En 1975, le 17 avril précisément, les Khmers rouges prennent Phnom Penh, capitale du Cambodge. Derrière cette date connue de nos livres d’histoire, se cachent des réalités inénarrables, des souvenirs indicibles et des cicatrices encore douloureuses. Car après la prise de pouvoir de Pol Pot, s’en suivent plusieurs années de violences, de tortures et d’exécutions qui aboutissent au génocide de 21% de la population. La photographe Emilie Arfeuil a rencontré Tut, un pêcheur de Kâmpôt ayant vécu les horreurs du régime. A travers leur relation pudique et intime, ils mettent ensemble des images sur l’inimaginable.
C’est au hasard d’une rue, lors d’un voyage au Cambodge, qu’Emilie Arfeuil fait la connaissance de Tut. Elle rentre en France puis revient un an et demi après leur première rencontre avec l’intention de faire des photographies. Rapidement la confiance s’installe entre les deux et les langues se délient. Paradoxalement, en silence.
Il est bien question d’un langage qui s’établit mais un langage du corps. Sans parole, Tut témoigne et avec les gestes, il raconte, mime et remet en scène ses supplices. Les gestes et les regards témoignant des cicatrices laissées par le souvenir, la mémoire émerge au fil des images.
« Tut a compris immédiatement le dispositif alors qu’il n’est pas du tout dans le monde de l’image. Il y avait une vraie importance pour lui que tout soit enregistré, que tout soit clair et mis en images. Il a vraiment participé au processus, c’est lui qui crée ces mises en scène.» Emilie Arfeuil
La photographe séjourne plusieurs fois chez Tut, durant parfois plusieurs mois. Le travail de mémoire et le langage du corps se développent et prennent de l’ampleur. La catharsis s’intensifie. Le souvenir de la dictature ressurgit dans les mises en scène qu’en fait Tut et dans des détails. Chaque chose en évoque une autre d’une sourde violence.
« Il y a des choses qui sont des réminiscences d’une forme de violence, de souvenirs qui font que Tut a envie de mimer quelque chose. » Emilie Arfeuil
Immergés dans le quotidien du pêcheur, des objets de tous les jours deviennent les accessoires d’une représentation de la mémoire. Les dates sont inscrites à l’eau, du bout des doigts sur les lattes du sol, un fruit ensaché évoque la torture par suffocation, une fleur coupée rappelle l’amputation d’une phalange.
Le livre Un passé sous silence retrace parfaitement ce récit silencieux et donne une véritable ampleur à la valeur mnésique de l’image. Un petit format à la couverture immaculée, l’ouvrage laisse la place au blanc, au silence visuel pour mieux entendre l’histoire de Tut et la violence du régime Khmer rouge.
Emilie Arfeuil est partie au Cambodge accompagnée du réalisateur Alexandre Liebert. Cela donne naissance au film audacieux Scars of Cambodia, un documentaire muet vainqueur de sept prix et sélectionné dans de nombreux festivals. Le film et les photographies se complètent et se répondent. Car toutes les formes que prend ce projet sont cohérentes, subtiles et intimes pour faire la part belle à la mémoire.
En savoir plus :
Un passé sous silence, Emilie Arfeuil
Éditions Charlotte Sometimes
20 euros
Se procurer le livre sur internet
Signature de l’ouvrage Un passé sous silence à l’occasion du vernissage de l’exposition « N° 12 » le 9 juillet à partir de 18h30 (du 6 au 12 juillet, 12 rue Frédéric Mistral à Arles)