne l’Œil de la Photographie.
J’ai rencontré Ericka dans un bistrot du 10e arrondissement, quelques jours avant Noël. Devant un café, elle me raconte son année 2013, bouleversée par l’arrêt du Journal de la Photographie, et sa reconstruction dans l’Œil de la Photographie.

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[pullquote type= »2″ align= »center »] « Le Journal n’est pas mort de la crise du milieu photo » [/pullquote]

OAI13 : Quels ont été les évènements photo marquants de l’année 2013 ?
Ericka Weidmann : 2013 a été une année très compliquée pour moi. Je travaillais pour le Journal de la Photographie depuis 3 ans, et après 8 mois sans rémunération, la rédaction a quitté le journal pour le reconstruire sous le nom de l’Œil de la Photographie. En 2013, nous nous sommes battus pour continuer d’exister. On a senti la fin du Journal arriver dès le mois d’avril. On a essayé d’y croire et de redoubler d’efforts, mais le gérant ne suivait plus. On s’est aperçu que si la direction ne nous soutenait pas, c’était difficile de continuer. Le Journal n’est pas mort de la crise du milieu photo. Il est mort car le financeur du Journal n’avait plus les moyens de continuer à nous financer et qu’aucun modèle économique n’avait été mis en place. Nous avons souffert d’une crise générale, mais pas spécifique à la photographie.

OAI13 : Pourquoi avez-vous décidé de vous relancer en créant l’Œil de la Photographie ?
E. W. : En fait, curieusement, on s’est jamais posé la question de ce qu’on allait faire. C’était impossible pour nous de s’arrêter. Quand on s’est rendu compte qu’on ne pouvait plus continuer de travailler pour le Journal de la Photographie, puisqu’on était plus payé depuis plusieurs mois, on s’est simplement dit qu’on irait ailleurs. Dans les années 1970, la rédaction de l’Express est partie et à créé Le Point : nous avons fait pareil. Le Journal avait un véritable succès avec un très bon lectorat. Quand on a annoncé la fin du Journal le 30 août 2013, on a reçu énormément de messages de soutien. Ça nous a beaucoup motivé pour se relancer. Je me suis rendue compte qu’on avait une véritable utilité pour les gens. On nous a souvent dit : « Ah, j’ai enfin trouvé le site qui me manquait ! », alors qu’on a juste amené une formule bête comme chou : il n’y a rien de révolutionnaire dans un quotidien ! Quand tu vois qu’on est les seuls à faire un quotidien international bilingue sur la photographie, alors qu’Internet est un moyen d’échange rapide et sans frontières… Ça devient une hérésie de faire un site web franco-français ! On ne fait pas du Web par défaut parce que le papier coûte cher, on fait du Web quand on a quelque chose à y raconter.

OAI13 : Quelles sont les perspectives de l’Œil de la Photographie pour 2014 ?
E. W. : Aujourd’hui, on limite les articles à 7 par jour. On nous a souvent dit que le Journal avait trop d’articles chaque jour. C’est important d’écouter les retours, donc nous avons décidé de réduire le nombre d’articles quotidiens. Nous avons aussi décidé de développer une option de personnalisation de l’Œil de la Photographie. À partir du 6 janvier, le lecteur pourra se constituer sa propre newsletter avec un choix de catégories qui l’intéresse, et pourra également décider de sa périodicité.

[pullquote type= »2″ align= »center »] »Aujourd’hui, c’est une hérésie de faire un site web franco-français ! » [/pullquote]

OAI13 : Quelle place va occuper l’Œil dans la presse photographique ?
E. W. : Nous voulons continuer d’informer les gens sur ce qui se passe en photo à l’international. Nous voulons ouvrir notre regard sur le monde. C’est vraiment notre spécificité.
J’ai travaillé pendant 10 ans dans un autre média web sur la photographie, qui était très franco-français, et même plutôt pariso-parisien. Tu parles toujours des mêmes gens et des mêmes évènements. Tu fais le tour assez vite. Même quand on parlait d’évènements à l’étranger, c’était souvent organisé par des Français (Photo Phnom Penh, le Festival de Lianzhou, les Rencontres de Bamako…). Avec le Journal, j’ai découvert tout ce qu’il existait autour de la photographie. Aujourd’hui, j’apprends tous les jours, j’échange avec des gens qui ont différentes façons de travailler. Nous avons une volonté de montrer la photographie sans catégorisation. Chaque contributeur de l’Œil de la Photographie a ses spécialités : Michel Puech traite de photojournalisme, Séverine Morel observe les tendances, Michel Philippot analyse la presse… Nous avons une équipe très diverse qui mélange les parcours et les générations, qui voit large !
Le Journal a un peu souffert d’une sclérose technique. Notre succès était uniquement dû à notre contenu. Mais aujourd’hui, le contenu seul ne suffit plus. Nous allons développer plein de choses, et notamment des services pour les amateurs de photographie. Nous allons également élargir notre réseau de correspondants. Et pour tout ça, il va nous falloir de l’argent…

[pullquote type= »2″ align= »center »] »Évidemment qu’il y a de l’argent dans la photographie ! » [/pullquote]

OAI13 : Maintenant que vous êtes indépendants (que vous n’êtes plus financé par un acteur extérieur à la photographie), vous allez vous retrouver confrontés à la problématique de tout le milieu photo : est-ce qu’il y a vraiment de l’argent dans la photographie ?
E. W. : Évidemment qu’il y a de l’argent dans la photographie ! Il suffit de regarder les résultats de vente hallucinants !

OAI13 : Oui, mais là, c’est le marché de l’art.
E-W : Certes, mais cela signifie que le marché de l’art a un intérêt pour la photographie. Quand tu vois qu’un tirage d’Andreas Gursky se vend à 3 millions d’euros… ! En plus, Gursky est un bon exemple car c’est de la photographie contemporaine, donc un achat plus risqué. Quand tu investis dans un Newton (Helmut Newton, photographe germano-américain de la 2de moitié du XXe siècle, ndlr), tu sais ce que tu achètes, il n’y a quasiment aucun risque. Quand tu achètes de la photographie contemporaine, tu prends un vrai risque car tu ne sais pas si ton image va prendre de la valeur ou en perdre.
Toujours est-il qu’il y a plein de moyens qui sont développés pour la photographie, et je ne sais pas pourquoi les choses se cassent la gueule. Bien sûr, la révolution numérique a bouleversé nos usages, mais peut-être que nous nous sommes égarés durant ces 15 dernières années. Peut-être que l’on s’est concentré sur les mauvaises choses. Par exemple, quand le milieu photo a commencé à s’intéresser au webdocumentaire, ça a créé une énorme vague d’enthousiasme. Tout le monde en parlait ! Tout le monde voulait en faire. Les photographes se sont dit que ce serait un nouveau moyen de vendre leurs images. Et finalement, aujourd’hui, on peut observer que non, le webdocumentaire n’a pas révolutionné l’économie de l’image. Le webdocumentaire reste un simple moyen de montrer des choses mais ne constitue pas un modèle économique.
En tout cas, c’est certain qu’on finira par trouver notre équilibre économique. Il faut simplement que cela ne dure pas trop longtemps. Sinon on se dirige vers quoi ? La fin du monde ?

[pullquote type= »2″ align= »center »] »J’ai toujours connu la photographie en crise » [/pullquote]

OAI13 : Pourquoi travailles-tu dans la photographie ?
E. W. : J’ai toujours travaillé dans la photo. À l’origine, je viens de la peinture : j’ai fait 3 ans d’études en arts appliqués et c’est là où j’ai découvert la photographie. Je me suis laissée séduire par ce médium la première fois que j’ai vu l’image se révéler en laboratoire. Je pense que tous les passionnés de photo ont eu ce déclic en observant ce processus magique. Après, je suis arrivée dans le milieu photo en 1999, donc j’ai toujours connu la photographie en crise. À l’époque, les photographes n’avaient plus le droit de photographier dans la rue et le numérique commençait à inonder le marché. J’aurais pu être très vite dégoûtée. Tout le monde pensait que la photographie allait disparaître. Bon, avec le recul, tu te rends compte que c’était complètement stupide de penser ça. Bien sûr, il y a eu des dégâts, des labos ont fermé, les photographes ont dû s’adapter… mais la photographie n’est pas morte !

[pullquote type= »2″ align= »center »] »Notre génération est en remise en question perpétuelle » [/pullquote]

OAI13 : Tu penses que notre génération va s’habituer à ces changements perpétuels ?
E. W. : Notre génération est tristement habituée à une situation continuellement instable. On est en remise en question perpétuelle. Dans un mois, je ne sais pas où je suis et ni ce que je fais.

OAI13 : Est-ce que ce mode de vie te convient ?
E. W. : Je crois que je n’ai pas le choix. Même si je travaillais dans un autre milieu, je serais dans la même situation. Je n’ai de toute façon jamais connu la sécurité financière. Aujourd’hui, on fait d’énormes sacrifices pour le travail. On accepte de travailler sans assurance d’une rémunération, et je pense que ce phénomène est assez nouveau.

OAI13 : Souvent, c’est d’ailleurs pour se créer notre propre situation.
E. W. : La différence c’est qu’effectivement, aujourd’hui, beaucoup de gens doivent créer leur propre emploi pour espérer travailler, le danger étant que ça favorise l’amateurisme. Je suis parfois amenée à faire des choses pour lesquelles je ne suis pas formée, comme le marketing ou la comptabilité.
On est une génération étrange. On est doté d’une pugnacité qui est née du danger et de l’insécurité. Cela dit, on travaille dans des métiers de passion, et ça change tout. Quand je raconte à mes amis que ça fait 8 mois que je n’ai pas été payée, ils me regardent, incrédules, et ne comprennent pas que je continue. Je ne peux pas leur expliquer pourquoi… Simplement, je crois en ce que je fais.
Je ne travaille pas que pour avoir de l’argent et me payer des vacances… D’ailleurs je ne sais même pas ce que c’est que des vacances !
On est une génération qui s’adapte.
Après, si ça se trouve, un jour j’en aurai marre et je me casserai pour élever des chèvres en Lozère… Je ne sais même pas pas s’il y a des chèvres en Lozère…

OAI13 : Quelle est ta bonne résolution 2014 ?
E. W. : Ne pas lâcher… Ce serait trop con de s’arrêter.

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Ericka Weidmann, rédactrice en chef de l'Œil de la Photographie

Ericka Weidmann

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MEMO

Le Journal de la photographie en quelques mots

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  • Le Journal de la photographie est créé en 2010 par Jean-Jacques Naudet, ancien rédacteur en chef du magazine Photo, Magnus Naddermier, directeur artistique freelance, et Alex Kummerman, président de l’agence Clicmobile.
  • Le 30 août 2013, la rédaction du Journal de la photographie quitte la publication après n’avoir reçu aucune rémunération pendant près de 8 mois.
  • Le 13 novembre 2013, l’équipe rédactionnelle, constituée de 36 contributeurs, crée un nouveau site web, calqué sur la formule du feu Journal de la photographie, en adoptant le nom L’Œil de la photographie.

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Le Journal de la Photographie - Au revoir

Capture d’écran des adieux du Journal de la photographie

Andreas Gursky : ses images se vendent à près de 3 millions d'euros

© Andreas Gursky

Helmut Newton

© Helmut Newton

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