C’était mieux maintenant est une rubrique qui prendra certaines semaines le relais de la question. Son but ? Déceler à travers l’histoire de la photographie des échos entre des œuvres du passé et des travaux actuels, des formes récurrentes, des démarches présentant des similitudes. Parce que la photographie constitue toujours un grand brassage de moments de pensée, d’art et d’émotion.
Le tsunami médiatique est en marche : les murs se couvrent d’affiches représentant une vague géante prête à déferler sur un homme seul, qui marche sans crainte. Dans quelques jours, Exodus, Gods And Kings, le biopic de Moïse, réalisé par Ridley Scott, sortira sur les écrans. Avec ce motif symbolique : la vague. Un concept multi-fonctions dans lequel de nombreux photographes se sont plongés.
La disproportion entre l’assurance presque nonchalante de Moïse et le mur d’eau qui menace de l’engloutir contient toute la tension entre la catastrophe inéluctable et l’instant d’avant, celui où tout est encore possible. C’est cette tension qu’exploitait déjà le film de Roland Emmerich, 2012 (souvenez-vous, la prophétie maya de la fin du monde), préférant les foules priant devant la vague à la jubilation enfantine devant les villes englouties. Le choc des tsunamis de 2004 dans l’Océan Indien et 2011 au Japon ont bien sûr réanimé l’imaginaire du film-catastrophe. Mais la vague n’est pas qu’un instrument de frayeur : elle est un motif fécond pour les arts traditionnels et contemporains. La photographie elle-même la décline sous des formes et des esthétiques diverses.
A l’origine, deux grandes vagues qui vont se déverser sur la photographie. Celle de l’estampe japonaise de Hokusai, si élégante par sa ligne claire, si pure dans sa composition en spirale, presque anthropomorphique tant elle apparaît comme un monstre prêt à refermer ses griffes d’écume sur le mont Fuji.
Quelques années plus tard, c’est Gustave Courbet qui peint sa vague : la puissance a remplacé l’élégance. Il s’agit de faire vrai : terre, eau et ciel d’orage sont peints d’une même pâte épaisse. Les eaux sont noires et le fracas prêt à s’abattre.
Et voilà que la jeune photographie veut elle aussi avoir ses vagues. Gustave Le Gray crée des marines (genre pictural qui désigne à la fois un sujet -la mer- et le format des toiles, plus étiré dans la longueur que le format paysage). Pourquoi dire qu’il les crée ? Parce que les négatifs de l’époque ne peuvent pas enregistrer en même temps des détails sur le sol et dans le ciel. Quand le paysage est bien exposé, le ciel est nécessairement blanc. Le Gray doit donc réaliser un trucage en superposant sur un seul tirage deux négatifs bien exposés : un pour le sol et un pour le ciel. Sa vague, longtemps la photo la plus chère au monde, est aussi une prouesse au niveau du temps de pose, suffisamment court pour rendre visible une certaine instantanéité.
Cette idée du suspens, du mouvement arrêté, n’est pourtant pas ce qui a le plus retenu l’attention des photographes contemporains, même si Elger Esser, l’a prolongé en se réappropriant des cartes postales du XIXème siècle. En les recadrant et les agrandissant, il retrouve une esthétique romantique et pictorialiste (Voir notre article sur le pictorialisme) à l’opposé du réalisme de Courbet. L’aspect informe de la vague remplit le cadre : un cadrage moderne soutenu par une esthétique traditionnelle. Une collision efficace.
L’informe, la masse bouillonnante, entre flou et netteté, prête à noyer l’image. Celle qui fait tanguer le spectateur, lui ôte ses repères, le gifle d’embruns. Celle qui envahit le cadre et nous prend dans son mouvement. La beauté formelle de ces vagues, c’est celle qu’on retrouve, hallucinée, chez Antoine d’Agata, ou plus lumineuse, chez Dolores Marat. Menace ou fascination.
La Mer du photographe et vidéaste Ange Leccia est une vidéo fascinante : comme une photo animée d’un mouvement de flux et de reflux, on croit voir la vague se soulever, s’étirer en crête et retomber sans jamais déferler. Ce n’est pourtant que l’image des vaguelettes sur le rivage qui a été retournée à 90°, mais sa force hypnotique nous happe.
La vague est bien toujours ce qui nous tient entre suspens entre la contemplation et l’effroi. Asako Narahashi photographie les vagues de si près qu’il semble au bord de s’abandonner à la noyade. Une photographie très axée sur la perception et la pure sensation transmise au spectateur. Une photographie qui joue avec ses erreurs : flou, flare (diffractions lumineuses dues à l’objectif de l’appareil), éclaboussures.
La mystique de la vague ne serait pas complète sans un petit détour par le surf et ses photos de l’intérieur du tube, sous-genre photographique par excellence : ici, dans des couleurs saturées, la performance du photographe rejoint celle du surfeur.
Le photographe peut décidément faire ce qu’il veut de la vague : l’arrêter, la ralentir, la dompter. Moïse pourra-t-il en faire autant ?
par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
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