Vous êtes à Paris cet été ? Ne manquez pas l’exposition Protographies, d’Oscar Muñoz, au Jeu de Paume. L’artiste colombien, peu connu en dehors de son pays, y présente 40 ans de création et de recherche sur l’image, la matière et la mémoire. Une visite-expérience.
Cortinas de Baño [Rideaux de douche], 1985-1986
Oscar Muñoz
Acrylique sur plastique, 5 éléments, 190 x 140 cm et 190 x 70 cm chaque, dimensions variables.
Collection Banco de la República, Bogotá
Note de la rédaction : ★★★★☆
Les raisons d’y aller
– Vous vous intéressez aux expérimentations autour de la photographie
– Vous êtes passionné par tout ce qui touche à la mémoire
Les raisons de vous en passer
– Pour vous, la photographie c’est de l’image fixe, point
– Les relations entre la photographie et les autres arts ne vous intéressent pas
Pixeles [Pixels], 1999–2000
Oscar Muñoz
Tâches de café sur morceaux de sucre, plexiglass, panneau 35 x 35 x 3 cm.
Courtesy de l’artiste et Sicardi Gallery, Houston
L’artiste
Oscar Muñoz est né en 1951 à Popayán (Colombie). Il commence sa carrière artistique dans les années 70 par le dessin, de grands formats au fusain. Au cours de la décennie suivante, il pose les bases de ce que sera désormais son œuvre : association de différents médiums (dessin, peinture, gravure, photographie, vidéo…), procédés innovants, relation au spectateur et à l’espace. Ses thèmes de prédilection : la mémoire, la fragilité de la vie, mais aussi la violence et les inégalités sociales. Il est l’un des artistes contemporains les plus connus en Colombie.
Aliento [Souffle], 1995
Oscar Muñoz
Sérigraphie et graisse sur miroirs métalliques, 7 miroirs, diamètre : 20 cm chaque.
Courtesy de l’artiste
L’exposition
Oubliez tous vos repères. Dès l’entrée, on comprend que cette exposition sera avant tout une expérience — visuelle, auditive, sensorielle. La première œuvre à nous accueillir est à nos pieds : Ambulatorio (Déambulatoire, 1994) est un plan aérien de la ville de Cali recouvert d’une plaque de verre Securit qui se fissure peu à peu sous les pas, créant d’autres lignes, anarchiques, que celles décidées par les plans d’urbanisme. Une fois ce tapis franchi, le visiteur est projeté dans l’univers protéiforme de l’artiste, centré sur la disparition, l’oubli, l’éphémère à la fois de la vie et des tentatives de la représenter.
Narcisos (en proceso) [Narcisses (en cours)], 1995–2011
Oscar Muñoz
Poussière de charbon et papier sur eau, plexiglas, 6 éléments, 10 x 50 x 50 cm chaque, dimensions de l’ensemble : 10 x 70 x 400 cm.
Courtesy de l’artiste
Pour exprimer ces notions, Oscar Muñoz sollicite les éléments (eau, terre, feu) et les matières. El puente (Le pont, 2004) restitue une projection sur la rivière Cali, du pont où elles ont été prises par des photographes ambulants dans les années 50, de photos de passants anonymes. Simulacros (Simulacres, 1999) se compose de trois images sérigraphiées (le visage, le torse et les pieds de l’artiste) à la poussière de charbon qui s’effacent (très) progressivement sous l’action de gouttes d’eau tombant d’un robinet. Narcisos (Narcisses, 1995-…) est une magnifique œuvre constituées d’autoportraits imprimés à la poussière de charbon sur du papier (pages de journal, plan de ville, carte routière…) posé sur l’eau dans un bac. Là encore, peu à peu, l’image disparaît, l’eau s’évapore et ne restent plus que des résidus, qui donnent naissance à un autre travail, Narcisos Secos (Narcisses secs, 1994-1995), illustration de la mort du processus.
Cette dématérialisation de l’image photographique, ces recherches autour de la disparition, Oscar Muñoz la décline encore et encore. L’étonnant Pixeles (Pixels, 1999-2000) est une série de portraits en morceaux de sucres tachés de café, dont l’artiste sait qu’ils ne résisteront pas au temps. Et dans Linea del destino (Ligne du destin, 2006), il projette son portrait au creux de ses mains rempli d’eau laquelle, en s’écoulant, dissout l’image sous nos yeux.
Disparition, apparition… Alientos (Souffle, 1995) est œuvre de renaissance. Au mur, une série de petits miroirs ronds. Allez vous y regarder et… respirez. Fort. Sous votre souffle surgira, un bref instant, un portrait, celui d’une personne disparue.
Ambulatorio [Déambulatoire], 1994
Oscar Muñoz
Photographie aérienne encapsulée dans du verre sécurité, bois et aluminium, 36 modules,
100 x 100 cm chaque.
Courtesy O.K Centrum, Linz
L’image, la vie. Oscar Muñoz ose tous les supports pour établir le parallèle entre les deux. Il nous montre comment l’empreinte se crée, il nous jette à la figure l’illusion de sa permanence et nous place face à nous-mêmes : que valent nos souvenirs, donc que valons-nous, s’ils s’évaporent ? Inévitablement, on pense aux œuvres de Christian Boltanski ou à celles d’Alain Fleischer (« Le regard des morts »).
El juego de las probabilidades [Le Jeu des probabilités], 2007
Oscar Muñoz
12 photographies en couleurs, 47 x 40 cm chaque avec cadre.
Courtesy de l’artiste et Sicardi Gallery, Houston
Les œuvres d’Oscar Muñoz sont incontestablement fascinantes. Seulement voilà. A force de ricocher d’installations en projections, de se trouver face à tant d’expérimentations dans un seul espace, le visiteur peut en sortir étourdi, voire un peu saturé. Et on se prend à imaginer quelle force pourraient avoir ces œuvres présentées seules ou à quelques-unes seulement, dans un lieu choisi. Trop d’œuvres tuerait-il l’œuvre ?
Protographies, d’Oscar Muñoz
Jusqu’au 21 septembre 2014
Jeu de Paume
1, place de la Concorde
75008 Paris
www.jeudepaume.org
Du mardi au dimanche de 11h à 19h
Entrée : 10 € ; tarif réduit : 7,50 €
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