Le nombre de festivals de musique et d’arts visuels live a explosé ces quinze dernières années. Mira est l’un d’entre eux. Crée à Barcelone en 2010 par un groupe de passionnés, il a donné naissance en 2016 à un rejeton berlinois. Le 11 juin dernier, je suis allée prendre la température de l’événement dans la capitale allemande.
| Sauf indication contraire, toutes les citations sont de Oriol Pastor, directeur du festival et ingénieur en conception multimédia, interviewé par e-mail à propos du festival.
Le 11 juin se tenait à Berlin la première édition du festival d’art digital MIRA, « un événement durant lequel musique et visuels ont la même importance sur scène », nous explique par email Oriol Pastor, directeur du festival et ingénieur en conception multimédia. Version réduite du festival barcelonais, l’objectif reste le même : créer une plateforme présentant une avant-garde d’artistes réalisant des performances visuelles et sonores et se positionner soi-même comme festival précurseur en initiant des collaborations inédites entre musiciens, DJs et artistes visuels : « Quand un musicien vient jouer chez nous, nous lui proposons de réaliser une performance audio-visuelle en collaboration avec des artistes visuels avec qui nous sommes en contact. C’est pour nous obligatoire que chacune des performances combine les deux. C’est ça, l’esprit de MIRA. »
L’esprit de MIRA : puiser le meilleur de la technologie
Cet « esprit de MIRA » dont parle Oriol, on veut bien croire que ses organisateurs se sont donnés les moyens de lui donner une forme quand on pénètre dans la Maison de la Radio de Berlin-Oberschöneweide, le site du festival. La « Funkhaus Berlin » accueille le plus grand studio d’enregistrement au monde, et dans le jardin, un dôme 360° a été spécialement installé pour l’occasion. Une première dans la capitale. « Si nous avons choisi Berlin, c’est non seulement du fait de l’énorme importance de cette ville dans la culture digitale européenne, mais aussi – et surtout -, en raison des caractéristiques impressionnantes de la Maison de la Radio : un grand espace vert pour placer notre dôme, trois salles phénoménales pour des performances audio-visuelles et des installations, et aussi une salle pour les workshops. C’est complètement fou, c’est un rêve qui devient réalité pour un festival comme MIRA. »
C’est donc un déploiement conséquent de moyens qui a été mis en oeuvre pour partager la curiosité débordante des organisateurs pour une scène puisant ses inspirations dans les avancées technologiques : « La musique visuelle est un champ en permanente évolution et la technologie est grande ouverte pour apporter des outils à la fois pour les artistes et pour les promoteurs. ».
Une curiosité aujourd’hui partagée par de nombreux festivals ayant germés dans ce terreau digital : « Mira est très lié aux festivals tels que CTM, MUTEK, L.E.V., Unsound, Resonate. L’idée principale derrière leur apparition pourrait bien être la même que la nôtre : comme aucun festival ne s’intéressait à tous ces arts digitaux, des gens ont crée les festivals qui les faisaient rêver. Et puis beaucoup de choses ont changé depuis la fin des années 1990, début des années 2000. À l’époque, les clubs avaient seulement des lasers, un design de scène assez pauvre et des écrans standards. Au milieu des années 2000, tout cela a laissé la place à des propositions avant-gardistes : fleurissement du mapping, apparition de nouvelles compositions des scènes et de l’espace, des leds, des cinétiques, des live visuels, des écrans plus grands, des meilleurs projecteurs, lentilles et optiques, et, bien sûr, plus de budget afin de transmettre au public ce qui se fait réellement aujourd’hui en termes de performances de haute technologie. »
Une programmation pointue et diversifiée
Kode9, Lone, Vessel, Andy Stott, et d’autres, pour les artistes sonores. Lawrence Lek, Pfadfinderei, Onionlab parmi les studios et artistes visuels présents. Toute personne s’intéressant de prêt ou de loin à la scène électronique et de arts visuels actuelle comprend très vite que le festival n’a pas fait les choses à moitié. Voici mes impressions sur le déroulé du festival et mes coups de coeur.
Projection d’une performance audio-visuelle de Ralp et Lasal dans le dôme.
Après une après-midi de discussions lors de laquelle des artistes digitaux sont venus partager leur technique ou leur démarche, le bal des performances s’ouvre à 19 heures dans la salle « Recording Hall 1 » avec le groupe Sunny Graves présentant quelques morceaux inédits pour l’occasion. Des compositions vidéos abstraites en noir et blanc agrémentées de flashs et de formes jonglant entre noir et blanc et couleurs, dialoguent avec un paysage sonore saturé, pulsé, voire grésillant.
Dans le même esprit mais en plus torturé, le musicien Vessel et l’artiste portugais Pedro Maia ont donné à la clôture de la première partie de la soirée une allure sinistre, aux relents de claustrophobie et de fantasmes BDSM (Bondage et Discipline, Domination et Soumission, Sadomasochisme) avec « Punish, Honey ». Une expérience d’autant plus dérangeante que rien dans les sensations générées, sinon le médium, ne différencie la noise techno de Vessel du cinéma live filmé au préalable avec une caméra Super 8 et projeté par Pedro : pris ensemble, ils forment une composition crue, brutale, impulsive, euphorisante et inconfortable à la fois, travaillée par les crissements des chaines métalliques.
Clip officiel de « Drowned in Water and Light », issu de l’album « Punish, Honey », réalisé par Pedro Maia pour le musicien Vessel. Pedro a joué avec les mêmes images lors de la performance réalisée à MIRA.
Dans l’espace « Kultursaal », l’ambiance est plus aux musiques purement électroniques. Le DJ londonien Kode9 et l’artiste Lawrence Lek y ont notamment présenté leur nouveau projet, « The Nøtel » : une visite sur écran plat dans un hôtel luxueux et automatisé, où la seule présence visible est celle d’un drone guidé par la manette de Lawrence. Une expérience de simulation dans laquelle les sons du producteur londonien fixent cette sensation d’être l’anti-héro d’un jeu vidéo imaginant un futur impersonnel et peu reluisant.
Trailer du projet « The Nøtel »
Dès que les performances de clubbing commencent pourtant, la musique semble devenir le médium privilégié, me laissant partiellement sceptique sur la place du visuel pour des shows où le focus se déplace de la scène à la fosse, vers la danse du public. Si les visuels du studio de design Pfadfinderei m’ont enthousiasmé, toujours est-il que, pour me plonger – entre autres – dans les basses et le hip-hop de Iglooghost, j’ai souvent dû fermer les yeux sur les formes ondulants sur l’écran, tranchant avec le rythme de la musique.
Un festival grisant ?
MIRA est donc un festival parfait si vous voulez plonger la tête la première dans la marmite audio-visuelle et en goûter la crème. La musique y a indéniablement trouvé des visages autres que ceux de ses producteurs, et les images des voix pour son langage. Tout amateur ou assoiffé d’images et de musiques électroniques en est certainement ressorti grisé par le sentiment d’avoir vécu de multiples expériences et d’avoir fait de véritables découvertes.
Grisé, mais avec une soif inassouvie. MIRA met l’accent sur une tendance (l’union de la musique et du visuel live) et sur des formes d’expression (art digital, musique, images) sans qu’aucune thématique commune n’unisse les différents projets. Ainsi, pour ceux qui ont assisté aux conférences organisées l’après-midi, il était sûrement difficile de comprendre d’emblée pourquoi le studio multi-disciplinaire barcelonais Onionlab nous apportait des détails techniques pour réaliser du mapping à grande échelle, après avoir entendu l’artiste macédonienne Marija Bozinovska Jones, aka. MBJ Wetware présenter ses travaux sur les implications socio-politiques d’un capitalisme connecté. Et c’est normal, leur seul lien est d’appartenir à la vaste scène de l’audio-visuel.
Toujours est-il que Oriol n’a pas tort en disant que cette scène a besoin d’espaces pour se développer. Et son projet d’exporter MIRA à Berlin y contribue. « Nous encourageons les collaborations entre musiciens et artistes visuels afin de former un line up composé de performances travaillées de l’intérieur par les deux parties. ». Un projet louable donc et à contre-courant d’un jugement bien ancré, celui faisant de la musique l’art fédérateur des foules par excellence : « Nous vivons dans un monde où la musique est plus importante que l’art visuel, car la plupart du temps, c’est la musique qui attire les gens dans ce type de festivals. Nous sommes souvent plus intéressés par la musique. Mais aujourd’hui à MIRA, il y a quelques performances présentées pour lesquelles c’est vraiment différent. Yro & Transforma par exemple, ils se sont faits un véritable nom avec leurs performances. Les gens viennent pour les voir eux, et leur installations. », me suggère Pedro Maia, avec qui je me suis assise un moment, micro en mains et qui me conforte par là-même dans une de mes impressions : que MIRA est fondamentalement dans l’air du temps.
Pour en savoir plus :
Vous pouvez vous rendre sur le site du festival berlinois, et de MIRA Barcelone.