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Photojournaliste, le « fucking job » de William Dupuy

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Cet article fait partie du dossier de la semaine du 07.04.14 : Paroles de photojournalistes

William Dupuy est un photographe qui collabore régulièrement avec des titres français et étrangers (VSD, Libération, L’Equipe Mag, Télérama, Yards Magazine…), tout en réalisant des sujets proches du documentaire. Au moment des événements en Ukraine puis en Crimée, un échange sur Facebook sur la situation des photojournalistes freelance nous avait interpellés. Nous en avons fait notre point de départ pour lui poser des questions sur son métier.


William Dupuy_01La tribune des révoltés, reportage sur les Ultras Ahlawy réalisé en février 2012 en Egypte (VSD).

[pullquote type= »2″] »Notre métier est immortel, il y aura toujours une histoire à raconter en bas de chez toi ou à l’autre bout du monde. »[/pullquote]

OAI13 : William, tu as eu un échange sur Facebook il y a quelques semaines sur la difficulté des freelances de répondre aux exigences des médias par rapport à l’actu : « Que dire des freelances qui ont suivi le Venezuela, la Thaïlande, la RDC, ou la RCA ? Les rédactions ne répondent même plus si t’es pas en Ukraine… Fucking job ». Tu peux nous en dire un peu plus sur ton sentiment à ce sujet ?

William Dupuy : Alors avant de dire ce que je pense de la situation des photojournalistes freelance, je vais respirer un grand coup et chercher la zénitude au fond de moi… J’ai vite tendance à devenir virulent lorsque je parle de mon métier.

Le discours ne change pas depuis 20, 30 ou 40 ans. On nous annonce la mort du photojournalisme… Les années 80 (l’âge d’or des agences du photojournalisme, ndlr), les directs de la télé de plus en plus facile, la loi Évin de 1990 (son instauration a fait chuter les recettes de la presse, ndlr), en 2000 le numérique, puis les agences « low cost » et la crise… Bref, autant d’arguments rabâchés depuis des années dans tous les festivals du monde. Et pourtant, il n’a jamais été aussi facile de faire ce métier qu’aujourd’hui. Tu trouves un sujet en 10 clics sur le Web, tu prends un billet d’avion en 5 min et tu peux être opérationnel sur le terrain en quelques heures. Avec le numérique, impossible de louper une seule photo. Alors pourquoi ? Pourquoi un discours toujours plus alarmiste ? NOTRE METIER EST IMMORTEL, il y aura toujours une histoire à raconter en bas de chez toi ou à l’autre bout du monde.

Bon maintenant que j’ai fait mon discours idéologique, penchons-nous sur le cœur du problème : l’argent. Si tu veux exister en tant que photojournaliste, il te faut produire des sujets. Qui dit production dit pognon…

– Toc toc toc ! Bonjour monsieur le rédac’ chef, j’ai un super sujet pour toi !
– Ah ouais, c’est super ! Vas-y, on en reparle à ton retour.
– Toc toc toc ! Bonjour monsieur le banquier ! Je suis photojournaliste et j’ai une super histoire à raconter, vous me prêtez 3 000 euros ?
– Whaouuu ! Vous êtes photojournaliste ?! Mais c’est vraiment super comme métier, vous devez beaucoup voyager et bla bla bla bla… Bon pour votre crédit, c’est non … Au revoir ! 

Résultat, tu vends un rein, tu ne paies pas ton loyer, tu casses la tirelire de tes gosses et tu pars avec le minimum du minimum pour survivre.
Nous sommes des précaires. Nous ne luttons pas pour notre survie mais pour notre métier, pour témoigner.


William Dupuy_02La tribune des révoltés, reportage sur les Ultras Ahlawy réalisé en février 2012 en Egypte (VSD).

[pullquote type= »2″] »Les journaux ne devraient être que le relais entre le terrain et le lecteur. »[/pullquote]

OAI13 : Et toi, comment choisis-tu tes sujets et tes destinations ?
W. D. : Il y a des photojournalistes qui collent à l’actu : tel fait est très médiatisé alors ils y vont. Je fais le pari contraire. Je pars du principe que si la presse en parle déjà, je n’ai pas d’intérêt à y aller… Nous, photojournalistes, devons informer les médias. Les journaux ne devraient être que le relais entre le terrain et le lecteur.
Je ne suis pas un voyageur, la destination ne m’intéresse pas : je suis simplement guidé par le sujet. J’aime les images qui portent une réalité souvent dure, mais où l’humain reprend une place positive. Je suis dans une recherche permanente d’authenticité, c’est mon moteur : montrer la vraie vie avec de vrais gens. C’est de cette façon que je décris mon métier à mes enfants.

OAI13 : Sur le terrain, quels obstacles récurrents rencontres-tu ? Quelles sont les solutions pour les contourner ?
W. D. : Les obstacles varient en fonction des sujets. Chaque reportage a sa particularité. Mais s’il y avait une constante, ça serait quand même les autorités qui nous simplifient rarement la tâche. D’ailleurs, depuis mon reportage en Algérie en 1999, je ne fais plus de demande de visa journaliste. L’époque était très tendue avec les islamistes, je me suis fait arrêter par les autorités. Après une nuit d’interrogatoire, ils m’ont remis dans l’avion et retour à la maison. Quand tu es indépendant et que tu as financé toi-même ton projet, tu mets très longtemps à t’en remettre.

OAI13 : Parle-nous du fixeur : son rôle, son coût…
W. D. : Je trouve que la profession ne rend pas assez hommage aux fixeurs. Dans bien des pays, sans fixeur, pas de reportage. Tu crées des liens avec ces gens qui prennent les mêmes risques que toi. Ils nous sortent souvent de situations compliquées. Leur rôle est de nous donner accès à tout ce que nous souhaitons voir. Ils connaissent le pays, les coutumes. Ce sont souvent des journalistes locaux, très au fait de la situation. Les prix varient en fonction des lieux, mais de manière générale, plus c’est dangereux, plus c’est cher. La présence des télés et surtout des médias américains fait flamber les prix, ils débarquent avec des budgets illimités. Tu ne peux même plus trouver une chambre ou un taxi à un prix raisonnable. J’ai eu de très bons fixeurs pour 7 euros par jour, j’en ai eu de moins bons à 150 euros, cela varie vraiment.


William Dupuy_04
William Dupuy_05Survivantes, sujet sur les violences faites aux femmes au Nord-Kivu, réalisé en décembre 2013 à la chambre 4×5, non publié actuellement.


OAI13 : Considères-tu que tu prends des risques ?
W. D. : Notre profession est exposée aux risques, c’est évident. Cependant, il faut démystifier l’emblème du photojournaliste qui passe son temps à courir sous les balles. Oui cela arrive, et hélas les collègues disparus nous rappellent qu’un jour nous pouvons ne pas rentrer. Je n’aime pas l’image du héros romantique que peut véhiculer le métier. Nous sommes avant tout marqués à vie par ce que l’on voit. On ne compte plus le nombre de photographes qui se perdent dans les vices les plus sombres pour essayer d’échapper à leur cauchemar. Le vrai risque est d’être confronté à une réalité qui fera de toi un autre homme — pas forcément meilleur, juste différent.

[pullquote type= »2″] »Je revois chacune de ces photos, les 25 sont gravées dans ma mémoire. Hélas elles n’existent que là. »[/pullquote]

OAI13 : Ton meilleur souvenir ? Ton pire ?
W. D. : Mon meilleur souvenir est une vente aux enchères. J’ai été contacté par le DAL (Droit au logement) pour une vente de tirages destinée à récolter des fonds… et j’ai offert un tirage signé et numéroté de l’abbé Pierre. Une photo que j’avais réalisée lors d’une manifestation aux Invalides.

Je me suis glissé dans la salle et j’ai observé, il y en avait pour toutes les bourses. Un tirage de Marc Riboud est parti pour 2 500 euros. Je me suis dit : « Whaouuu je vais passer pour un blaireau avec ma mise à prix à 150 euros… »

Et là il s’est produit un truc magique : les enchères sont montées et la photo est partie à 2 200 euros ! Tout au long de notre carrière, nous espérons que nos photos puissent un jour changer les choses. C’était fait, comme on dit, la boucle était bouclée. C’était la première fois que je ressentais cette sensation de satisfaction, la première fois où je me suis dit je suis photojournaliste.

William Dupuy_03L’abbé Pierre lors d’une manifestation du DAL, 2004.


Mon pire souvenir… Rien que d’y penser j’ai les larmes aux yeux…

Le Sénégal en 2008. J’ai réussi à convaincre un très bon journaliste, Samuel Humez, de coproduire un sujet sur les migrants retournés aux pays grâce à la prime que le gouvernement français leur proposait. Un mois et demi à Dakar, 25 interviews où les jeunes nous expliquaient leur traversée en bateau, les passeurs qui jetaient à la mer tous ceux qui avaient le malheur de s’endormir, leur arrivée en Europe et surtout leur désespoir face cet Eldorado tant rêvé… Des témoignages bouleversants, mais qui avaient tous un point commun : démystifier l’Europe. Non, la France n’est pas une terre d’accueil et non, il ne suffit pas de débarquer sur les plages espagnoles pour devenir riche.

Le sujet était important pour toute une jeunesse africaine… J’avais choisi de travailler en argentique au moyen format. De beaux portraits carrés, les migrants faisant face aux critiques de leurs compatriotes : le retour au pays est vécu comme un échec, voire comme une trahison par la famille qui, bien souvent, s’est endettée pour payer la traversée. Je revois chacune de ces photos, les 25 sont gravées dans ma mémoire. Hélas elles n’existent que là.

En rentrant le labo m’appelle :

– William tous tes films sont vierges.
– Quoi ?
– Tous tes films sont vierges, non exposés. Il n’y a rien dessus…

Je me suis effondré, je n’ai jamais autant pleuré de ma vie… Tous ces témoignages, ces paroles que jamais je ne pourrai transmettre parce que mon obturateur s’est bloqué… Pourquoi ? Aujourd’hui encore, je ne peux parler de cette blessure sans avoir une boule au ventre… Ils comptaient sur moi pour montrer au monde leur souffrance, expliquer à leur famille pourquoi ils préféraient mourir en Afrique plutôt que de survivre en Europe… Je ne pourrai jamais réparer cela…

 

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Pour en savoir plus sur William Dupuy

  • Naissance en 1972 à Albi
  • Suit une formation de photojournaliste à l’Emi—CFD en 1999.
  • Réalise son 1er reportage sur les femmes qui luttent contre la désertification du Sahel en 2001.
    Publication de 6 pages dans VSD.
  • Intègre l’agence coopérative Picturetank en 2005.
  • Publie Terre de foot, sur le rôle sociétal du foot en Afrique, aux éditions Canal + Horizons, en 2010.
  • Réalise un sujet sur les violences faites aux femmes au Nord-Kivu.

Site internet : www.william-dupuy.com

Toutes les photos : ©William Dupuy

Cet article fait partie du dossier de la semaine du 07.04.14 : Paroles de photojournalistes