Depuis le 30 novembre 2015, et pendant deux semaines, la majeure partie des nations mondiales négocie l’avenir de la planète à la COP 21. Débats, conférences de presse, rapports, projets de rapport et même projets d’initiatives. C’est dire qu’on va beaucoup parler. Alors, suivant l’adage selon lequel « une image vaut mieux qu’un long discours », nous nous sommes interrogés sur les photos qui, sur ces sujets environnementaux, avaient pu se révéler marquantes ou décisives. Pour enfin changer le monde ?
La prise de conscience écologique pourrait se résumer à une image fondatrice : celle de la Terre vue depuis l’espace. Depuis 1966, les différentes missions Apollo étaient parvenues à nous donner des vues fragmentaires de la planète Terre. Mais ce 7 décembre 1972, les 3 astronautes de la NASA ont le soleil dans le dos. Alors ils pointent leur Hasselblad sur la planète et prennent ce qui est resté comme un des clichés les plus célèbres de l’histoire humaine. Pour la première fois, la Terre est photographiée dans sa totalité. La photo impose son évidence : notre Terre est la Planète Bleue. Sphère parfaite, aux reflets de pierre précieuse : aussi précieuse que ces billes auxquelles jouent les enfants dans les cours de récréation (la photo sera surnommée Blue Marble, la bille bleue). Un trésor que l’on garde au fond de sa poche tant qu’il n’a pas perdu son éclat.
La prise de conscience opère : la Terre n’est pas seulement belle, elle est aussi unique que parfaitement isolée dans la nuit de l’espace infini. Il faut la protéger : l’image devient vite un symbole pour les luttes environnementales qui prennent précisément leur essor dans ces années-là. Heureux hasard : la portion de terre photographiée met en valeur, non pas les Etats-Unis mais la corne de l’Afrique, partie du monde dans laquelle serait née l’humanité, il y a 250 000 ans.
Presque à la même époque (1971), les images du photographe Eugene Smith révèlent les effets de la pollution au mercure dans la petite ville japonaise de Minamata. Sa photo intitulée Le bain de Tomoko donnera à son reportage un retentissement mondial lors de sa parution dans Life l’année suivante. Sous la pression, le gouvernement japonais prendra des mesures pour indemniser les victimes. Entre temps, les employés de Chisso (entreprise responsable des dégâts) auront violemment pris à partie des manifestants (dont Eugene Smith qui perdra un oeil sous les coups).
Un reportage efficace, certes, et une photo devenue iconique. Mais iconique pour qui ? Pour l’histoire de la photo plus que pour le grand public. Car la photo de ces causes environnementales rejoint rarement la grande Histoire et crée bien peu d’images iconiques, contrairement à la photo de guerre.
Il y a plus encore : les grandes photos environnementales sont souvent… Subliminales ! Elles sont portées par un discours si nourri qu’on a l’impression qu’elles existent. Alors qu’elles n’ont pas vraiment laissé de trace ou bien qu’il existe plusieurs images, mais pas une en particulier.
Prenons quelques exemples. En 1978, le supertanker Amoco Cadiz s’échoue près des côtes bretonnes. Les plages de vacances sont noires de pétrole. Les images de mouettes engluées, écartant leurs ailes comme en une sinistre crucifixion, émeuvent jusqu’aux larmes. Des images aujourd’hui invisibles sur le web. Les a-t-on rêvées ?
La déforestation amazonienne : nous avons tous en tête des milliers de troncs abattus, des saignées de défrichage pour ouvrir des routes destinées à convoyer des machines d’abattage encore plus puissantes. La terre rouge à mise nu. Mais là encore, aucune image en particulier ne se dégage, aucune qui puisse avoir la force visuelle d’une animation satellite :
Mais l’image vue du ciel est à double sens : elle permet de synthétiser la vision tout en la déréalisant.
Le sixième continent de plastique : expression désignant un immense amas de déchets flottants dans l’océan Pacifique. L’expression est si forte qu’elle est en une image en soi. Et là, pas d’image satellite possible à cause de la translucidité du plastique. Peu d’images synthèses qui pourraient mobiliser le public, si ce n’est celle, improbable, qui confronte la pollution à une activité sportive aussi visuelle que liée à la nature : le surf.
Reste la question du réchauffement climatique qui, elle, a trouvé récemment à s’incarner en photos. Les ours polaires sont devenus les symboles de la fonte des glaces. Toutes les images le montrent bien : il est toujours plus facile de faire passer des émotions à travers la figure animale ou humaine. Sans les effets des dérèglements écologiques sur l’homme ou l’animal, il nous est difficile de nous mobiliser.
Mais notre interrogation doit aller plus loin, beaucoup plus loin : elle doit concerner la réception de ces images. Ont-elles le même retentissement partout dans le monde ? Toutes les populations sont-elles informées de la même façon ? Lorsque nous voyons un ours blanc sur un morceau de glace, cela nous évoque immédiatement le réchauffement climatique, mais en est-il de même dans tous les pays du monde ? La question écologique pourrait alors rejoindre la façon d’envisager l’image : chercher des images globales, qui parlent à tous (mais encore faudrait-il s’en assurer), ou bien documenter dans le détail, afin de mettre en lumière nos différents environnements et modes de vie. C’est tout l’enjeu de l’apport des images, pour des prises de consciences aussi globales qu’individuelles.
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BONUS (ajouté le 03/12/2015 par la Rédaction OAI13)
En 2012, la NASA prend la photo « Blue Marble 2012, Arctic ». Évidemment, c’est un lien direct avec la photo « Blue Marble » dont Bruno parle plus haut. Cette image est notamment utilisée par la COP21 dans sa communication.
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