De Fenêtre sur cour en passant par Blow up on ne compte plus les personnages de photographes dans les films, à travers l’histoire du cinéma. Mais outre l’aspect anecdotique du scénario, comment construire une représentation crédible du photographe au cinéma ? Certains réalisateurs font appel à de vrais artistes pour les conseiller sur le tournage, aider les acteurs à insuffler plus de crédibilité à leur personnage et réaliser les photographies prises par le protagoniste présentes à l’écran. Le photographe français Nanda Gonzague nous a raconté son aventure sur le tournage du film Le Beau Monde de Julie Lopes Corval. Plus qu’une simple « doublure regard », il a joué le rôle de conseiller.
| Interview par Camille Périssé, images © Nanda Gonzague pour Le beau monde, réalisatrice Julie Lopes-Curval, Pyramide Production.
Photo par Nanda Gonzague, exposée comme étant l’œuvre de l’acteur principal du film.
► ► ► Cet article fait partie du dossier dossier : Filmer la photographie et photographier le cinéma
OAI13 : Comment êtes vous devenu photographe?
Nanda Gonzague : Je suis devenu photographe de manière assez évidente. Vers 21 ans, j’ai pas mal voyagé au Mexique, au Guatemala. Je voulais découvrir le monde. Je m’intéressais à des territoires qui avaient des histoires fortes. Au Guatemala, j’étais présent au moment de la signature de la paix après 36 ans de guerre civile. Cet événement m’a fortement marqué. À mon retour en France, il m’a paru évident de continuer à explorer, avec la photographie, les territoires en transition historique forte.
Comment êtes-vous devenu consultant sur le film Le Beau Monde de Julie Lopes-Curval?
J’ai travaillé pendant plusieurs années sur l’Arménie en transition. Dans le cadre du Mois de la Photo à Paris en 2012, un extrait de ce projet était exposé à la Galerie Central Dupon lors d’une exposition du collectif Transit. Julie Lopes-Curval, qui est réalisatrice de films, a assisté à l’exposition et a vu ces photographies sur l’Arménie. Elle préparait ce film dont le personnage principal est un jeune homme qui se coupe de son milieu bourgeois parisien en devenant photographe. Cette exposition a été un déclic pour elle. Mes images étaient celles qu’elle voulait que son personnage fasse. La production m’a donc contacté pour me dire que la réalisatrice souhaitait intégrer mon travail dans le film. Ils m’ont demandé de faire des photos à la place de l’acteur mais aussi de mettre à disposition des images issue de mes archives ou de mes travaux personnels, dont celui sur l’Arménie, afin de donner au photographe un caractère d’auteur. Ainsi sur les diptyques, on trouve associé sur des images d’Arménie et des portraits faits à Paris ou en Normandie pour le film.
Quel a été votre rôle de consultant?
J’ai rencontré la réalisatrice. Nous avons beaucoup échangé. Je lui ai raconté ma vie, mes projets, mes préoccupations et cela a alimenté une réflexion autour de son personnage et ce qu’il fait en photographie. Nous avons beaucoup discuté autour de la question du collectif de photographes et de ce qu’il implique. Le personnage du film, dans sa recherche d’indépendance, a besoin d’un outil pour mener son projet d’émancipation et de liberté, et il le fait à travers un collectif. J’en ai moi même monté un en 2002 et c’était intéressant pour Julie Lopes-Curval de savoir comment cette forme d’association permet de s’affranchir, de développer une identité et une indépendance, de se créer un espace de liberté que l’on peut piloter soi-même. Contrairement à une agence, le photographe garde la main sur ses photos et leur diffusion.
Nos échanges n’ont pas influencé le scénario qui était déjà écrit mais plutôt la matière qu’elle voulait lui donner. Je crois que cela a permis de mettre des petites nuances, des petites choses qui rendent le personnage crédible.
Comment avez-vous travaillé avec le comédien Bastien Bouillon ?
On a parlé photo. Je l’ai beaucoup suivi pour qu’il ait l’air crédible dans la tenue de l’appareil photo. Dans le film, il utilise un Rolleiflex, le genre de boitier bi-objectif un peu ancien que l’on regarde par le dessus. La technique de maîtrise cet objet impose un comportement. Quand on n’en a jamais pris dans ses mains, on ne sait pas trop comment s’y prendre. J’ai aidé l’acteur à être à l’aise dans des postures qui paraissent crédibles. Sur le tournage, j’ai corrigé ses postures, la façon dont il recharge l’appareil, dont il fait la mise au point etc. Le cinéma est une fiction mais pour que cela fonctionne, il faut que tout ait l’air vrai.
Vous avez aussi réalisé les photographies présentes dans le film. Comment avez-vous travaillé ?
Je fais les photographies à la place du photographe dans le film, je suis un genre de « Doublure regard ».
Il fallait être raccord avec le film qui était en train de se tourner. On ne pouvait pas faire les photos en décalage, il fallait les faire dans le timing du film et du tournage. La caméra filme le personnage en train de photographier puis on refait la scène, je me met à place du photographe et je fais les photographies. Ensuite les images sont intégrées dans le film.
Avez-vous dû vous mettre dans la peau du personnage pour réaliser ces photographies?
D’une certaine manière oui, mais ce n’était pas très difficile pour moi. Dans le scénario du film, le personnage se lance dans la photographie et il a des projets documentaires. J’étais dans la même démarche il y a 12-14 ans. Je me suis presque identifié au personnage donc ça n’a pas été compliqué pour moi de faire les images qu’il était censé faire.
En même temps, il ne fallait pas qu’elles soient trop perfectionnées. Le film avait besoin de photographies simples, empreintes d’une certaine honnêteté. La production et la réalisatrice m’ont laissé carte blanche. Ils m’ont demandé de photographier tel que je l’aurais fait il y a dix ans en tant que jeune photographe. Je me suis simplement débarrassé de petits détails esthétiques qui sont des signatures de ma photographie aujourd’hui mais que je n’avais pas il y a dix ans.
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