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Au Pornfilmfestival de Berlin, on ne satisfait pas des close-ups sur les parties génitales de partenaires tout droit sortis d’une salle de fitness. Pas avares de chair pour autant, les organisateurs préfèrent mettre tous les ans, en plus de nombreux courts et longs métrages célébrant la diversité des regards, des corps et des pratiques, un ou plusieurs tabous sur la table, images et témoignages à l’appui. À l’ordre du jour de l’édition 2016 qui s’est déroulée du 26 au 30 octobre dernier, la vie avec le VIH et le sida, le travail du sexe, et le fétichisme.

Après la projection du film « Sex + the Silver Gays », documentaire sur les sexe-parties mensuelles new-yorkaises rassemblant un groupe d’hommes âgés autour d’un lit d’hôtel, un des réalisateurs déclaraient : « Je ne suis pas sûr que la sexualité des personnes âgées soit un tabou, je pense que c’est juste quelque chose que les gens n’ont pas envie de voir. ». Et pourtant : un tabou nait quand on ferme les yeux devant l’existence d’une action, d’une pratique, quand on en fait un interdit : ni vu, ni connu.

Une partie du remède contre les idées toute faites qui en découlent est aussi simple qu’efficace : pour initier, ou rendre vivant un débat, on met des images dessus, et on les projette. La seconde partie du job revient aux organisateurs du festival, et comme ils le font bien, et que j’ai eu la chance de visionner une bonne dose de films, il y en a quelques uns que j’aimerais partager à mon tour. Compte-rendu de trois documentaires qui, en accompagnant le quotidien méconnu de personnes souvent stigmatisées à corps défendant, bousculent préjugés sur la sexualité et quelques frontières préconçues de la normalité sexuelle.


Sous le soleil de Palm Springs : fêtes déjantées, drag-queens, et retraités séropositifs

Que se passe-t-il une fois que le verdict d’une infection par le VIH tombe ? Pas la mort en tout cas, mais de (nombreuses) années de vie qui, grâce aux stratégies thérapeutiques actuelles contre le VIH et à l’arrivée des inhibiteurs de protéase au milieu des années 1990, mènent les personnes malades jusqu’à la vieillesse et à la retraite. Ceux qui pensaient mourir bientôt se retrouvent contraints de réinventer leur vie.

c’est ce que Daniel F. Cardone documente dans « Desert Migration ». Il y suit treize hommes homosexuels, vieillissants et séropositifs de longue date. Tous ont la spécificité d’avoir fait le choix d’un changement de vie radical en déménageant à Palm Springs, une ville de Californie réputée pour sa liberté d’esprit et son soleil permanent, et où le fait d’être homosexuel et séropositif importe peu. « Je voulais mourir dans un lieu que j’aime vraiment », confie au cours du film l’un de ces hommes, Joel.





Le film nous plonge dans leur quotidien, à la fois banal et méconnu, et leur prête une voix pour témoigner de vies qui, au cours des années, ont vu les effets secondaires de leur médication (insomnie, dépression, neuropathie, dégénérescence osseuse, insuffisance rénale, troubles cognitifs, et autres) se doubler d’autres, collatéraux mais tout aussi destructeurs : solitude, problèmes financiers, difficulté à donner un sens à sa vie.

De la prise de médicaments comme rituel du matin à la salle de sport, au poste de travail, ou à une inactivité subie, différents parcours humains se croisent avec, au coin de chaque oeil, une mort toujours présente : Steve, sur la piste de dance, envisage le suicide comme solution à la solitude. Ted, en pleine séance de natation, raconte comment son ancien compagnon est mort dans son lit.



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Steve, still © « Desert Migration », 2015



L’une des dernières scènes montre un des protagonistes rendre visite à son compagnon. La vie continue malgré tout, et avec elle l’amour et le sexe aussi.


Travailleuse du sexe, le métier de rêve de Lena Morgenroth

Une personne séropositive, un/e travailleur/se du sexe : chacune pour des raisons différentes voit peser sur ses épaules le jugement d’une sexualité compliquée, torturée, avec comme même horizon l’idée d’une santé incertaine. Mais qu’en est-il quand le travail du sexe est un métier choisi ? Lena Morgenroth le répète à plusieurs reprises dans le documentaire que l’écrivain et réalisateur allemand Sobo Swobodnik a dédié à sa vie, « SEXarbeiterin » : le travail du sexe renvoie à un large panel de réalités différentes allant de la/le prostitué(e) dans une maison close ou sur le trottoir, à la cam/call-girl/boy, jusqu’aux pôles dancers, masseur/ses tantriques, et on en passe. Et la jeune berlinoise fait partie de ceux qui vend des service sexuels par plaisir.





Pendant ces 97 minutes que durent le film, on la suit dans sa vie professionnelle très organisée, sa vie privée épanouie, ses déplacements et son engagement pour une meilleure (re)connaissance de son métier. Polyamoureuse et adepte du BDSM, elle a décidé, au terme de ses études en informatique, de devenir travailleuse du sexe en proposant chez elle massages tantriques, massages érotiques, sexe oral et session BDSM. Une vente de services tarifés légale en Allemagne qu’elle fait varier selon ses propres envies : son corps lui appartient précise-t-elle, et elle choisit les contacts qu’elle a avec ses clients. À la question posée par le public : « travailleuse du sexe, est-ce que cela peut être un métier de rêve ? », elle répond oui ; dès lors qu’on est consentant, et qu’on en a envie, comme pour n’importe quel autre métier. Un métier qui, ajoute-t-elle, lui a permis d’explorer son propre corps et sa sexualité en même temps que celui et celle des autres.

Une des principales critiques adressée à Sobo fut d’avoir réalisé un film trop esthétique et idyllique sur le travail du sexe. Quelqu’un du public demande à Lena ce qu’elle, en tant que principale intéressée, en pense : « quand vous voyez une belle photographie de paysage, vous n’allez pas la critiquer en disant qu’elle ne montre pas la pollution », répond-elle. Pour le travail du sexe, c’est pareil : sa vie portée à l’écran n’occulte pas la face plus sombre du travail du sexe dès lors qu’on replace le film dans un contexte de production et d’opinions plus large où cette branche est souvent synonyme d’esclavage sexuel. Avoir cette composante en mains permet en revanche d’en avoir une meilleure compréhension et d’être plus juste dans les débats, notamment législatifs, qui divisent à ce sujet.


Du fétichisme à la quête spirituelle, il n’y a qu’un pas, et quelques traces de sabots

Le choix de vie de Karen Chessman est bien différent de celui de Lena, mais le sien aussi porte le sceau de la mécompréhension. Karen a 50 ans ; professeure à la retraite et parent d’une jeune adolescente, elle pratique le pony-play, un jeu de rôle lors duquel elle revêt sabots, harnais, crinière et queue sous l’égide d’un dresseur. Le français Jérôme Clément-Wilz l’a suivi pendant quatre ans, jusqu’en Floride où, durant trois semaines d’entrainements, Foxy, taxidermiste et dresseur de pony-players, lui a appris à être cheval.





Sous nos yeux se tisse une relation consensuelle de domination et de soumission entre un dresseur et sa pony-girl, mais aussi d’accompagnement dans une quête spirituelle, mystique, qui va bien au-delà du fétichisme sexuel : « Karen recherche la domination mais elle a aussi une vision du cheval mythique nourrie par les figures mythologiques, le centaure, le cheval de guerre, Pégase etc. Il y a aussi une dimension mystique qui est celle de la transformation en un animal. », confiait Jérôme à Paris Match en 2015. Une recherche de liberté en dehors des sentiers battus dont les raisons psychologiques importent peu au regard de ce que ce partage d’expérience apporte au spectateur. Par ses choix de vie, elle remet en question ce qui, pour beaucoup, apparait comme indiscutable : la différence entre homme et femme (« Plus le temps passe et plus j’assume ce que je suis. J’suis pas trans, j’suis rien du tout moi. Je suis nul part. Moi j’suis punk, j’en ai rien à pêter. C’est No Future, Fuck. »), entre homme et animal. En se préparant pour une séance, Karen confit : être cheval, « c’est l’apprentissage de la faiblesse », mais d’une faiblesse choisie, dans laquelle elle perd ses repères pour renaître, à nouveau.


Le Pornfilmfestival, ce sont de nouvelles perspectives, quelques idées reçues en moins, et des questionnements en plus. Une équation gagnante qui repose sur l’état actuel de la production de films, sur ce que l’on choisit de montrer, et sur une attention portée à ce qui reste dans l’ombre. Un enjeu souligné lors du panel « Racial Politics in Porn », à savoir la faible présence de personnes de couleur dans la programmation et dans le porno en général, est ainsi d’ores et déjà sur la to do list du festival pour les années suivantes.



Pour aller plus loin, vous pouvez visiter le site du Pornfilmfestival de Berlin, du film « Desert Migration », et les pages Facebook des films « Sexarbeiterin » et « Être cheval ». Le film « Être cheval » peut être visionné en entier sur Vice.


Image de une : « Être Cheval », Still, © Jérôme Clément-Wilz / Kidam.