La collection est un univers assez opaque pour ceux qui n’y sont pas familier. Pourquoi acheter des œuvres ? Comment les choisit-on ? Où les trouve-t-on ? Sophie Cavaliero est une collectionneuse d’art japonais qui se passionne pour la photographie depuis 6 ans. À la veille de l’ouverture de la foire internationale de photographie Paris Photo, elle nous raconte son histoire avec la collection de photographie.
| Interview par Molly Benn
Tomoko Sawada
► ► ► Cet article fait partie du dossier : Acheter de la photo, mais pour quoi faire ?
OAI13 : Quelles sont les premières photos que tu as achetées ?
Sophie Cavaliero : Je suis d’abord collectionneuse d’art. À l’origine j’achetais du dessin et de la peinture. Un jour, j’ai découvert le travail de l’artiste Tomoko Sawada qui se sert de la photographie comme medium. Elle travaille essentiellement sur l’identité. Elle pourrait tout à fait utiliser le dessin ou la peinture mais il se trouve qu’elle aime la photographie. C’est sa démarche qui compte. Alors, quand j’ai acheté cette photo de Tomoko Sawada, je n’ai pas eu le sentiment d’acheter une photographie. Je me suis investie dans un processus artistique. Par contre, je me suis intéressée à la photographie en tant que médium. J’ai été séduite par son potentiel narratif. J’ai alors commencé à acheter des photos qui me racontent des histoires.
Mika Ninagawa
Être collectionneur, ça veut dire quoi ?
Être collectionneur pour moi, c’est vouloir acheter même quand on n’a pas d’argent. La collection c’est une maladie, c’est quelque chose que tu ne peux pas refouler. En général, tu te passionnes pour un sujet et tu as envie de le posséder. Tu peux tout collectionner : des pipes, des timbres, des bouchons. Mais quand tu collectionnes de l’art, je crois qu’il y a une sorte de dimension d’éternité qui se dégage. Tu as un sentiment d’existence quand tu acquiers une œuvre.
Parce que tu te sentirai exister à travers les photos que tu achètes ?
J’essaye de retrouver dans l’art des choses qui sont importantes pour moi et que je laisserai derrière moi. Certaines personnes créent, d’autres collectionnent.
Es-tu obligé de réfléchir à un ensemble quand tu veux devenir collectionneur ?
Oui, je pense qu’il ne faut pas collectionner n’importe comment. Il existe des acheteurs compulsifs qui achètent n’importe quoi. Mais je crois que les vrais collectionneurs se fixent des règles. Par contre, dans le cadre de ces règles, ils font absolument ce qu’ils veulent. Moi, par exemple, je me suis fixée comme limite de ne collectionner que l’art japonais. Et au sein de ce cadre, je me concentre essentiellement sur du figuratif.
Comment définis-tu cette ligne de conduite ?
Je pense qu’elle arrive assez rapidement dès que tu es conscient de ce qui ne te plait pas. Cette ligne se dessine dans les premiers achats. Après, il y a des collectionneurs qui achètent avec leurs oreilles, c’est-à-dire qu’il se font conseiller. Personnellement, c’est quelque chose qu’il m’est impossible d’envisager. Les premières œuvres que j’ai achetée m’ont envoyées des signaux très forts avant que je passe le pas. Et aujourd’hui, elles continuent de me parler dans ma vie de tous les jours.
Eiki Mori
Tu vis donc avec tes images ?
Oui, tout à fait. Je n’achète que des œuvres qui me parlent dans la vie quotidienne. L’acte d’achat n’est jamais inconscient. Je vais toujours vers des problématiques ou des questions qui me taraudent. Par exemple, j’ai acheté une peinture où l’on voit un ballon qui s’élève dans les airs avec une couronne d’épines. J’ai fait cet achat à une période où l’on s’interrogeait avec mon mari sur le choix de religion pour nos enfants.
Tu envisages la collection comme un journal intime…
Oui. Tout en sachant que l’interprétation que je me fais des œuvres n’est pas forcément dans la lignée de ce qu’a imaginé l’artiste. Mais ça fait partie du jeu. À partir du moment où l’artiste vend ses œuvres, elles appartiennent un peu au collectionneur quelque part.
Hiromi Kakimoto
Est-ce que tu te sens créateur quand tu achètes ?
Le mot créateur serait fort, mais on a tout de même le sentiment de participer à la création dans la mesure où l’on soutient les artistes en achetant leurs œuvres. Il y a certains artistes que je ne connais pas. Mais quand la rencontre se fait, l’achat constitue un véritable acte de soutien du créateur.
Serais-tu mécène ?
La collection est une forme de mécénat. Si on n’achète pas les artistes, comment vont-ils vivre ? On critique souvent le marché de l’art mais il est nécessaire pour que la création se fasse. Il y a toujours un rapport ambigu entre le photographe et la personne qui achète son travail à cause de ce lien autour de l’argent. Mais je crois qu’il existe aussi un vrai rapport de reconnaissance par rapport à l’artiste.
Quand tu as commencé à collectionner la photo, est ce que tu as un intérêt particulier qui s’est développé pour la photographie par rapport au reste de tes achats ?
La photographie est plus proche de l’actualité et de la vie de tous les jours que d’autres arts. Il y a une accessibilité du médium qui fait que tu achètes plus facilement de la photographie. Et puis, il y a aussi la question du prix. Je n’ai pas de très hauts budgets et en photographie je peux tout de même acheter des œuvres à des prix accessibles.
Kazuyoshi Usui
Qu’est-ce qu’un prix accessible ?
Pour moi, c’est 500 euros. Tu peux acquérir une très belle œuvre photographique pour 500 euros. Alors que si tu vas sur le dessin ou la peinture, tu ne trouves pas grand chose à 500 euros. Mais c’est pas parce que c’est moins cher que tu achète de la photo. Simplement, la décision est moins difficile à prendre. Quand je vois un beau dessin pour 1600 euros je réfléchis. Il faudra que j’économise, que je choisisse le moment pour l’acheter… Mais si je vois une belle photo à 500 euros et que j’ai 300 euros, il me sera plus aisé de trouver les 200 euros manquants. Maintenant, il existe de la photographie très chère, mais ce n’est pas le type de photographie vers lequel je vais.
Pourquoi ?
Parce que souvent ce qui justifie le prix c’est le nom. Et je n’ai pas envie d’acheter un nom pour un nom.
Alors tu te places plutôt sur de la photographie émergente ?
Non pas vraiment. Tomoko Sawada, quand j’ai acheté une de ses œuvres, elle commençait déjà à être connue. Soit je suis sur des artistes confirmés qui sont encore accessibles pour mon budget et que j’ai vraiment envie d’avoir dans ma collection. Soit je vais sur des photographes émergents dont je crois au potentiel. Par exemple, Daisuke Yokota, quand je l’ai acheté il était vraiment très accessible.
Daisuke Yokota
Tu as combien d’œuvres ?
Environ 80. J’ai commencé à collectionner la photo assez tard, il y a six ans. Mais je pense que je ne m’arrêterai plus. C’est un médium qui est proche de notre vie. Dans l’art contemporain, je suis lassée. Ce domaine est devenu complètement inaccessible. Il y a cinq ou six ans, je pouvais acheter des œuvres à la Fiac. Aujourd’hui je ne peux plus. Il n’y a presque que des vieux artistes, voire des artistes morts, ou alors des très connus mais qui ne sont envisageables que pour les gens très riches. Il y a un effet très fort du marché de l’art qui va vers la collection de statut social et ça peut être très lassant.
Tu pense que la collection devrait être plus accessible ?
Tout à fait. Je suis certaine qu’il y a plein de gens qui pourraient aimer la collection d’art. Mais ces dernières années, plutôt que de se démocratiser, elle a tendance à devenir de plus en plus élitiste.
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