Le 17 septembre, à l’occasion de la venue du co-fondateur d’Instagram, Kevin Systrom, au Royaume Uni, une exposition éphémère d’images Instagram s’est affichée à la National Portrait Gallery, à Londres. Sélectionnés par des commissaires « icônes du monde de la culture et des arts » tels Kylie Minogue, Jared Leto ou l’iconographe Web du Vogue britannique, Dolly Jones, les clichés d’instagrameurs faisaient face à des monuments de la peinture. Cet évènement signe-t-il l’entrée de la photographie mobile dans les musées ? Pas tout à fait. Néanmoins, il soulève un certains nombre de questions, notamment celle du statut des images issues de nos téléphones. Ont-elles une vie en dehors des réseaux sociaux et de nos smartphones ?
L’iphonographie, une uniformisation de l’image
L’iphonographie ou la photographie mobile ne désigne pas que les images issues d’Instagram. Elle englobe l’ensemble des applications photographiques disponible sur téléphone (Hipstamatic, Instagram, Shakeit photo…). Leurs points commun ? Elles vous proposent toutes d’appliquer des filtres « vintage » sur vos images. Conséquences ? Effets de mode, uniformisation des images circulant sur les réseaux sociaux et multiplication des images produites (sur Instagram, 130 millions d’utilisateurs actifs uploadent environ 58 photos par seconde, soit près de 5 millions d’images par jour).
« L’objectif d’Instagram est de fournir une excuse aux gens qui n’ont pas le moindre début de goût pour vomir leur vocation artistique contrariée sur les gens avec qui ils sont allés à l’école. »
– Clive Martin, Vice
Instagram et l’illusion de l’art ?
Face aux nombreux acteurs qui dénoncent l’illusion artistique que créé la photographie mobile, André Gunthert répondait en 2012 dans une analyse très pertinente : « Il est probablement vain de chercher aujourd’hui sur les réseaux sociaux l’équivalent de chefs-d’oeuvre susceptibles de légitimer ces nouvelles pratiques du point de vue de la culture distinguée. Ce que produisent les réseaux sociaux est avant tout une modification de notre rapport aux industries culturelles. »
« Je suis fier de ce que je produis avec l’iPhone parce que ces images sont difficiles à faire. »
– Aldo Sperber
Cependant, certains artistes s’intéressent réellement à l’iphonograhie, et sortent même leurs images de leur téléphone pour les faire exister dans des expositions. C’est notamment le cas d’Aldo Sperber, photographe, qui a exposé une série d’images tirées d’Instagram au festival de Pierrevert cet été. Quand on lui demande ce qui lui plaît dans ce réseau de partage de photos, il répond :
« En tant qu’utilisateur, j’aime le fait de pouvoir découvrir énormément d’images, celles de professionnels, celles des amateurs, c’est un vrai terrain d’expérimentation et j’y apprends beaucoup de choses. En tant que photographe, faire de l’image avec un iPhone est, pour moi, une vraie remise à niveau. Contrairement à mon appareil photo reflex qui fonctionne presque tout seul, mon iPhone m’oblige à aller chercher mon image. Bien sûr, il n’empêche qu’il y a bon nombre de photos très faciles à faire et les filtres trichent un peu. Mais un bon cliché dépasse le stade des filtres. Aujourd’hui, je n’ai pas de problèmes à exposer ces images. Je suis fier de ce que je produis avec l’iPhone parce que ces images sont difficiles à faire. »
Évidemment, tout est question de regard, mais aussi de démarche. La photographie mobile est facile et éphémère pour tous… sauf pour les photographes et artistes qui y réalisent un travail expérimental. Pour eux, sortir de l’écran devient alors une nécessité.
Pierre le Govic, imprimeur, a créé une maison d’édition dédiée à la photographie mobile. Pourquoi cette initiative ? Est-ce pertinent ? Rencontre.
Pierre le Govic, éditeur
Fondateur de la maison d’édition « Out of the Phone » dédiée à la photographie mobile
outofthephone.com
Age13 : D’où vous est venue l’idée d’une maison d’édition pour la photo mobile ?
Pierre le Govic : J’ai découvert la photo mobile il y a deux ans par le biais de la plateforme Instagram.
Passionné de photographie, j’ai expérimenté les possibilités que ce nouveau réseau social offrait. Très intéressé par le potentiel de partage et de découverte de talents photographiques à travers le monde, j’ai décidé de créer un blog dédié à la photographie mobile et en particulier à la mise en avant de talents méconnus : emotiondaily.com. Je poursuivais l’idée de créer une maison d’édition depuis longtemps. Mon métier d’imprimeur spécialisé dans l’impression de livres photo avait aiguisé mon regard et donné l’envie de monter des projets d’édition moi-même.
Le travail d’iconographie que j’avais commencé sur mon blog trouvait sa suite logique dans la maison d’édition.
Age13 : Pourquoi imprimer de la photographie issue de téléphone ? Est-ce pertinent ?
Pierre le Govic : J’espère que oui ! L’impression permet de fixer la photographie, de laisser une trace physique, une mémoire. Que l’image soit issue d’un téléphone ou d’un boîtier réflex ne modifie pas cette donne. Le flux des images « mobiles » stockées ou partagées sur les réseaux sociaux est tel qu’il me paraît important de fixer certaines d’entre elles sur papier. Et puis, selon moi, l’expérience émotionnelle liée au papier est vraiment différente du digital.
Age13 : Rencontrez-vous des problèmes de qualité avec l’impression de photo mobile ?
Pierre le Govic : Il y a en effet une différence entre une image issue d’un appareil photo haut de gamme et celle issue d’un capteur d’iPhone, en particulier dans des conditions de prise de vue difficiles telles que les basses lumières. Le téléphone mobile ne va pas concurrencer le reflex sur le piqué de l’image. En revanche, la liberté de mouvement, la spontanéité qu’autorisent la photographie mobile ainsi que le climat généré par certaines images « mobiles » me semblent intéressantes à retranscrire sur papier. Comme pour toute image imprimée, il faut respecter les règles fondamentales de taille d’image et de résolution. Ensuite interviennent des notions de traitement d’image et de choix de papier.
Age13 : Vous avez édité un livre avec Richard Koci, comment s’est passé la production de ce livre ?
Pierre le Govic : Ce fut une très belle expérience. La production s’est faite très rapidement. Deux mois de travail ont suffi entre la prise de contact avec Richard et la sortie du livre. Finalement, on retrouve également à ce stade le côté spontané de la photo mobile, mais je pense que c’est très lié à la personnalité de Richard Koci qui est quelqu’un de très instinctif et qui travaille très vite.
Il m’a envoyé une sélection de 200 photos. J’ai également fait la mienne de mon côté. En tout, j’ai visionné environ 1 000 images parmi lesquelles il a fallu extraire une histoire composée de 80 photographies. J’ai fait la maquette tout seul. Je voulais un objet de taille raisonnable, facilement transportable, mobile, et singulier. Ce premier volume inaugure la collection #onthestreets, qui propose le regard d’un photographe mobile sur une ville.
« Downtown » devait donc donner le ton de la collection tout en respectant la vision de Richard Koci Hernandez. Richard a fait preuve d’une totale confiance en mes choix éditoriaux et techniques, ce qui m’a séduit, impressionné et mis un peu de pression…
Age13 : Qu’avez-vous voulu raconter avec ses images Instagram ?
Pierre le Govic : Pour moi, le travail de Richard est à la frontière entre la « Street Photography » et une photo plus expérimentale.
J’ai voulu décrire la vision expressionniste de Richard : la ville ressentie davantage à travers les expressions des visages de ses habitants que par ses bâtiments.
Il y a un côté fantasmagorique dans ses photos. Les personnages semblent sorties d’un film noir. À travers « Downtown », J’ai essayé de traduire ce que je ressens du travail de Richard Koci : un lieu de contrastes, une ville sombre et cinématographique dans lesquels des personnages anonymes cherchent leur place.
Age13 : La photo mobile a-t-elle le même statut que la photographie traditionnelle ?
Pierre le Govic : Je considère que quel que soit l’appareil photo, ce qui compte c’est le regard. C’est tout ce qui m’intéresse. Donc de ce point de vue, la photographie mobile n’est pas moins intéressante que la photo traditionnelle.
Cela étant dit, il est évident que pour l’instant la photo mobile n’a pas le même statut que la photo traditionnelle. Cette nouvelle forme de photographie est toute jeune. Elle est encore considérée par beaucoup comme une forme « pauvre » de la photographie. Elle n’est pas entrée dans les musées, elle n’existe pas vraiment auprès des institutions, etc. À chaque nouvelle rupture technologique, de nombreuses levées de bouclier apparaissent car cela remet en question des certitudes et surtout menace certains pans de l’économie de la photographie. On peut le comprendre.
Bousculer les certitudes m’intéresse. Et si la photo mobile n’a pas le même statut, elle impose en tout cas une nouvelle culture, celle de la démocratisation, du partage et de l’expérimentation, rendue possible par les réseaux sociaux. C’est ce qui m’a le plus intéressé dans le phénomène Instagram et que je cherche à mettre en lumière à travers ma maison d’édition en allant chercher de nouvelles personnalités photographiques.
Un hebdomadaire national bien connu titrait récemment : « Tous photographes ! », faisant allusion à l’extrême démocratisation de la photo par le biais notamment d’Instagram et de la photo mobile, mais je pense qu’il devient justement de plus en plus difficile d’émerger au milieu de cet énorme flux photographique mondial. Alors, à tous, j’ai envie de dire : « Nous avons désormais tous le même appareil photo, alors faites nous rêver ! » Pas si simple…
© Aldo Sperber
© Aldo Sperber
© Aldo Sperber
© Richard Koci, Downtown, éditions Out of the phone
© Richard Koci, Downtown, éditions Out of the phone
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