Du 31 août au 9 septembre, (presque) tous les yeux sont tournés vers Perpignan : la 25e édition du festival Visa pour l’Image s’y déroule. L’occasion, comme chaque année, d’y faire un bilan entre professionnels. Depuis plusieurs années, la profession souffre à cause de la crise de la presse, et même de la crise tout court. Baisse des commandes, précarité des photojournalistes, crises des agences et des publications, le moral n’y est pas, et l’argent non plus. Cette année, Our Age Is Thirteen souhaite ouvrir les perspectives en posant une question aux acteurs de la profession : « Qu’imaginez-vous pour l’avenir du photojournalisme ? »
Aujourd’hui, du côté des agences, découvrez les réponses de Aidan Sullivan, vice-président de Getty Images, Josh Lustig, responsable des commandes photo chez Panos Pictures, et Gilles Collignon, président de Haytham Pictures.
Aidan Sullivan, vice-président de Getty Images
Le milieu vit une phase de changement depuis plusieurs années. C’est une transition douloureuse, nous avons vu beaucoup de choses se transformer et ce n’est pas fini. Une grande partie de nos amis ont disparu, et nous avons été les témoins de l’agonie et de la chute de titres légendaires.
Cependant, le monde de la presse est doté de gens intelligents. Nous allons nous adapter, et survivre… C’est ce que les journalistes font. On couvre des sujets, on transmet et on raconte des histoires, que ce soit par l’image, la parole ou l’écriture. Et ces histoires, le monde voudra toujours les entendre. Et pour que l’on continue à le faire, il suffit juste de trouver une façon qui nous permette de les diffuser et d’en vivre.
Le photojournalisme ne peut pas mourir.
Le photojournalisme ne peut pas mourir. C’est comme si l’on disait que le storytelling allait mourir. Nous avons décrit et raconté le monde durant des siècles, des peintures rupestres jusqu’à l’upload quasi instantané de photographie d’actualité. Nous avons tout juste opéré la transition du papier à la presse numérique, et ce changement est aussi crucial que celui de la première impression de presse au 17e siècle – et ceux d’avant ! Le tout premier journal, Acta Diurna (Les actes quotidiens, fut publié par les Romains, aux alentours de 59 av. J.-C. il était gravé dans le métal ou la pierre et publié sur des places publiques. Les gens ont toujours de l’appétit pour l’actualité, mais notre façon de la diffuser a changé pour de bon. Pour le pire ? Peut-être pas. À l’âge d’or du photojournalisme, les plus grands magazines consacraient régulièrement 10 à 20 pages à un sujet, et c’était vu comme quelque chose d’exceptionnel. C’est encore le cas du National Geographic. Mais aujourd’hui, le digital est tellement répandu qu’un photographe peut voir ses images publiées moult fois dans des diaporamas et des présentations multimédia.
Le multimédia et les photojournalistes
Le multimédia permet au photographe de s’exprimer à travers l’audio, la vidéo et les photos et à un prix bien moindre qu’avant. Maintenant, il y a toute une nouvelle génération de journalistes qui aiguisent leurs compétences dans ce sens et qui créent des projets excitants. Le tout, ensuite, c’est de savoir comment faire pour que ça paie. Tout le milieu a paniqué quand Internet est arrivé, tout comme l’industrie de la musique au moment où Napster et d’autres ont commencé à mettre en ligne de la musique en libre accès. Notre réaction instinctive nous hantera encore longtemps : nous avons lâché notre contenu au tout-venant et maintenant, nous devons trouver un moyen de faire en sorte que le public trouve normal de payer pour un contenu de qualité, qui a été vérifié, et pas seulement pour les opinions d’un individu équipé d’un simple smartphone ou pire, celles d’une organisation qui utilisera les réseaux sociaux pour faire de la désinformation. On y arrive, différentes approches ont été tentées et certaines commencent à fonctionner. Sans l’ingéniosité, l’implication et la détermination des journalistes, des diffuseurs et des photojournalistes à travers le monde, on vivrait dans un monde uniquement peuplé de célébrités et rythmé par le tourbillon des relations publiques. Je suis vraiment optimiste et je crois en notre profession. J’ai confiance dans le fait que nous trouverons un moyen de continuer à faire notre métier et éclairer les zones plutôt sombres pour informer le reste du monde.
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Josh Lustig, responsable des commandes photo chez Panos Pictures
Je ne crois pas que le photojournalisme soit en crise. Mais, comme l’a dit Jean-François Leroy dans une récente interview du Time, les médias eux, le sont. Aujourd’hui, ils fonctionnent très différemment et le public les consomme différemment. Un exemple révélateur : les récents rapports des Nations unies sur la Syrie tirent essentiellement leurs sources des médias télévisés et sociaux, pas de la presse quotidienne ou magazine. C’est à ce niveau que la bascule s’opère, et les médias traditionnels passent leur temps à essayer de rattraper la situation.
Le photojournalisme n’est pas en crise
Je crois que nous vivons une période très excitante pour le photojournalisme. Il n’y a jamais eu autant de photographes aussi talentueux. Internet et les médias sociaux permettent aux histoires d’être diffusées de façon originale et unique. Aujourd’hui, le challenge, c’est comment les photojournalistes vont-ils gagner leur vie et développer leur métier. Personnellement, je crois que les journaux, les magazines et surtout les iconographes et les directeurs photo joueront toujours un rôle crucial, mais le défi c’est l’argent.
Aujourd’hui, les fondations et ONG occupent une position centrale dans le financement du photojournalisme. Cela implique des complications propres liées à l’objectivité et l’authenticité, même si les journaux ont évidemment leurs propres axes et points de vue.
En tant qu’agence, nous devons être capable de nous adapter à ces changements. Notre expérience de 25 ans dans le milieu nous facilite un peu la tâche. Nous avons toujours entretenu des liens étroits avec les fondations et ONGs et nous travaillons plus que jamais dans un esprit de partenariat avec ces types de structure. Nous travaillons aussi encore beaucoup avec les journaux et magazines. Mais il est rare qu’un photographe obtienne une commande de plus de 2 ou 3 jours pour eux.
Le photojournalisme n’est pas en crise. Ce sont sans doute les débouchés traditionnels du photojournalisme qui le sont.
Quel avenir pour le photojournalisme ?
C’est une question difficile… J’aimerais pouvoir lire dans l’avenir mais j’ai cassé ma boule de cristal !
L’un des aspects les plus intéressants du photojournalisme, et de la photographie en général, est le fait qu’il a toujours été intrinsèquement lié aux développements technologiques. C’est un medium mécanique. L’évolution des reflex numériques et de la vidéo HD a eu des effets phénoménaux sur les méthodes de travail des photojournalistes. Les médias sociaux, eux, ont changé notre façon de communiquer. La plupart des photojournalistes doivent maintenant acquérir de nouvelles compétences, dont comment faire de la vidéo et comment se vendre.
L’image fixe restera toujours, du moins en ce qui me concerne, le medium le plus fort émotionnellement et le medium le plus instantané pour communiquer. Et pour cette raison, la vidéo ne remplacera jamais la photographie. Mais avec le développement des réseaux internet sur téléphone et les applications telles Instagram induit une totale autre représentation de la production et de la consommation de l’image.
Les avancées technologiques ont permis l’émergence de nouvelles façons de raconter des histoires. Le site Snowfall du New York Times a fait beaucoup parler de lui quand il est sorti. Et récemment, j’ai trouvé intéressant This Is Pine Point.
Ce sont de nouvelles manières de raconter des histoires. Et même si elles n’évoquent pas directement l’avenir du photojournalisme, le futur du storytelling et celui du photojournalisme m’apparaissent très liés. Le défi sera notamment de trouver la façon de canaliser ces développements technologiques et ces nouveaux modes de récit. Mais l’avenir sera aussi fait de papier et d’encre – comme cela a toujours existé – , car ce sont des choses que l’on aime, et que l’on abandonnera jamais.
Crédit photo : Josh Lustig by James Barnor
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Gilles Collignon, président de Haytham Pictures
Aujourd’hui, notre modèle économique s’appuie sur la presse papier car celui de la presse Web n’est pas encore fixé. Cependant, sans négliger le papier, nous pensons devoir proposer un modèle pour le Web. Si les rédactions ne bougent pas, c’est alors aux agences de le faire. À moyen terme, notre objectif est de proposer aux rédactions bi-media des systèmes d’abonnement forfaitaire à nos productions. Elles pourront choisir un certain nombre de photos, selon le type d’accord avec les journaux. Des diaporamas prêts à l’emploi sur tel ou tel sujet pourront être inclus dans cet abonnement.
Nous adorons la presse papier
Nous adorons le papier, mais aujourd’hui, l’adage « une bonne photo est d’abord une photo vue » s’applique définitivement à Internet. Le Web va être le modèle économique prédominant. Le papier est presque devenu un produit d’appel pour le web. Nous mettons au point un système qui permettra aux titres de presse d’avoir sur papier une vision d’une histoire, forcément limitée du fait de l’espace de lecture défini, qui renverra sur d’autres produits d’information liés aux images publiées : série, interview, diaporama, témoignages seront exclusivement disponible sur la version Web du média. Pour mettre tout cela en place, les rédactions doivent maintenant jouer le jeu en tentant l’innovation avec nous.
Divers canaux d’information
Aujourd’hui, il y a plus de moyens de s’informer que nous n’en n’avons jamais eus. Il n’y a pas un site d’information digne de ce nom qui n’a pas d’images d’actualité ou autre. Le visuel guide la lecture et donne une autre dimension à l’éditorial. Nous ne sommes pas des pleureuses. Les années 1980 sont terminées. On peut passer à autre chose. Il faut maintenant prendre le changement pour une opportunité de réinventer notre avenir. Les modèles de diffusion commencent à se stabiliser, ce sont les modèles économiques qui sont toujours chancelants. On ne peut pas opposer constamment les photojournalistes qui seraient les bons aux rédactions qui seraient les méchants. Le photojournalisme a clairement un avenir si nous cassons les barrières mentales du passé et des vieux modèles. Tout le monde est en crise. Pourquoi le photojournalisme devrait rester campé sur ses deux pieds en disant : « Non, moi je ne change pas, je refuse ça, je suis contre. » ? C’est aux photojournalistes, aux agences, de se prendre en main, de proposer à leurs clients des solutions puisque ceux-ci n’en proposent pas. Il ne faut pas se mentir à soi-même et attendre les pouvoirs publics. Il faut s’adapter, innover, proposer, essayer. Si on échoue, on recommence.
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