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« Nouvelles histoires de fantôme » au Palais de Tokyo

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Plus qu’une exposition de photographies, Nouvelles Histoires de Fantômes est une exposition sur les images. Sur la trace que les images laissent en nous, sur la façon dont elles se transforment dans notre mémoire, sur leur destin individuel et collectif. Une exposition qui peut déconcerter au premier abord mais qui mérite qu’on s’y abandonne avec délice. Mode d’emploi à l’intention d’un visiteur qui serait un peu intimidé.

Note de la rédaction : ★★★★★


Vos raisons d’y aller

– vous aimez les expos-concepts
– vous vous intéressez à l’histoire de l’art et à sa théorie
– vous aimez les images, toutes les images

Vos raisons de vous en passer

– vous n’aimez pas que le sens d’une exposition soit en suspens
– pour vous, la photo n’est pas faite pour réfléchir



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©André Morin


La planche 42 de l’Atlas Mnémosyne d’Aby Warburg, les écrits de Walter Benjamin, des extraits de films de Pasolini, Eisenstein ou Godard, des photos évoquant aussi bien Etienne-Jules Marey que l’oeuvre littéraire de W.G Sebald : Nouvelles Histoires de Fantômes pourrait apparaître comme une exposition dans laquelle n’entreraient que les spectateurs bardés de culture et de références. Il n’en est rien. Georges Didi-Huberman et Arno Gisinger ont conçu un dispositif si puissamment suggestif qu’il nous incite à une rêverie sans fin, indépendamment de ses références.

Décrivons ce dispositif : une seule salle dont l’extrémité s’enroule en spirale est plongée dans le noir. Sur le mur de gauche, une frise de grandes photographies imprimées sur papier et collées à même le mur, bord à bord. A plat sur le sol, des projections d’extraits cinématographiques de taille diverse. La bande sonore fait se succéder le son des différents extraits, un à un. Deux points de vue possibles pour le spectateur : au sol, entre les images mouvantes, vision parcellaire et déformée, fourmillement incessant, comme des bassins remplis de mouvements aquatiques ; ou bien dominant depuis le balcon (le bastingage d’un navire), point de vue panoramique qui ne parvient pas à embrasser l’ensemble tant l’oeil peut tisser d’inlassables parcours entre les images au sol et celles qui sont sur le mur.



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©André Morin


Décrire les images présentées : les extraits appartiennent à des œuvres ayant marqué l’histoire du cinéma. Axés autour du deuil et de la lamentation, ils nous plongent dans les histoires humaines, dans l’Histoire des hommes. Les photographies d’Arno Gisinger : peu importe les conditions dans lesquelles elles ont été créées (montage et démontage d’une précédente exposition conçue par Georges Didi-Huberman). Elles nous montrent des œuvres d’art, des œuvres humaines donc ; c’est-à-dire ce que les hommes imaginent pour créer de la mémoire, pour rester dans l’Histoire, pour ne pas disparaître. Or ces œuvres, bien souvent Arno Gisinger nous les montre emballées, dissimulées, retournées contre le mur, comme un travail qui a été fait par un artiste mais que le regard du spectateur doit refaire à chaque fois.



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©André Morin


C’est bien cela que l’exposition attend du spectateur : qu’il élabore lui-même sa vision. Et le sens de cette mise en mouvement des images ne lui est pas donné ou imposé comme un concept qui se vérifierait sur le terrain. Le spectateur ne dispose pas de toutes les références culturelles invoquées ? Quelle importance… Nous sommes comme l’enfant qui rêve en feuilletant un atlas. Il ne connaît ni toutes les villes, ni tous les pays mentionnés. Mais il peut rêver qu’un jour, il les visitera. Alors, si vous ne les connaissez pas encore, emportez quelques noms avec vous. Peut-être les visiterez-vous plus tard… Pour l’instant, rêvons avec les images, laissons-les se réveiller, s’entremêler, se déposer dans nos mémoires et appeler toutes celles qui sont à venir.