Au Brésil, il existe des photographes de rues. Postés dans les squares avec leurs appareils, ils attendent le client venu se faire tirer le portrait à moindre coup. Depuis les années 90, l’artiste Allemand Joachim Schmid fait la chasse aux négatifs abandonnés aux quatre coins de Belo Horizonte, ville Brésilienne, et en fait de nouveaux tirages. Lambe Lambe réunit tous ces visages d’inconnus et dresse le portrait d’une population et d’une pratique photographique méconnue.
Joachim Schmid est un artiste allemand atypique. Né en 1955, il fait des études dans la communication visuelle et travaille dès les années 80 avec des photographes professionnels. Pourtant, si son œuvre est exposée partout dans le monde, Joachim Schmid ne prend pas de photographies. En 1990, il crée « l’institut de restauration des photographies usées ». Car depuis plusieurs décennies, l’artiste récupère les images abandonnées, les rebus photographiques que les gens jettent, déchirent ou oublient. Un peu comme un Nino Quincampoix obsessionnel, il les cherche, les collecte, les recompose, les recycle et tente d’en réécrire l’histoire.
La première fois que Joachim Schmid se rend à Belo Horizonte en 1992, il trouve une pile de négatifs noir et blanc dans un square. Il découvre que ces photos d’identités d’inconnus sont prises par des « Lambe Lambe », des photographes de rues. « Lambe » signifie « Lécher » en portugais. On les nomme ainsi car ces « photomatons humains » ont l’habitude de lécher le négatif avant de réaliser leur planche contact.
La collection de ces portraits réalisée par Joachim Schmid est un document surprenant. Re-développant les négatifs trouvés, il dresse le portrait d’une ville et de sa population. Prises de manière frontale, sans directive artistique, ces photographies décrivent au naturel les habitants de Belo Horizonte, toutes générations et catégories confondues. Un document sociologique improbable, qui montre les évolutions dans le temps.
Et c’est ce qui fait le charme de Lambe Lambe, découvrir des visages d’inconnus qui s’offrent sans arrière-pensées ni fausse pudeur à l’appareil. On se surprend alors à imaginer qui ils sont, on se demande quelles raisons les ont poussés à faire ce portrait, où sont-ils aujourd’hui, que sont-ils devenus.
Mais la collecte de Joachim Schmid, réalisée lors de plusieurs séjours, en dit tout autant sur la pratique de ces photographes de rues que sur leur sujet. Les Lambe Lambe travaillent avec une simple caisse de bois qui fait à la fois office d’appareil et de chambre obscure pour le développement du cliché. Les clients repartent avec leurs portraits quelques minutes plus tard. Les négatifs sont abandonnés par les photographes. Car si ces portraits ont certaines qualités esthétiques, ils n’ont aucune valeur artistique pour leurs auteurs. Ils sont réalisés pour remplir des dossiers administratifs et ces photographies d’identité ne sont pas destinées à être vues.
Lorsque Joachim Schmid revient à Belo Horizonte en 2002, les photographes ont, non seulement, changé de square mais également d’équipement. Ils travaillent avec des appareils 35 mm. Une fois la photo dans la boîte, les Lambe Lambe se précipitent dans le laboratoire le plus proche pour y faire développer la pellicule. Les clients reviennent alors chercher leurs photos une petite demi-heure après. Les négatifs sont toujours abandonnés sur place, au grand bonheur de Joachim Schmid qui les ramasse au petit matin avant le nettoyage public.
Lorsqu’il retourne à Belo Horizonte en 2010, les photographes sont toujours là, seulement aujourd’hui, ils photographient les habitants à l’appareil numérique. Plus de négatifs, les photographies sont directement imprimées et confiées au client.
En savoir plus :
Lambe Lambe, Joachim Schmid
Editorial RM
29 euros
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