Au BAL à Paris s’est ouvert « Dark Knees », première exposition majeure en Europe de Mark Cohen, photographe américain né en 1943 dans la petite ville de Wilkes-Barre, en Pennsylvannie. Cela fait quarante ans qu’il en arpente les rues, appareil photo en main. Ses « portraits », la plupart sans visage, oscillent entre Street Photography et surréalisme.
Des photographies « accidentelles »
Des jambes, beaucoup de mains, des bas de visage, des épaules, des pieds. L’appareil est près, très près, et le cadrage taille, découpe, isole. On est happé par les détails – les rides d’une bouche, la maigreur d’un mollet, la peau qui apparaît à travers la déchirure d’un maillot de corps. Mark Cohen mitraille, se laissant guider par sa vision des formes, par le mouvement des corps, par l’effet de surprise. « Les photographies sont vraiment accidentelles », peut-on lire dans le livre-catalogue de l’exposition. « Parce que c’est comme ça que je les prends. Mes prises de vue sont totalement imprévues et aléatoires. Je vais très vite, la lumière est probablement mauvaise, et le gamin détale ou la vieille dame tourne le coin de la rue. »
Une très grande liberté
Gamins, vieilles dames, vieux messieurs… De ces sujets, on n’aperçoit, dans la grande majorité des tirages, que des fragments. Mais de ces mains crispés sur elles-mêmes ou s’accrochant à un sac en papier, de ces genoux noircis qui donnent leur nom à l’exposition surgissent une foule d’informations. Pas besoin de savoir que Wilkes-Barre, ancienne ville minière, a de sa prospérité perdu jusqu’au souvenir. De cette galerie de gros plans transpire la pauvreté, voire l’angoisse. Cela ne fait pas pour autant de Mark Cohen un photographe social. Lui-même dit être devenu, à force d’errer dans ces rues, toujours les mêmes, un surréaliste. Et il est vrai que de ses photographies émane un sentiment de très grande liberté. Les quelques paysages, les belles natures mortes arrivent telles des respirations et confirment, s’il en était besoin, l’extraordinaire attention que Mark Cohen accorde à ce qui l’entoure, quoi qu’il dise de sa pratique.
D’autres Américains
Les légendes, inscrites comme à la craie sous les photographies courant à la manière d’une frise le long des murs de la salle du bas, s’accordent avec le côté brut des images. Descriptives, elles en énoncent les composantes, allant jusqu’à préciser parfois qu’elles ont été prises au flash. Une approche presque clinique, en tout cas complètement cohérente avec l’œuvre photographique, comme si Mark Cohen nous disait : « Il n’y a rien à chercher dans ces images. Tout est là, sous vos yeux. » En découvrant ce qui est, aussi, une vision de l’Amérique des années 1970, on ne peut pas s’empêcher de penser aux Americans que Robert Frank a photographiés quelque vingt ans plus tôt. Comme après avoir regardé les images du photographe suisse, on ne voit plus la réalité tout à fait de la même façon après cette exposition.
« Dark Knees », de Mark Cohen. Jusqu’au 8 décembre.
LE BAL, 6, impasse de la Défense, Paris 18e.
www.le-bal.fr
Conversation entre Mark Cohen et Vince Aletti le samedi 16 novembre à 11h
(réservations : contact@le-bal.fr)
Dark Knees, livre-catalogue de l’exposition, LE BAL/Xavier Barral, 45 €.
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