Cela pourrait être l’histoire d’une exposition montée par une institution. Une exposition à gros budget gonflé par un généreux mécène. Il y aurait un président-directeur, un administrateur général et un organigramme des équipes. Les choses seraient faciles.
C’est légèrement différent. Une galerie associative. Une exposition avec un budget minuscule. Toute une équipe de bénévoles passionnés qui veulent faire exister leur programmation. Au milieu de celle-ci, une exposition très particulière.
Principe de l’exposition : chaque artiste sélectionné présente un projet abandonné, sous forme de photos, esquisses, croquis ou notes accompagnés d’un texte expliquant les raisons et circonstances de cet abandon.
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Projets abandonnés, journal.
Avril 2010 : ce soir, lors du discours d’inauguration de l’exposition « Projets abandonnés », j’ai plaisanté en lançant que la vocation d’une tel concept n’était pas de se renouveler au point de créer une biennale du projet abandonné. C’est une exposition qu’on ne monte qu’une fois, selon moi : le public ne peut pas être amené à penser que nous accorderions plus d’importance à ce qui est abandonné par les artistes qu’à ce qui est réalisé.
Août 2011 : Carlo (Werner) et Olga (Caldas), mes deux complices pour la programmation et la gestion de l’Immix galerie, me suggèrent qu’il serait bien d’envisager une suite à cette exposition, avec de nouveaux artistes. Je reste sur ma première position et repousse l’idée.
Juin 2012 : déjeuner de travail avec Olga et Carlo sur les pentes de Montmartre. Ils argumentent longuement et me poussent dans mes retranchements : « Que te manque-t-il pour accepter de monter une deuxième édition des projets abandonnés ? » Je me rends compte que je suis prêt à refaire l’exposition, mais que mon principal argument contre repose sur la quantité de travail à fournir et la difficulté à coordonner l’ensemble du montage. Je conclus : « Trouvez la perle rare qui saura coordonner et j’accepte. »
Octobre 2012 : la perle rare s’appelle Anna (Tolila), c’est une de nos étudiantes en photographie, secrétaire de direction, enthousiaste et d’une organisation impeccable.
Novembre 2012 : Olga, Carlo et moi confrontons nos listes de dix artistes que nous souhaitons inviter : beaucoup de noms en commun, ce qui nous conforte dans notre vision commune. Anna propose quelques noms. Nous nous concentrons sur des artistes français, il sera trop compliqué de faire venir des œuvres de l’étranger. Nous envoyons aussi le projet aux artistes ayant exposé dans la galerie depuis l’édition précédente.
Janvier 2013 : Anna nous relance très régulièrement, impossible de s’endormir sur cette expo. Certains artistes sont intéressés par le projet, le contact s’enclenche. Nous parlons beaucoup entre nous pour partager une même philosophie par rapport à ce concept de projet abandonné. A chaque fois que je présente l’idée, je suis un peu plus convaincu de sa pertinence : prendre le travail de la galerie à rebours. Une galerie ne montre que le travail abouti, réussi. Elle ne montre pas la vérité de l’artiste, ses doutes, ses errances, ses échecs. Au fond de moi, je veux même réhabiliter ce qui est abandonné, dire combien ce qui est délaissé nous constitue malgré ce qui peut apparaître comme un rejet.
Avril 2013 : grand soleil, bar de la Marine à Montparnasse, un café avec Yves Trémorin. Découvrir la personnalité d’artistes dont les photos nous accompagnent depuis longtemps, échanger avec eux, connaître plus intimement leur approche artistique, découvrir le projet qu’ils vont présenter : le meilleur de notre travail de commissaire d’expo, celui où nous redevenons des spectateurs.
Fin juillet 2013 : la liste des artistes sélectionnés est bouclée. Par un étrange hasard, nos trois têtes d’affiche, Florence Chevallier, Jean-Claude Bélégou et Yves Trémorin, ont été rassemblées au milieu des années 80 au sein du groupe Noir Limite. Depuis la dissolution du groupe en 93, ils n’avaient pas été réunis. Nous sommes conscients que cela crée une ambiguïté pour l’exposition, comme si l’abandon de Noir Limite faisait écho aux projets abandonnés. Pour l’instant, je ne veux pas encore imaginer l’exposition sur les murs, je la garde encore très imprécise.
Octobre 2013 : à trois semaines du début de l’exposition, comme un coup de poker, nous relançons Véronique Ellena pour lui proposer de participer. Elle se laisse convaincre et nous raconte son projet abandonné. Nous pénétrons au cœur de la création, sentons l’émotion de l’artiste qui nous ouvre sa part cachée.
11 octobre 2013 : établir le plan d’accrochage a duré plusieurs heures. Imaginer l’expo sur des murs blancs, travailler le sens de lecture, se mettre à la place du spectateur. J’en sors épuisé, avec la crainte que tout puisse être remis en question au dernier moment.
21 octobre 2013 : grotte de Font-de-Gaume en Périgord, quelques minutes avant de contempler une nouvelle fois la frise des bisons peinte quinze mille ans auparavant, Anna me téléphone : l’accrochage vient de commencer, les questions pratiques surgissent de tous les côtés et créent de multiples petites incertitudes. Mais l’heure n’est précisément plus au doute, il s’agit maintenant de transmettre aux artistes, avec confiance, notre vision globale de l’exposition.
24 octobre 2013, 19h30 : vernissage de la deuxième édition des Projets Abandonnés.
Viriya Chotpanyavisut, projets abandonnés
Jean-Claude Belegou, projets abandonnés
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Projets abandonnés, galerie Immix
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- Exposition collective.
- Du 25 octobre au 21 décembre 2013.
- Artistes exposés : Florence Chevallier, Jean-Claude Bélégou, Yves Trémorin, Saidia Bettayeb, Clara Djian et Nicolas Leto, David Fank, Jean-Marc Forax, Samuel Hense, Anthony Jahn, Mao Tao, Viriya Chotpanyavisut, Marianne Muller, Véronique Ellena.
- L’exposition « Projets abandonnés » entre dans le cadre des Rencontres photographiques du 10e.
- Galerie Immix : 116, quai de Jemmapes, 75010 Paris.
- Site internet : galerie.immix.free.fr
Vue de l’accrochage par Anna Tolilla
Vue de l’accrochage par Anna Tolila
Florence Chevallier, projets abandonnés
Yves Tremorin, projets abandonnés
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