Parmi les 12 lauréats que le jury du festival ManifestO a sélectionnés, Agnès Geoffray se détache par son travail singulier, surprenant et complexe. « Incidental Gestures » est une série qui présente des photographies d’archives des années 1870 à 1970 où l’artiste est intervenue par la retouche. Elle questionne ainsi l’authenticité de l’image et lui donne une autre vie. Une violence intrinsèque se dégage de ces images, due à leur étrangeté. Une même image comporte plusieurs lectures et d’une simple retouche, basculent dans un autre registre. Agnès Geoffray s’intéresse tout particulièrement au statut de victime, refaisant parfois l’Histoire. Par exemple, elle revêt une femme lynchée lors de la libération en 1944, lui rendant ainsi sa dignité. Comment ce projet est-il né ? Quels enjeux s’articulent autour de cette série ? Rencontre avec l’artiste.
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Age13 : Comment ce travail est-il né ?
Agnès Geoffray : Il est né de la rencontre de deux univers photographiques à un moment particulier. Il y a quelques temps, je m’intéressais beaucoup aux photos retouchées sous les régimes totalitaire, et le hasard a fait qu’à la même période, je suis tombée sur une image de ma grand-mère enfant avec ses parents et grands-parents où mon trisaïeul a été rajouté post-mortem. Cette image qui date des années 1900 a été un véritable déclic pour moi. Sous les régimes totalitaires, la retouche servait essentiellement à faire disparaître des sujets, mais là, dans mes archives familiales, on avait ressuscité quelqu’un. J’ai commencé à réfléchir sur cette pratique de la retouche. J’ai voulu la rendre visible.
Je suis partie de photographie récupérées qui, a priori, n’ont pas été manipulées : des images dites « objectives », même si évidemment elles ne le sont pas. Et si elles ont toutes une beauté intrinsèque, la retouche les fait basculer dans un autre statut.
Je travaille depuis plusieurs années sur l’ambivalence des gestes et de la postures. La plupart des images que j’ai sélectionnées sont des photographies achetées dans des fonds anonymes. Celles où figurent des victimes, par contre, on été été récupérées sur Internet.
Soit je partais d’images de victimes et l’acte de retouche était un acte de réparation. Soit je partais de photos assez banales et l’acte de retouche faisait basculer les protagonistes de l’image dans une perspective plus dramatique.
Age13 : Ton travail croise le politique, l’historique et l’artistique. N’y a-t-il pas des interférences qui se créent ?
A-G : Je ne pense jamais mes images comme éminement politiques. Ici elles le sont car je pars, pour certaines, de faits historiques. Mon travail s’attache à observer et mettre en perspective la représentation de la violence. Dans mes propres mises en scène (travaux précédents, ndlr), elle est souvent latente. Là, elles sont violentes parce que ce sont des photos que j’ai récupérées. Et à partir de ces interrogations sur les violences qui nous entourent, j’en suis venue à questionner la figure de la victime. Je touche alors le politique au sens large. On peut aussi bien être victime de faits cruels que de faits anodins. Dans ce que je montre ici, certaines sont assez évidentes parce qu’il y a un contexte historique, et d’autres où l’on ne sait pas ce qu’était l’image première.
Age13 : Celle des enfants par exemple ?
A-G : Quand j’ai acheté cette image, elle montrait déjà ce salut qui est entre le salut hitlérien et l’appel à l’aide. L’ambivalence du geste était déjà présente.
Sur cette image, pour l’un des deux enfants, j’ai resserré les doigts de sa main. Par cette modification, le salut devient plus ambigu. Ces enfants ont quelque chose de très rigide, l’un d’entre eux est au sol. Ils semblent appeler à l’aide. Et même si on peut rattacher leur geste au salut nazi, pour moi reste cette idée d’appel.
Age13 : Pourquoi ne pas être allée chercher des images plus contemporaines ?
A-G : Au départ je voulais travailler sur toutes les époques. En regardant des photos anonymes de toutes les époques, je me suis aperçue que jusqu’aux années 1960, notre rapport à la photographie était différent. On immortalisait des moments particuliers, alors qu’aujourd’hui, on immortalise des instants plus spontanés. Les images plus contemporaines ne m’intéressaient pas car je n’y retrouvais pas ce potentiel ambivalent dans le geste.
Age13 : Ton travail traverse aussi l’histoire de la photographie…
A-G : C’est le propos même du travail. En retouchant les images d’une certaine époque, je souhaitais les faire basculer dans une intemporalité.
Site internet : agnesgeoffray.com
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