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En mai 2013 commençait le mouvement protestataire du parc Gezi à Istanbul, en Turquie. Emine Gozde Sevim, photographe née à Istanbul et vivant à New-York, débute alors son projet « Homeland Delirium ». Un travail toujours en cours aujourd’hui.
« L’objectif final de ce travail serait qu’il puisse avoir une portée d’archive historique. » – Emine Gozde Sevim
C’est une série de photos documentaires au style impressionniste captant à la première personne les émotions, les transformations identitaires et l’actualité instable qui secouent la Turquie de l’intérieur depuis trois ans que nous livre Emine Gozde Sevim avec « Homeland Delirium ». À travers ses images, on découvre par touches un pays au souffle saccadé dont les multiples respirations ne se coordonnent pas toujours.
J’ai interviewé Emine par mail pour savoir où en était son projet aujourd’hui. Elle m’a partagé ses incertitudes et certaines des dernières photographies de la série.
OAI13 : Salut Emine. Est-ce que tu peux nous raconter comment et pourquoi tu as commencé ton projet photo « Delirium Homeland » et d’où vient ce nom ?
Emine : Oui bien sûr. Au tout début, ce projet était une réponse à ce que j’ai pu ressentir lors de divers voyages en Afrique du Nord et au Moyen-Orient, mais qui ont atteint leur paroxysme lors des manifestations de Gezi, en Turquie, en 2013. J’ai alors appelé ce projet « Homeland Delirium », car il prenait racine dans mon pays de naissance.
Ce que signifie « Homeland » (« terre natale », « patrie ») est évident ; « Delirium » (« en délire »), moins. En fait, cela fait référence à l’inconnu, à cette « actualité » qui change au quotidien en Turquie et qui est tellement aléatoire qu’elle peut être ressentie comme quelque chose de délirant.
Bien que ce travail soit réalisé en Turquie et qu’il ait un rapport avec mon récit personnel et à la relation que j’entretiens avec mon pays, mes choix esthétiques sont portés par l’idée que le discours photographique est un langage universel. Et je le pense tout particulièrement quand, comme moi, on se situe dans le domaine du documentaire.
« À l’heure actuelle, la réalité de la situation, mes sentiments à son égard, et ma relation avec la « patrie », ont radicalement changé. J’essaie de voir si ce changement doit être intégré dans ce travail ou s’il correspond à son point final. » – Emine Gozde Sevim
Ton travail est en cours. Où en es-tu en ce moment ?
Je ne fixe jamais une date de fin à mon travail. L’objectif final de celui-ci serait qu’il puisse avoir une portée d’archive historique. Actuellement, je suis en train d’éditer ma série pour voir où je vais et où tout cela mènera.
Et puis il y a aussi le fait qu’ à l’heure actuelle, la réalité de la situation, mes sentiments à son égard, et ma relation avec la « patrie », ont radicalement changé. J’essaie de voir si ce changement doit être intégré dans ce travail ou s’il correspond à son point final. Bref, je suis dans une phase de réconciliation créative (réconciliation avec moi-même en relation avec le monde extérieur) qui fait finalement partie du processus.
Pourrais-tu m’en dire plus sur ton point de vue photographique ?
Je pense que le mot qui définit le mieux ma démarche est celui de « défi ». Je travaille dans le genre du documentaire, mais mes photos sont aussi impressionnistes. Pour autant, je ne photographie que des scènes qui viennent à moi. Jamais je n’arrange, ni n’interfère. C’est la démarche que je trouve la plus sincère et authentique.
J’essaie de voir si, en tant que photographe, je suis capable d’enregistrer un moment de notre histoire en y retirant les symboles que l’on a pris l’habitude de voir lorsqu’on lit les images. J’aimerais que mon travail soit un peu comme une métaphore universelle sur l’absurdité de notre temps.
« C’est un vrai défi de photographier un pays comme la Turquie. La réalité y change si rapidement ! » – Emine Gozde Sevim
Ton projet porte sur des sujets tels que l’identité de la Turquie et les manifestations à Gezi. Où en est la situation aujourd’hui ?
La situation est aujourd’hui très différente de ce qu’elle était quand mon travail a commencé. Par exemple, les villes du sud-est situées à la frontière syrienne que j’avais documenté il y a quelques mois seulement sont aujourd’hui méconnaissables… Elles ont été assiégées et détruites. Quand j’y étais, il y avait pourtant de l’espoir.
C’est un vrai défi de photographier un pays comme la Turquie. La réalité y change si rapidement ! C’est une des raisons pour laquelle je suis dans la phase d’attente, afin de déterminer comment tout cela va être tissé dans cette histoire.
Comment envisages-tu l’avenir de ta série ?
Bien qu’elle soit toujours en cours, j’ai déjà réalisé plusieurs expositions d’« Homeland Delirium ». Je travaille aussi à un livre. Mon scénario idéal serait bien sûr de continuer à exposer ce travail et ce sujet. Je pense que c’est important qu’ils aient un discours continu.
Merci Emine, bon courage pour la suite.
Pour aller plus loin :
Emine Gozde Sevim est née à Istanbul en 1985. Elle a reçu en 2015 le prix « Emergency Fund » de la fondation Magnum avec dix autres photographes. Vous pouvez visionner d’autres images de son travail « Homeland Delirium » sur son site, et en en savoir plus sur son avancement dans cet article, « UNBEKNOWN. Impressions in continuation of “Homeland Delirium” », publié par Emine sur Medium.com/vantage le 8 décembre 2015.