Jérôme Huffer travaille au service photo de Paris Match depuis plus de 13 ans. Éditeur et maintenant chef du service, il a assisté et participé à la révolution numérique que vit la presse et le photojournalisme depuis une décennie. En 2012, il crée L’Instant, un blog consacré au photojournalisme sur le site de Paris Match. Au cœur de sa rédaction, il se confronte au quotidien à l’évolution d’un métier peu connu, celui d’éditeur photo. Rencontre.
Interview par Molly Benn. Images : captures d’écran du site L’Instant.
Petite note avant de commencer
Éditeur photo : personne qui se charge du choix des images et de la production des sujets photo au sein d’une rédaction.
OAI13 : Comment es-tu devenu éditeur photo ?
Jérôme Huffer : Je suis entré en stage au service photo de Paris Match en juillet 2001. Je faisais un BTS d’arts appliqués. J’ai arrêté de travailler en septembre. Il y a eu le 11 septembre, que je n’ai donc pas vécu chez Paris Match. Et ils m’ont rappelé en octobre. J’ai fini par être engagé en 2003.
Jérôme Huffer par Benjamin Girette
Tu travailles dans le service photo de Paris Match depuis 2001. Comment le métier d’éditeur photo a-t-il évolué ces quinze dernières années ?
Tout d’abord, je voudrais dire qu’aucun service photo ne se ressemble. Celui de Paris Match reste très particulier dans ses méthodes de travail. Le 11 septembre 2001 a été une véritable rupture dans le mode de fonctionnement d’un service photo.
La méthode de travail que nous appliquons à Paris Match pourrait presque s’assimiler à de l’artisanat. On crée des dossiers photos, on travaille sur une narration. Pour nous, le choix d’une photo va bien plus loin qu’une simple illustration. Au service photo, on prépare une sorte d’exposé en images pour le directeur de la rédaction qui doit tout de suite comprendre la narration proposée.
Comment as-tu travaillé à la transformation des méthodes de travail ?
Quand je suis arrivé au service photo, nous étions peu nombreux à savoir se servir d’un ordinateur. J’ai donc naturellement participé aux réflexions quand les équipes techniques de Lagardère ont transformé nos infrastructures internes. J’ai essayé de faire en sorte qu’elles soient le plus possible adaptées à nos besoins. Mais aujourd’hui, on se retrouve de nouveau dans une phase de transformation.
Pourquoi ?
À l’époque on recevait entre 500 et 1000 photos par jour. Aujourd’hui, on atteint les 35 000 sur nos grosses journées et les fichiers sont beaucoup plus lourds qu’à l’époque. On doit donc réussir à ré-adapter notre flux de travail.
Marc Asnin se fait interviewer par Chris Morris pour L’Instant, photo par Guillaume Binet.
Quels sont les défis que tu as identifiés, en tant qu’éditeur photo, pour faire évoluer le photojournalisme à l’ère d’internet ?
Il faut rapprocher les éditeurs photo des photographes. Les éditeurs photo ne savent pas assez comment travaillent les photographes, tout comme les photographes ne savent pas assez comment travaillent les éditeurs photo. On a des métiers très différents et pourtant on ne peut pas travailler l’un sans l’autre.
Aujourd’hui, est-ce que le rôle de l’éditeur photo se développe sur internet ?
Je ne sais pas s’il se développe mais il est plus qu’indispensable. Les sites internet de presse n’ont pas énormément de budget et travaillent donc essentiellement avec les agences de presse filaires. C’est souvent le rédacteur qui va choisir la photo qui introduira son article. La photo n’est donc qu’illustration. Il n’y a pas de narration qui est pensée. Et pour aller vite, le rédacteur se limite aux photos auxquelles il a le droit. Il ne fait pas de recherche iconographique. Ce mode de fonctionnement a deux conséquences. Tout d’abord, la plupart des sites utilisent les mêmes photos. Et d’autre part, aucune narration photo ne s’installe sur les sites de presse. Alors que pour moi, une photo a un rôle journalistique aussi important qu’un article écrit.
Le propre des éditeurs photo, c’est d’avoir un carnet d’adresses, un réseau de photographes. S’ils ne sont pas intégrés dans les sites web, ils ne pourront pas participer à la construction d’un nouveau modèle économique. Aujourd’hui, concrètement, l’éditeur photo travaille uniquement sur le papier et quand il s’agit de web, il essaye vainement de raccrocher les wagons. Pourtant, c’est lui qui fait attention au crédit des images, qui a une bonne connaissance du travail des auteurs et qui le respecte donc. Par exemple, au moment du décès de Camille Lepage, beaucoup d’articles sont sortis avec des images mal créditées. Ce genre de chose n’arriverait jamais avec un éditeur photo dédié sur internet.
Les éditeurs photo font preuve d’un vrai soutien vis à vis des photographes. Et d’ailleurs, quand tu regardes quels sont les sites qui croissent d’un point de vue économique, ce sont ceux qui ont intégré des éditeurs photo à leur rédaction web (Lens, Lightbox…). Avant, c’était les agences de presse qui tenaient ce rôle de soutien des photographes. Mais aujourd’hui, ce rôle d’intermédiaire se réduit. Aujourd’hui je ne connais pas une agence dont la spécificité est de donner de la visibilité à ses photographes sur internet. C’est dommage.
Le 11 janvier, L’Instant relaye sur les réseaux sociaux les photos de photojournalistes couvrant la manifestation d’hommage à Charlie.
En tant que chef du service photo de Paris Match, quelles sont tes priorités ?
Ma priorité c’est de continuer de travailler pour que des nouveaux modèles émergent. Je suis profondément optimiste et particulièrement pour le photojournalisme. Plus le temps passe et plus la presse web tire son épingle du jeu grâce à des contenus à valeur ajoutée. C’est uniquement sur ces contenus que pourront s’agréger des modèles payants. Et je vois plein d’indicateurs au quotidien qui me donnent raison.
Comme quoi ?
Je vois de plus en plus de photographes qui se servent très bien du web, qui en émergent et qui s’en sortent. Le fond aura toujours raison sur la forme. Les modèles et les acteurs économiques suivront.
C’est pour ça que tu as créé L’Instant, le blog photojournalisme de Paris Match ?
Le photojournalisme fait partie de l’ADN de Paris Match depuis ses débuts. Le magazine a toujours soutenu les photographes par la visibilité qu’apportait le journal ainsi que ses budgets. Alors, au petit niveau de L’Instant, je continue cette tradition. La première vocation de L’Instant était de prendre une place en France qui n’était pas encore occupée : celles des blogs consacrés au photojournalisme. Quant au modèle économique de L’Instant, il est encore en construction. Aujourd’hui, un média papier peut facilement rémunérer un photographe puisqu’il gagne de l’argent grâce à lui. Ce qui n’est pas le cas d’un site internet.
Sais-tu pourquoi tu es éditeur photo ?
J’adore écrire. Quand tu sais manier les mots, c’est un très beau vecteur d’émotion. Mais si tu veux partager des émotions de façon universelle, la photographie reste le meilleur médium. Tout le monde essaye souvent de trouver une ligne éditoriale à Paris Match. En ce qui concerne l’actualité, c’est l’émotion. Il n’y a aucune autre ligne éditoriale que ça. Une double page dans notre magazine doit provoquer une sensation, un saisissement.
Éditeur photo, c’est un métier de partage. Entre le photographe et le lecteur, on crée un lien qui devient vecteur d’émotion.
Site internet : l-instant.parismatch.com
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