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Des photos qui parlent de cinéma qui parle de femmes : Cindy Sherman et James Franco

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Dans sa série de 69 photographies Untitled Film Stills, la photographe américaine Cindy Sherman se met en scène dans de faux photogrammes, c’est-à-dire des images tirées de films. À travers la photographie, elle questionne alors la figure féminine véhiculée par le cinéma. La photographie permet-elle d’interroger le regard cinématographique? La théorie cinématographique permet-elle d’interroger la pratique photographique?



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Untitled Film Stills #21



► ► ► Cet article fait partie du dossier dossier : Filmer la photographie et photographier le cinéma

Réalisée entre 1977 et 1980, la série de Cindy Sherman s’inscrit dans la lignée des grands mouvements féministes américains des années 60-70. En 1968, un groupe de 400 féministes fait irruption à l’élection de Miss America avec des banderoles et jette soutiens-gorge, bigoudis et autres attributs « féminins » à la poubelle en signe de protestation. Si cette action paraît anecdotique, elle est le signe d’une volonté de modifier les représentations et les schémas qui enferrent la figure féminine. Cette image de la femme est à l’époque majoritairement véhiculée par la culture populaire, c’est-à-dire la publicité, la télévision et surtout le cinéma.



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Untitled Film Stills #16


Dans Untitled Film Stills, Cindy Sherman rejoue les stéréotypes de ce cinéma populaire pour mieux comprendre et dénoncer la représentation féminine. Ainsi, elle réalise ses autoportraits en jouant les différents clichés de femmes véhiculés par le cinéma des années 50-60, de la Pin-up à la femme au foyer. Elle se déguise, se met en scène dans des décors faussement tirés de films. Les 69 photographies sont autant d’arrêts sur images de films qui n’existent pas et pourtant elles semblent familières au spectateur tant elles reprennent une narration et une iconographie établies de la femme. Lorsque le spectateur réalise qu’il s’agit encore et toujours de Cindy Sherman, une inquiétante étrangeté s’installe. Par la répétition du visage de la photographe, ces images auxquelles il est habitué lui paraissent bizarres, étranges.



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Untitled Film Stills #48



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Untitled Film Stills


En 1975, l’universitaire Laura Mulvey publie son article Visual Pleasure and Narrative Cinema, texte fondateur des études féministes du cinéma. Selon elle, le cinéma hollywoodien classique reproduit la pensée dominante et la structure patriarcale de l’inconscient collectif pour mieux les pérenniser. En utilisant des principes issus de la psychanalyse à des fins politiques, Laura Mulvey décortique le plaisir visuel en deux phénomènes : le voyeurisme et l’identification. Le cinéma narratif hollywoodien, principalement réalisé par des hommes, pousserait systématiquement le spectateur à s’identifier au regard masculin de la caméra pour observer la femme objet qui s’offre au regard masculin. Le cinéma véhiculerait alors une représentation de la femme comme asservie au regard de l’homme.



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Untitled Film Stills #34



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Untitled Film Stills #58


La série de Cindy Sherman résonne parfaitement avec le texte de Laura Mulvey. Car c’est en défiant le plaisir visuel tel que Laura Mulvey le définit que Cindy Sherman réussit à remettre en question la représentation féminine. Le pouvoir de Untitled Film Stills se situe dans ses paradoxes entre voyeurisme et identification du regard au fil de la narration. En figeant l’image d’un film, la photographe coupe le spectateur de la narration. S’il retrace les schémas stéréotypés du cinéma narratif, le spectateur est rapidement sans repère et pris au dépourvu face à cette immobilité photographique. Cindy Sherman est ici l’artiste et le modèle, le sujet regardant et l’objet regardé, le voyeur et le vu. Cette double casquette déstabilise le spectateur. Il pense observer une femme à son insu pour ensuite se rendre compte que son regard est identifié à celui de cette même femme maîtresse de la mise en scène. La duperie le pousse alors à réévaluer les stéréotypes de la représentation de la femme au cinéma.



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Untitled Film Stills #35


Ces questionnements trouvent un écho supplémentaire lorsque James Franco reprend cette série. Non sans humour, il rejoue les saynètes de la photographe dans sa série New Film Stills. Déguisé en femme, le célèbre acteur, lui-même catalyseur des fantasmes de la gente féminine, discute le texte de Mulvey d’une nouvelle manière : il tente de comprendre en quoi l’iconographie cinématographique et l’iconographie photographique s’interpénètrent pour donner une représentation « genrée » de ses protagonistes.



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New Film Stills #21



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New Film Stills #6



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New Film Stills #58



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New Film Stills #23


Laura Mulvey (1975). « Visual Pleasure and Narrative Cinema » in Screen 16
traduction de l’article sur debordement.fr

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Camille Périssé étudie le cinéma à Paris III. Parallèlement à ses études, elle est rédactrice chez OAI13.

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