Toutes les images : © Cyril Marcilhacy / Agence Cosmos
Cet été, le photographe Cyril Marcilhacy s’est rendu en Libye. Son souhait était de documenter la situation des réfugiés partant de ce pays. Confronté à de nombreux obstacles, il n’a pas réussi à réaliser son sujet. OAI13 l’a interrogé sur ce périple et les difficultés qu’il a rencontrées.
Chaque année, les photojournalistes viennent au festival Visa pour l’Image pour montrer leurs images aux iconographes du monde entier. En général, ils sélectionnent leurs meilleurs sujets afin de convaincre les éditeurs photo d’acheter leurs images ou les faire travailler en commande. Cette année, Cyril Marcilhacy s’est rendu au festival avec un sujet qu’il considérait raté, celui qu’il a réalisé en Libye cette année.
Si le photographe s’est rendu dans ce pays, c’est parce qu’il souhaite comprendre ce qu’il se passe sur cette zone qui rassemble de nombreux réfugiés en transit, aspirant à quitter le sol Libyen pour rejoindre l’Europe.
Cyril prépare son sujet avec un rédacteur. Ensemble, ils demandent des autorisations à n’en plus finir, ils contactent le gouvernement, se font accréditer, mais une fois arrivé sur place toutes les portes se ferment. Après deux semaines de reportages, Cyril n’aura réussi à faire que quelques photos de camps de réfugiés à la va vite. Mais à son retour, il décide de tout de même montrer ces images aux éditeurs photo.
Si, pour lui, ses images sont ratées, elles sont tout de même le témoin de son manque de moyens financiers et logistiques. Et au delà même de ce manque de moyens, le témoignage de Cyril révèle les frontières parfois invisibles de l’information, comme les intérêts politiques, les lourdeurs administratives, les violences ou les fausses promesses. La nouvelle situation Libyenne semble faire de ce territoire une zone difficile à couvrir, même pour un photojournaliste qui y trouve ses entrées.
« Tous les jours, tu te lèves avec l’espoir de pouvoir faire des images. Tous les jours, tu as un politique, un milicien, un chef de camp ou un fixeur qui te fait une promesse. Et tous les jours c’est annulé.»
Salut Cyril. Est-ce que tu peux me raconter quand tu es parti la première fois en Libye ?
Je suis parti pour la première fois en 2012. Je suis arrivé au moment des premières élections libre depuis la chute de Khadafi. J’étais en commande pour le magazine VSD. J’avais des moyens, c’est important de le dire. J’ai pu avoir un fixeur, un chauffeur et un hôtel correct.
C’était combien de temps ?
Entre dix et quinze jours.
Avais-tu le sentiment d’être sur un reportage « normal »? ou as-tu remarqué des problèmes d’accessibilité dès le départ?
Tout était encore un peu chaotique dans le pays. Et même s’il y avait des tensions, l’information était accessible à partir du moment où l’on avait un bon fixeur. J’ai aussi eu la chance de partir avec un rédacteur qui avait déjà plein d’idées de sujets en tête.
Et depuis, tu as cherché a retourner en Libye ?
Je n’ai pas eu l’occasion d’y retourner jusqu’à ce que ce même rédacteur, avec qui j’avais travaillé, se trouve en contact avec un lobbyiste qui gère la communication du gouvernement de Tripoli avec le monde occidental. Ce dernier se chargeait d’organiser les visites des ministres du gouvernement de Tripoli (qui n’est pas reconnu par la communauté internationale) afin de créer une rencontre avec les gouvernements occidentaux. Ces rencontres ont pour but de donner de la légitimité aux membres du gouvernement de Tripoli…
Dans quel cadre es-tu donc parti?
Je suis parti avec Mr Poisson, député des Yvelines du PCD (Parti Chrétien Démocrate), qui se rendait en Libye pour rencontrer ce même gouvernement, notamment afin de parler de la situation des réfugiés.
Tu es parti avec des fonds?
Presque pas. Moi et le rédacteur, nous avions 1000 euros pour deux de garanties.
Ça veut dire quoi une « garantie »?
La garantie c’est une avance sur les photos. Le journal qui te place en garantie ne t’assure pas un achat d’images mais il sera le premier à regarder tes photos.
C’est important d’avoir une garantie quand tu pars?
Oui, c’est une sorte de semi-commande. En Libye, c’est juste indispensable. Là bas, si tu n’as pas de traducteur, pas de fixeur et pas de chauffeur, tu ne peux pas travailler. Donc c’est important d’avoir une garantie parce que ça réduit les frais que tu engages.
Tu es donc parti avec fixeur, traducteur et chauffeur?
Normalement notre sujet ne devait pas nécessiter de fixeur tous les jours. Nous devions embarquer sur un bateau des garde côtes. Une petite garantie devait nous aider à payer nos repas, quelques nuits d’hôtel et une journée ou deux avec le fixeur.
On roulait pas sur l’or mais vu qu’on avait l’occasion d’aller en Libye, d’avoir un billet d’avion, on est partis.
Sans l’assurance de pouvoir trouver tout les moyens de faire ton reportage?
Oui. Au début on devait suivre le député pour deux ou trois jours, qui devait rencontrer des gens sur place et visiter des camps de rétention de migrants. Nous devions ensuite passer plusieurs jours à Misrata sur un bateau des garde côtes. Mais au dernier moment, on nous a dit que l’unique bateau dont ils disposaient était en maintenance. Notre sujet principal est donc tombé à l’eau.
Nous avons donc du composer avec la situation et trouver d’autres histoires. On s’est dit que c’était le bon moyen pour défricher et rester ensuite tout seuls pour creuser nos sujets.
Ça te faisait pas peur de creuser vos histoires tous seuls après ?
On avait pas mal d’appréhension, on s’est renseignés auprès d’autres journalistes qui revenaient de là bas. On a passé pas mal de temps au téléphone avec eux. Ils nous ont mis en garde sur la difficulté de travailler sur place, mais ils nous ont aussi confortés sur certaines histoires qu’on avait décidé de raconter.
« Même si tu as eu des autorisations, des lettres de ministres, des coups de fils, tu te retrouves souvent bloqué sur place »
Alors, as-tu réussi à raconter ces histoires?
Pas vraiment. Avant toute chose il faut réussir à avoir une autorisation, quoi que tu veuilles faire. Le gouvernement de Tripoli cherche à prouver à l’Occident qu’il a la maîtrise du territoire qu’il dit contrôler. Par conséquent, il y a des procédures administratives, d’autorisations, d’accréditations, et de la paperasserie dans tous les sens.
Mais parfois, tous ces processus se heurtent aux sensibilités individuelles des personnes que tu rencontres. Même si le gouvernement dit tout maîtriser, il ne faut pas oublier que ce même gouvernement est un assemblage de milices de bords différents et de zones différentes qui se sont mis d’accord pour créer une union, mais elles ne se respectent pas forcément les unes les autres.
Donc, même si tu as eu des autorisations, des lettres de ministres et des coups de fils, tu te retrouves souvent bloqué sur place. Par exemple, le gardien d’une prison et le directeur d’une raffinerie de pétrole nous ont dit: « même si vous avez l’autorisation du ministre, je n’ai pas envie que vous veniez ».
Comment tu gères ce genre de situations ?
On insiste, on insiste, on essaie et après on fait demi tour. On a pas trop le choix.
Après il y a d’autres types de situations. On a visité des camps de migrants avec le député. La liste qui accède à ces camps est très médiatique: toute la presse locale est là pour photographier le député avec des migrants. J’ai réussi à m’échapper un peu de la meute pour parler à quelques réfugiés du camp francophones ou anglophones. Mais quand on s’est rendu d’autres camps, là on avait des gardiens en permanence qui ne nous permettaient de poser qu’une seule question par personne. On avait 5mn top chrono pour photographier le camp. Après on était mis dehors. Ce genre de situation, c’est frustrant photographiquement, mais aussi humainement. Tu as l’impression d’être dans un safari. C’est dur de voir que tu es dans un hangar avec 500 personnes qui te regardent avec leurs grands yeux, mais tu n’as que 5mn pour faire des images, presque sans pouvoir leur parler.
Du coup, sur les douze jours que tu as passé en reportage, comment as-tu pris le fait de n’avoir que très peu d’images?
Tous les jours, tu te lèves avec l’espoir de pouvoir faire des images. Tous les jours, tu as un politique, un milicien, un chef de camp ou un fixeur qui te fait une promesse. Et tous les jours c’est annulé. Donc tous les jours, tu réfléchis pour trouver une solution.Tu explores des chemins parallèles. Par exemple, on a entendu parler de réfugiés d’origine subsaharienne qui faisaient les bords de route sur certains ronds points afin de trouver du travail pour pouvoir payer la traversée de la Méditerranée.
On a essayé, même sans avoir de fixeur, mais tu peux facilement te retrouver dans un endroit chaud. Ça nous est arrivés, au bout de dix minutes, d’avoir des fondamentalistes qui nous courent après en nous insultant et en nous menaçant parce qu’on est journalistes. Quand ça arrive, tu ne reviens pas
Quoi que tu fasses, tu es toujours encadré…
Oui. Le gouvernement te ballade beaucoup aussi. Il te promet des choses qu’il ne fera pas forcément. Alors soit il a moins de pouvoir qu’il peut laisser entendre, ou alors il a besoin de reconnaissance et ça l’arrange pas que tu fasses vraiment des images.
« Aujourd’hui, il n’y a pas de représentation diplomatique en Libye »
Pour toi, pourquoi c’est important de documenter cette zone?
Quand on parle de migration, on voit beaucoup Calais, mais avant Calais, il y a la Méditerranée, et dans la Méditerranée, il y a la Libye. Cette zone est une plaque tournante d’où partent énormément d’êtres humains, qui sont dans des situations difficiles. L’aspect géopolitique de cette zone est très complexe. Quand Khadafi était au pouvoir, c’était connu qu’il servait de « barrière ». L’Europe était, dans un certain sens, ravis d’avoir Khadafi car il garantissait un mur pour empêcher les migrants de traverser. Puis Khadafi est tombé et les frontières se sont ouvertes. Politiquement, c’est intéressant, car c’est le résultat de l’intervention occidentale.
Aujourd’hui, il n’y a pas de représentation diplomatique en Libye. Quand les Libyens arrêtent des migrants, ils ne savent pas quoi en faire. Ils n’ont aucun pays à qui parler pour retrouver leurs origines ou les renvoyer. Alors ils les mettent dans des centres où les conditions de vie sont extrêmement dures. Certaines personnes que j’ai rencontrées dans ces camps me disaient : « je préfère rentrer au Nigéria où Boko Haram fait sa loi plutôt que de rester là, laissez moi rentrer chez moi ».
C’est important de témoigner de ce qu’il se passe là, il faut comprendre ce à quoi sont confronté ces personnes.
Tu nous a dit précédemment que c’était difficile de s’échapper des circuits de communication du gouvernement en présence. Est-ce que tu fais des images même en sachant que tu fais partie d’un processus de communication politique?
Bien sur qu’il faut faire ces images. C’est important de les faire, parce que même si l’on sait que nous faisons partie d’un processus de communication, elles représentent une certaine réalité. Travailler avec des gouvernements ou des institutions qui sont dans une logique différente, d’en être conscient, nous force à prendre encore plus de recul par rapport à la situation. Ça nous force à trouver des idées pour apporter de la matière que l’on estime au plus proche de la réalité. On adapte alors ses cadrages, les moments que l’on photographie, les images que l’on choisit dans l’editing.
Au moment de la diffusion des images, il faut être vigilant sur leur interprétation, les légendes. Être sûrs que ceux qui voient les images soient conscient des conditions de réalisation du reportage.
Ces questions, il convient tout autant de se les poser lorsque nous travaillons sur des terrains qui paraissent moins tendus. La question de la frontière entre communication et journalisme se pose de la même manière sur des sujets en France. Il faut toujours faire attention au contexte dans lequel on fait des images, quelque soit le pays où l’on se trouve.
Merci Cyril.
Vous pouvez découvrir le travail de Cyril sur son site internet : cyrilmarcilhacy.com
[…] Libye : l’histoire d’un reportage impossible, par Molly Benn, OAI13, le 25/09/15 ; […]
Comments are closed.