La fusillade de Copenhague a fait un sinistre écho à l’attentat contre les journalistes de Charlie Hebdo et celui du supermarché casher de la Porte de Vincennes. Mais comme ces deux précédents, elle est un événement presque sans image, sans cette synthèse visuelle qui symboliserait l’évènement autant qu’elle le réduirait. Alors, en guise d’images, il ne reste que quelques points de passages obligés, quelques figures récurrentes plus illustratives que puissamment évocatrices.
| par Bruno Dubreuil, chroniqueur dévoué
Dans les jeux vidéos (Grand Theft Auto), dans les séries télévisées (Boardwalk Empire), la fusillade est devenue un motif populaire. Les personnages la pratiquent dans un état second, une jouissance qui pourrait se transférer dangereusement au gamer ou au spectateur. Dans un rire dément, le gangster « arrose » tous azimuts. Les douilles vides sont expulsées du chargeur et flottent en l’air. En contrechamp, les corps tressautent sous les impacts. Ensuite, vient le moment d’hébétude, débris et armes fumantes. Alors que les Etats-Unis entretiennent une triste tradition de fusillades publiques, il est surprenant de constater que ce motif s’est banalisé dans les jeux et la fiction. Mais, plus que le charme vénéneux de la violence, c’est peut-être précisément parce que les images réelles font défaut.
Bien différentes des représentations fictionnelles, les images de fusillades se présentent sous quatre formes principales, quatre temps de l’évènement qui sont les mêmes que ceux du commentaire et de l’information.
Premier temps : la confusion. C’est le temps du direct et de ses contraintes : images amateurs, déclenchées par surprise, loin de l’évènement et surtout, alors que l’évènement n’est pas encore compris. Comment alors réaliser une image qui puisse faire sens ? L’image flotte, hésite quant à ce qu’elle doit montrer. Elle n’offre guère de lecture, ne satisfait nullement notre pulsion scopique mais nous assure du plus important : quelque chose a bien eu lieu puisqu’il y a une image.
Deuxième temps : le « feu de l’action ». Evacuation en hâte, courses en tous sens. L’évènement a déjà eu lieu mais paradoxalement, ces instants de grands mouvements l’évoquent plus fortement, parce qu’on les assimilent aux mouvements de fuite qui ont suivi les tirs. Cadrages plus serrés, la stupeur se rapproche du spectateur, les images sont plus impliquantes.
Troisième temps : le temps de l’émotion. Dans l’après immédiat de l’évènement, les images doivent susciter de l’empathie, de l’identification. Les pleurs, les corps allongés, les traces de la violence qui a eu lieu : impacts de balles, taches de sang.
Quatrième temps : les débuts de l’enquête. Le lieu est désormais investi par la police, l’emblême principal est celui des bandes du périmètre de sécurité. L’évènement est laissé à des professionnels, l’image (ou l’absence d’image) est entre leurs mains. Ce sont eux qui savent quelles images montrer.
Plus illustratives que porteuses d’une expérience du réel, ces photos peuvent avoir du mal à concurrencer une vidéo amateur restituant les cris des assaillants et les bruits des détonations.
Elles sont pourtant indispensables si on considère, comme Susan Sontag, que les guerres sans images sont sorties de nos mémoires. Reste ce que les américains appellent le reportage du jour d’après, celui qui revient à froid sur l’évènement. Celui que nous attendons à propos des évènements de janvier.
Thèmes : La question de la semaine