Vingt mètres sous vos pieds lorsque vous courez sur le boulevard Saint-Michel pour attraper votre RER B à Port-Royal ou que vous attendez le tram Boulevard des Maréchaux, une poignée de personnes parcourt sûrement un des tronçons des trois-cent kilomètres de galeries des anciennes carrières qui creusent le ventre de Paris, appelées abusivement catacombes*. Ces personnes forment une communauté de cataphiles que François X. Klein a rejoint puis photographié pendant plusieurs années.
| Toutes les photographies, © François Klein
Les catacombes font parties de l’imaginaire parisien : la mort de Philibert Aspert descendu dans les souterrains à la recherche de quelques bouteilles de liqueur lors de la Révolution française et la rumeur des réunions néo-nazies dans les années 1980 ne sont que quelques exemples célèbres d’une liste de mythes et mystères que chacun interprète souvent à sa façon.
Depuis sa création il y a plusieurs centaines d’années, ces souterrains ont eu de nombreuses fonctions : carrières, ossuaire, caves ou encore bunker. Interdites au public, une communauté d’habitués, les cataphiles, s’y est pourtant constituée et ce, jusqu’à aujourd’hui. Les motivations actuelles des cataphiles sont multiples et vont de l’attrait pour ce patrimoine peu accessible à la recherche d’un refuge loin de l’agitation de la capitale. Mais tous on en commun de vouloir garder ce lieu de vie alternatif.
Avec sa série « Underground Pirates« , le photojournaliste François X. Klein nous donne un aperçu de la vie sous terre dans les années 2010.
Comment tu en es venu à faire ce projet sur les catacombes de Paris ?
Je fonctionne beaucoup au hasard : le hasard des rencontres, des circonstances. En ce qui concerne le projet sur les catacombes, c’est en me baladant sur la Petite Ceinture (une ancienne ligne de chemin de fer qui entoure Paris – NDLR.) dans le sud de Paris que tout a commencé. J’y ai rencontré Daniel, une sorte d’ermite que l’on pourrait considérer comme « marginal », c’est-à-dire en marge d’une certaine image que l’on se fait de la société. À l’époque, il vivait dans sa petite cahute le long de la voie ferrée. On a passé énormément de temps ensemble à discuter. C’est en squattant avec lui que, de fil en aiguille, j’ai rencontré des gens qui m’ont dit qu’une entrée des catacombes se trouvait dans les environs.
Pourquoi tu appelles les cataphiles, les « pirates » ?
Parce que la plupart des gens qui descendent cherchent à s’affranchir d’un certain carcan sociétal. Il y a une grande spontanéité dans la manière dont on s’y rencontre, il n’y a pas besoin de briser la glace pour ainsi dire. Bref, ce sont des pirates dans la mesure où ils court-circuitent les schémas préétablis qu’on a l’habitude de rencontrer.
C’est pour ça que les cataphiles n’utilisent que des surnoms sans connaitre les noms des autres ?
Les surnoms sont symptomatiques effectivement. Et puis s’ajoute aussi le fait que l’accès à cet espace est illégal : quand personne ne connait ton véritable nom, il est plus difficile pour les policiers et le personnel de la DGSE (Direction générale de la Sécurité extérieure – NDLR.) de t’identifier.
Il faut vraiment avoir en tête que des gens descendent dans les catacombes depuis des dizaines, voire plus d’une centaine d’années : avec ce système, les cataphiles réguliers cherchent à protéger ce lieu, perçu comme un refuge, et où s’est construit une communauté qui se transforme et évolue avec les années.
T’as mis du temps à sortir ton appareil photo la première fois ?
Tu vois cette image ?
C’est la toute première que j’ai faite dans les catacombes. Un type avec une bougie qui montre le chemin. Le jour là on avait seulement une ou deux bougies, et une bière. Lui, il connaissait un petit peu l’endroit. On est allé jusqu’à « la plage », l’une des premières salles. Grâce à ses indications, j’ai pu y retourner la même semaine, en solo. Avec un peu plus de matos, mais toujours avec des bougies. À chaque descente, j’allais un petit peu plus loin. J’ai fini par rencontrer du monde et ces nouvelles connaissances m’ont amené à d’autres endroits. Pendant ce temps, je photographiais de manière spontanée sans que cela pose problème à quiconque. Quelques personnes ont refusé d’être photographié, mais c’est tout.
Ça a pas été difficile de t’intégrer ?
Non, dans la mesure où je descendais toujours seul, sans carte et avec une bouteille de vodka à la main. C’est l’attitude avec laquelle je me suis rendu dans les catacombes qui m’a permis de faire ce reportage : même si maintenant il y a ce produit fini qui va être exposé, je n’y suis pas allé dans ce but, et ça, les gens sur place l’ont bien compris. Si j’étais descendu en disant vouloir réaliser un reportage, je pense que je n’aurais jamais été accepté. Au bout d’un moment, les gens que je rencontrais me reconnaissaient alors que je ne les avais encore jamais vu. Ils savaient qu’il y avait un type qui se baladait avec son appareil photo.
En bref, la photographie m’a surtout servi d’alibi pour vivre cette expérience. Dans les souterrains, j’étais partie intégrante du groupe, cataphile avant d’être photographe. C’est ce sentiment de faire partie d’une communauté basée sur la complicité et un certain sens du partage qui m’a attiré. C’est vraiment un monde à part, totalement différent de ce que l’on peut vivre à la surface de Paris et où tu finis par y recroiser toujours les mêmes personnes. Parmi celles que j’ai rencontré, la plus jeune avait 16 ans, la plus âgée 65. Et cet ado de 16 ans, Dav, était toujours avec un gars qui avait aux alentours de 40-45 ans, Tibab. Sous terre, ils sont meilleurs amis malgré leur différence d’âge, je trouve ça fascinant !
Comme le réseau est assez vaste, on peut aussi distinguer les « gens du sud » des « gens du nord ». À cela s’ajoute des histoires de territoire – qui n’ont cependant pas l’ampleur de celles des années 1980 – et une guerre longue de plusieurs années entre les gens qui peignent sur les murs et ceux qui partent du principe que les catacombes sont un endroit historique à préserver. À une période, des gens descendaient avec des brosses en fer pour enlever les traces de peinture à certains endroits. Mais maintenant il y a tellement de peintures, de fresques… Certaines sont vraiment magnifiques. Le problème, c’est qu’il y a certes des peintres, des tagueurs qui savent faire la part des choses en épargnant les stèles posées il y a environ deux cents ans, mais d’autres ne la font absolument pas.
Il y a des groupes avec une coexistence entre eux ?
Exactement. Par moments celle-ci est conflictuelle, mais il y en a quand même certains qui font en sorte que tout se passe pour le mieux et que cette cohésion fonctionne.
Tu veux dire quoi par là ?
Disons que les anciens sont là pour « rappeler les petits jeunes à l’ordre ». Les gens qui ont un peu plus d’expérience transmettent quelques règles, comme ne pas laisser trainer ses canettes et ses déchets par exemple. Imagine si à une vingtaine de mètres sous terre tout le monde se met à laisser tout et n’importe quoi… C’est un lieu de vie, et en tant que tel, il est respecté.
Elle a donc des règles cette petite communauté ?
Oui. Par exemple, il y a des personnes qui posent régulièrement des fumigènes dans les couloirs, simplement pour le plaisir. Généralement c’est pour emmerder les « touristes », les gens qui sont emmenés par un guide ou qui viennent pour une visite. Ils sont assez mal perçus par les cataphiles qui s’occupent du réseau, c’est-à-dire qui rétablissent des accès coupés par l’inspection générale des carrières bloquant l’accès à certaines parties du réseau, ou qui installent et aménagent des salles pendant parfois plusieurs semaines, voire plusieurs mois. Déblayer, remblayer, déplacer des pierres, etc. : tout ça, c’est un boulot intensif. Du coup, ils font en sorte qu’il y ait le moins de personnes possibles qui viennent s’ajouter à cette communauté ou la « parasiter ».
Mais au final, il y a beaucoup plus de solidarité et de complicité que de rivalités, ça reste un environnement « fraternel » : les gens sont soudés les uns aux autres autour d’une entraide permanente et s’échangent des informations assez spontanément.
Et quelles sont les activités qui se développent sous terre ?
T’as des concerts, des soirées à thèmes, des projections vidéos, des jeux vidéos, de la pétanque ou encore des courses d’orientation. Une fois par an, il y a la journée des enfants aussi : les gamins des anciens qui ne descendent plus, ou alors plus régulièrement, organisent une soirée rassemblant parents et enfants.
Il y a presque un calendrier et des jours fériés quoi !
Ouais presque. Le week-end de Pâques d’ailleurs, il y a une grosse soirée sur deux jours, en mode rave. Le 31 octobre, il y a la Ktalloween, etc. Mais tout cela reste confidentiel : généralement il y a des anciens, des gens qui descendent régulièrement et quelques personnes en plus.
Les gens restent combien de temps dans les souterrains généralement ?
Il y a de nombreuses personnes qui descendent avec des hamacs pour rester 24, 48, 72 heures, voire plus. Mais ça dépend aussi vraiment des gens : ça va du quart d’heure pour ceux qui s’aperçoivent que ce n’est pas leur truc à… J’en connais un qui est resté 62 jours ! C’est certainement le record.
Pas mal !
Ouais, il se faisait appeler Dirty.
Comment il a fait ? Il y a plein de choses qu’on doit faire au quotidien… Se doucher…
Déjà, on peut boire l’eau de la nappe phréatique. Et puis il y a pas mal de monde qui passe régulièrement, donc j’imagine que, au bout d’une ou deux semaines, les gens ont commencé à lui rendre visite pour voir comment il allait, ou pour lui ramener un petit quelque chose… Et puis c’est pas pour rien qu’il s’appelle Dirty !
Qu’est-ce que tu as appris du coup en faisant cette série ?
J’ai appris à me perdre. (rires)
Pour aller plus loin :
– François X. Klein vit actuellement à Hannovre, en Allemagne, où il étudie le photojournalisme et la photographie documentaire (Hanover University of Applied Sciences and Arts)
– son site : fxklein
– En 2016, son travail « Underground pirates » sera exposé dans de nombreux festivals : Lumix Festival à Hannovre/Allemagne (15-19 juin), Les Promenades Photographiques à Vendôme/France (25 juin – 18 septembre), Festival du Journalisme Vivant à Couthures/France (29-31 juillet – screening), Festival Off Visa pour l’Image à Perpignan/France (27 août – 11 septembre).
*Les catacombes ne sont en fait qu’une partie des anciennes carrières et correspondent à l’ossuaire situé sous la place Denfert-Rochereau dans le quatorzième arrondissement.
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