Alors que les manipulations d’images de presse sont habituellement un sujet très relayé par les médias, les suspicions de mises en scène de photographies du conflit en Syrie par l’agence Reuters ne recueillent que très peu couverture dans la presse internationale et française.
Le 13 mars 2014, le journaliste James Estrin publie dans le Lens Blog du New York Times une enquête de fond sur le mode de fonctionnement de l’agence internationale Reuters en Syrie. Plusieurs faits sont révélés. Tout d’abord, les correspondants syriens sont pour la plupart des activistes rémunérés 150 $ la journée. Aucune formation de premiers secours ne leur est fournie. Seul un casque et un gilet pare-balles leur est envoyés. L’article de James Estrin fait état des conditions de travail des photojournalistes syriens. Mais parmi les faits accablants, plusieurs interviews anonymes accusent l’agence d’avoir utilisé des images mises en scène pour la couverture du conflit syrien. La réponse de l’agence ne s’est pas faite attendre : « Reuters a précisé au Times pendant ces trois mois d’enquête que leurs allégations étaient fausses. Nous avons réfuté en détail tous leurs exemples précis de présomption de malversation. En dehors des accusations anonymes, l’article ne fournit aucune preuve que les photographes de Reuters aient mis en scène leurs photos, en Syrie ou ailleurs. »
© Hamid Khatib
Suite à cette réponse, peu de médias se sont intéressés à l’affaire. Le NPPA (National Press Photographer Association) poursuit le travail et révèle que l’authenticité d’une série photographique publiée par l’agence est remise en question. Le site internet Bag News étayent les accusations de mises en scène de clichés en proposant une solide enquête sur une série d’images de rebelles syriens jouant de la guitare par le photojournaliste Hamid Khatib. Il réussit à démontrer que la guitare utilisée par les Syriens dans cette scène de liesse n’a en fait que deux cordes et appartient au photographe. Il est donc probable que cette série photographique montrant des rebelles syriens en train de jouer de la musique ait été mise en scène par le photographe. Le British Journal of Photography enchaîne et s’étonne de l’absence totale de réponse de l’agence Reuters. Et après ça ? Plus rien. Aucun article ne s’intéresse à cette affaire, qui pourtant soulève beaucoup de problèmes éthiques quant à la couverture de l’actualité aujourd’hui.
© Hamid Khatib
Depuis l’avènement du numérique, les articles sur la manipulation d’image ont bonne presse. On en compte plusieurs dizaines chaque années et ils ont tous le même fond : oui, avec le numérique tout est possible aujourd’hui ; oui, avec Photoshop on peut gommer des éléments d’une photographie ; oui, certains photographes l’ont fait pour la presse ; et non, ce n’est pas bien. Chaque année, au moment du World Press Photo, on a le droit à ce débat sur l’image numérique, sa manipulation et la presse.
Alors, pourquoi l’affaire Reuters ne recueille-t-elle aucun relais médiatique d’ampleur ?
Parce ce que ce que nous démontre cette histoire est bien plus grave qu’un simple contraste accentué sur une image ou un recadrage esthétique : non, il n’y a pas eu besoin d’attendre l’arrivée du numérique pour commencer à manipuler les images. Toute information est manipulable. Et s’il est avéré qu’une des premières agences de presse du monde est coupable de mise en scène de ces clichés, alors il sera difficile d’accorder sa confiance à bien des médias à travers le monde. L’affaire Reuters ébranle la légitimité et la crédibilité de la presse, aujourd’hui en situation de crise.
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