Alors que la Hongrie vient de faire passer une loi autorisant l’utilisation d’armes non-létales par les militaires à l’encontre des migrants* et qu’elle clôture ses frontières*, le photographe de mode hongrois Norbert Baksa publie sur son site Internet son dernier shooting mode intitulé « Der migrant ». Des photos qui font polémique sur les réseaux sociaux.
Capture d’écran du tweet initial de Norbert Baksa
Sur les photos du dernier photoshoot de Norbert Baksa publié il y a quelques jours, la mannequin Monika Jablonczky s’improvise migrante, tantôt apeurée, tantôt empoignée par un policier. À l’occasion d’une pause, elle se prend en selfie, adossée à la clôture, dans ses vêtements de marque avec un téléphone sur lequel on distingue le logo Chanel. Très vite, les réseaux sociaux s’enflamment.
Une série photo mode qui fait polémique sur les réseaux sociaux
La réaction aux photos de Norbert Baksa sur les réseaux sociaux est quasi unanime et tient en trois lettres : non. Un refus largement teinté d’incompréhension.
So this magazine thought it would be awesome to do a fashion shoot themed on the refugee crisis. I mean, really? http://t.co/tjGvRAsMyf
— Matina Stevis (@MatinaStevis) 6 Octobre 2015
« Donc, ce magazine a pensé qu’il serait génial de faire un shooting de mode sur le thème de la crise des réfugiés. Je veux dire, vraiment? »
Au coeur de cette polémique, une question émerge en filigrane de manière plus ou moins explicite : peut-on utiliser l’image des réfugiés pour mettre en valeur des produits de luxe et de Prêt-à-Porter ? Pour beaucoup, la démarche est déplacée.
"Hey, on va faire poser les mannequins en mimant les migrants" @NorbertBaksa. La connerie humaine n'a pas de limite http://t.co/Y3QzP7PRPU
— Amélie Baron (@Ameliebaron) 6 Octobre 2015
Can #photography get any lower than this?! VERY problematic '#Refugee chic' by @NorbertBaksa http://t.co/vvPKQ8piHb pic.twitter.com/GA7fMO4XzE
— Dr Thom Davies (@ThomDavies) 6 Octobre 2015
« La photographie peut-elle tomber plus bas ?! TRÈS problématique #Réfugié chic »
Who wants their day ruined? http://t.co/VVw84Ug7zm Migrant fashion….
— Erin Cunningham (@erinmcunningham) 6 Octobre 2015
« Qui veut se voir ruiner sa journée ? La mode migrant… »
Le photoreporter Louis Witter déplore quant à lui sur Twitter une « glamouris[ation de] la tragédie des réfugiés.».
Le photographe Norbert Baksa qui glamourise la tragédie des réfugiés…. Pas les mots. http://t.co/SS1L4NY4wE pic.twitter.com/erSYCP7JlL
— Louis Witter (@LouisWitter) 6 Octobre 2015
Une justification hasardeuse
Face à la polémique, le photographe a cherché à se défendre sur Twitter et sur son site :
« Je refuse généralement de traiter de sujets politiques, mais cette situation affecte la vie quotidienne de pratiquement tout le monde en Hongrie.
En ce qui concerne les réactions, j’espérais que les gens se rendent compte que la situation est très complexe et je vois qu’ils prennent position sur la base d’informations partielles ou biaisées. Je ne comprends pas comment les gens peuvent prendre une position claire (pour ou contre), alors que nous sommes inondés par des informations contradictoires dans les médias, de sorte que personne ne possède une connaissance approfondie de la situation dans son ensemble. C’est exactement ce que nous voulions photographier : vous voyez une femme souffrante, mais aussi belle, et qui, malgré sa situation, a quelques pièces de haute qualité et un smartphone.
Heureusement, beaucoup de gens ont saisi le sens de mon travail et l’apprécie pour ce qu’il est censé signifier. D’autre part, des tas de gens réagissent de leur point de vue sans chercher à comprendre le sens du message. Ces personnes trouvent ces photos choquantes, nous n’avons jamais pensé à offenser quelqu’un, mais plutôt à attirer l’attention sur la complexité du problème de ces gens. Pendant le shooting, nous avons fait de notre mieux pour respecter la foi et la conviction des gens et pour ne pas franchir certaines limites.
Le shooting n’est pas destiné à glamouriser cette situation clairement mauvaise [même si plus haut il explique que les photos représentent une « belle » femme avec des « pièces de haute qualité et un smartphone », NDLR], mais plutôt, comme dit ci-dessus, à attirer l’attention sur le problème et faire réfléchir les gens à ce sujet. Les artistes de par le monde attirent régulièrement l’attention du public sur les problèmes actuels par le biais d’installations et de photos «choquantes». Ceci est un exemple parmi d’autres d’un tel art.
Pour les gens qui disent que je suis stupide, je peux seulement dire qu’ils doivent examiner le problème sous des angles différents. D’autant plus qu’ils ne vivent pas en Hongrie, donc ils ne vivent pas ces problèmes de manière immédiate. Il est très difficile de comprendre au moyen des news si ces personnes sont en effet réfugiés ou quelque chose d’autre. ».
On ne peut dès lors que se demander : en quoi la photo d’une « femme souffrante » habillée par des grands noms de la mode apporterait-elle une valeur ajoutée aux informations rapportées par les médias ? Lancer la mode du « réfugié chic » peut-il vraiment avoir une force subversive capable de provoquer un sursaut d’attention sur une crise humanitaire ?
Le shooting polémique : un phénomène récurrent
Une polémique qui n’est pas sans en rappeler d’autres. La photo de mode semble presque en avoir fait un rituel annuel. En 2014, le photographe de mode indien Raj Shetye avait suscité un scandale pour avoir réalisé un shooting mettant en scène un viol collectif.
Quelques mois auparavant, Vogue Italie publiait des photos de femmes victimes de violences domestiques. En 2013, c’était le magazine pakistanais DIVA qui se trouvait au centre de l’attention pour avoir publié une série photo mode intitulée « Be My Slave » de la photographe Aamna Aqeel. Sur ses images, des enfants noirs en pagne servaient d’esclaves à des femmes richement vêtues. Pour chacune de ces polémiques, photographes et magazines se sont défendus en déclarant avoir voulu lancer ou relancer un débat sociétal.
Il y a un an, en réaction à la série photo mode de Raj Shetye, on pouvait lire sur Konbini : « Pour sortir leur épingle du jeu, certains magazines n’hésitent plus à faire des éditos autour de sujets chocs. ». Ne faudrait-il pas voir, sous couvert d’engagement politique et de solidarité, une nouvelle stratégie douteuse pour élargir son audience ?
Texte original anglais du photographe publié sur son site :
« I usually refuse to deal with political topics, but this situation affects the daily lives of virtually everybody in Hungary.
– Regarding the reactions, I hoped people would realize that the situation is very complex and see that they are taking stands based on partial or biased information. I do not understand how people can take a clear stand (pro or con) while we are flooded with contradictory information through the media, so no one has extensive knowledge of the situation as a whole. This is exactly what we wanted to picture: you see a suffering woman, who is also beautiful and despite her situation, has some high quality pieces of outfit and an smartphone.
– Fortunately, many people have grabbed the meaning of the material and appreciate it for what it is meant to mean. On the other hand, loads of people react from their viewpoint without trying to understand the meaning of the message. These people find the pictures offending, but we never meant to offend anybody, but rather to draw the attention to the complexity of these people’s problem. During the shooting, we did our best to respect people’s faith and conviction and not to cross certain boundaries.
– The shooting is not intended to glamourize this clearly bad situation, but rather, as said above, to draw the attention to the problem and make people think about it. Artists around the world regularly attract the public’s attention to current problems through ‘shocking’ installations and pictures. This is another example of such art.
– To people who said I am stupid, I can only say they should examine the problem from different angles, all the more that they do not live in Hungary, so they do not experience it first hand. It is very difficult to understand from the news coverage whether these people are indeed refugees or something else. »
[…] As Nathalie Hof observed in the online journal OAI13, the images that attracted the most attention showed the model, Monika Jablonczky, pausing to […]
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