Dites, «Indien», ce nom erroné mais couramment utilisé, et immédiatement votre interlocuteur s’imagine un monde de plumes et de flèches, habité de Yakaris et de Pocahontas, de guerriers aux visages sévères et de femmes aux pommettes saillantes. Des peuples qu’Edward S. Curtis s’est empressé de photographier au début du 20e siècle avant qu’ils ne disparaissent. Mais, c’était sans compter leur acharnement, leur vaillance. Ils sont toujours là et s’efforcent de faire respecter leur culture dans toute sa diversité; certains, à travers la photographie.
| Texte par Laurence Butet-Roch.
© Nadya Kwandibens
“Concrete Indians”
10 Indigenous Lawyers, Vancouver, Colombie-Britannique, avril 2012
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Le Canada sans les clichés
«J’ai empoigné un appareil photo par frustration, explique Nadya Kwandibens. Nous ne vivons pas dans des tipis, nous ne paradons pas en peaux de daims et nous ne chevauchons pas à cru à travers de vastes prairies.» Depuis 2008, elle voyage à travers le Canada et les Etats-Unis à la rencontre de ses compatriotes. Contrairement à Edward S. Curtis qui souvent imposait un costume et une pose à ses sujets, la photographe Anishinaabe (Ontario) les laisse déterminer la façon dont ils préfèrent être représentés. Certains choisissent de porter des vêtements d’inspirations autochtones, d’autres leurs apparats traditionnels, et plusieurs marient les deux avec aisance. «Au fil des années, beaucoup de gens sont venus vers moi et m’ont raconté leur histoire, celle de leur famille et les obstacles qu’ils ont traversés. Se faire photographier était un moyen pour eux d’exprimer leur fierté et de se réapproprier leur identité», remarque-t-elle.
Carla, série Mask © Arthur Renwick, 2006
Arthur Renwick, artiste multimédia Haisla (Colombie- Britannique), a aussi utilisé le portrait pour interroger la façon dont les Premières Nations sont représentées. Admirant les masques sculptés par son frère, il a eu l’idée de demander à ses amis de fixer l’objectif tout en déformant leur visage. «Avant de déclencher, je m’assois avec eux et nous discutons des défis auxquels ils font face. Un jour, l’acteur Fernando Hernandez m’a confié son inconfort à tenir le rôle stéréotypé d’un shaman Maya dans le film ‘Apocalypto’ de Mel Gibson. Ça nous a servi d’inspiration», explique-t-il. Exposées, les images, imprimées plus grand que nature, créent un inconfort similaire, mais chez les Occidentaux. «Le public est habitué à voir des images d’Autochtones qui invitent à la sympathie, l’admiration ou la complaisance. Ici, le regard déterminé et sérieux des personnes photographiées se moque de celui qui le regarde», ajoute-t-il.
© Keesic Douglas
Lifestyle 4, 2007
Dans un même ordre d’idées, Keesic Douglas, favorise la parodie pour combattre les clichés. «Sur la réserve, il faut être drôle, sinon tu te retrouves seul. C’est à travers l’humour que je construis une œuvre ‘sérieuse’. Le rire est une excellente entrée en matière. Lorsque tu abordes un sujet complexe et culpabilisant, comme la politique du Canada envers les Premières Nations, mieux vaut ne pas commencer par insulter le public. L’humour en revanche, les attire. Et une fois qu’ils sont devant les photos, tu peux entamer une vraie discussion», croit-il.
Par exemple, dans la série «Lifestyle», le photographe Ojibway (Ontario) utilise les codes des magazines de décorations intérieures pour mettre en scène la vie d’un couple Anishinabek. Un moyen de célébrer l’art et l’artisanat des Premières Nations tout en questionnant ce qui est de «bon goût» et l’usurpation par les sociétés occidentales des symboles autochtones.
© Dana Claxton
Jingle Dress 1 1989-2012
Dana Claxton compose aussi des allégories qui font tomber les barrières imaginées entre traditions et modernité. Elle cite l’image d’une jeune danseuse à clochette, ancrée au centre d’un studio de film. Cette photo évoque à la fois, la ténacité de ces peuples, toujours présents dans un monde contemporain; leur représentation dans les médias occidentaux; et les relations de pouvoir entre les deux univers. «Je raconte ce que je connais. Je connais la culture Lakota, qui est la mienne. Je connais la complexité historique et actuelle des relations entre Premières Nations et colons. Je sais que les Autochtones, à travers les Amériques, souffrent, mais aussi célèbrent. Je sais qu’ils sont systématiquement déshumanisés. Et je sais que ces communautés sont magiques», énumère-t-elle.
«Il n’y a rien de pire qu’un peuple qui oublie sa propre histoire ou qui la laisse être écrite par ceux qui souhaitent les exclure», affirme Arthur Renwick. D’où l’importance des œuvres réalisés par ses pairs et lui-même. A travers celles-ci, une image plus juste des Premières Nations est présentée au monde, encore faut-il qu’il soit prêt à l’accepter.
© Nadya Kwandibens
“Concrete Indians”
Jarret Leaman. Toronto, Ontario, août 2012