Exposé par la galerie Dirk K. Bakker Boeken à Paris Photo, Hans Eijkelboom était présent aux dernières Rencontres d’Arles, où plusieurs de ses séries faisaient partie de l’exposition « Small Universe » conçue par Erik Kessels (artiste, collectionneur et curateur) autour de la photographie néerlandaise. C’est un homme grand et élégant qui est venu nous retrouver, le regard constamment en alerte sur ce qu’il se passait autour de lui. Pour OAI13, il est revenu sur certains des travaux qui ont marqué son œuvre et sur son évolution. Interview à deux voix.
© Hans Eijkelboom – Série : Identity
| Par Carole Coen | Interview par Carole Coen et Nathalie Hof
Hans Eijkelboom est néerlandais. Depuis les années 1970, il interroge la notion d’identité : comment elle se façonne, comment elle évolue, quels rapports elle entretient avec notre environnement immédiat et la société dans laquelle nous vivons. Depuis quelques années, son travail s’attache à témoigner des effets de la mondialisation sur notre façon d’être et d’apparaître aux autres. Fin observateur, il traite ces questions à travers des séries « typologiques » qui tiennent à la fois de la sociologie et de l’anthropologie.
© Hans Eijkelboom – Série : Identity
OAI13 : Vous êtes le principal sujet de beaucoup de vos travaux. Pourquoi ?
Hans Eijkelboom : Pour faire de la photographie, on a toujours besoin de travailler avec quelqu’un, et il est très facile de travailler avec soi. Mais quand j’apparais dans mes photographies, ce n’est jamais d’ordre privé. Ce qui m’intéresse, c’est la question de l’identité : chaque enfant, chaque jeune homme et chaque jeune femme cherche désespérément à savoir qui il ou elle est.
Certaines séries font penser à une forme d’expérimentation…
Non, ce n’est pas une expérimentation. Il s’agit plus d’une prise de conscience que l’identité est quelque chose d’essentiel dans la vie de chacun, et j’essaie de montrer qu’elle peut prendre de nombreuses formes différentes.
Dans ma série Identity réalisée en 1973 par exemple, j’ai demandé à d’anciens camarades de classe avec lesquels j’ai perdu tout contact d’imaginer mon métier actuel et d’expliquer pourquoi. Ce qui en ressort, c’est qu’ils avaient déjà une idée assez claire de qui j’étais. Quelqu’un m’imaginait pilote. En plus des métiers liés à la nature ou le social, c’est la situation dans laquelle je me reconnais le plus parce qu’à 16 ans, j’étais très impliqué dans le pilotage d’avion. Ma vie a changé par la suite, mais c’était une possibilité identitaire que j’aurais pu incarner.
© Hans Eijkelboom – Série : In the Newspaper
En 1973, votre travail In the Newspaper consistait à faire en sorte d’apparaître pendant 10 jours dans l’une des photos du quotidien d’un petite ville. Expliquez-nous cette série.
Les médias prennent une place importante dans la vie de chacun — radio, TV, journaux… —, et nous sommes sans cesse en train de chercher notre relation à l’information. Vous pouvez tout à fait lire une info dans un journal et penser : « Oh, mais je n’ai rien à voir avec ce qu’il se passe là-dedans. » Mais la frontière entre l’extérieur du journal — c’est-à-dire le moment où vous n’êtes pas personnellement concerné — et l’intérieur du journal est très mince. A cette époque, je vivais dans une toute petite ville de Hollande, et il était tout à fait possible de se promener dans la ville, d’assister à un événement et de se retrouver dans le journal. C’est à la portée de tout le monde, et cela donne un autre regard sur l’information. Car chacun d’entre nous peut, à un moment précis, être concerné, accéder à un statut plus ou moins partiel de célébrité.
© Hans Eijkelboom – Série : In the Newspaper
© Hans Eijkelboom – Série : In the Newspaper
Comment votre travail a-t-il évolué ?
Lorsque j’étais jeune, je m’intéressais surtout à ma propre identité. Aujourd’hui, je travaille sur l’identité au sein de la société en général. Je travaille sur les formes qu’elle prend actuellement et que je connais encore mal. Les questions sont les mêmes — comment trouver son identité propre et sa place dans la vie —, mais elles se manifestent autrement. Dans la société hyper-capitaliste qui est devenue la nôtre, il est absolument nécessaire, pour son fonctionnement, que nous achetions des choses, que nous soyons des consommateurs et à mon avis, cela empiète sur notre identité. Nous sommes des consommateurs dans toujours plus de situations. Il y a 40 ans c’était déjà le cas, mais cela ne cesse d’empirer.
Dans quel sens ?
Il y a de moins en moins de différenciation et cela va au-delà des vêtements. Cela va jusqu’à son rôle en soi. Vous allez dans une ville et vous n’y voyez qu’une forme. Des personnes différenciées, il y en a beaucoup moins. Il y a 20 ans, cette uniformisation était moins marquée, il y avait plus de singularités.
© Hans Eijkelboom – Série : Euro Outfits
© Hans Eijkelboom – Série : Euro Outfits
Il y a une certaine forme d’humour dans votre travail…
C’est très étrange que vous disiez cela parce que pour moi, cela ne commence jamais par l’humour. Certes il y en a dans mon travail et les gens le voient, mais mon travail n’est pas une blague. C’est le cas par exemple pour celui sur les tenues à 10 €. Il y a peut-être un côté drôle, je le vois aussi désormais, mais quand j’ai commencé cette série, c’était un travail très intensif et très sérieux ! Il est très curieux que dans le processus de réalisation d’un travail, je ne pense jamais à cet aspect-là, et lorsqu’il est terminé, je me rends compte qu’on peut aussi en rire. Mon travail est très politique. Mais je me réjouis qu’on y perçoive de l’humour, parce que c’est un merveilleux moyen de communiquer avec les gens.
En quoi votre travail est-il politique ?
Je vois mon travail comme quelque chose de politique, mais le terme n’est peut-être pas tout à fait celui-là : mon travail est relié à des processus humains très généraux. Et le résultat de ces processus conditionne l’apparence visuelle de notre culture, et par là-même nos relations mutuelles et notre bien-être. Et ça, c’est l’essence même de la politique.
© Hans Eijkelboom – Série : Photonotes
Vous venez de sortir un livre,Hommes du XXIe siècle, chez Phaïdon. Parlez-nous de ce travail et de sa genèse.
Ce livre présente un travail en cours sur les “thèmes” : je me rends dans une ville et j’en choisis un — un sac rouge, des chaussures pointues, un t-shirt avec un logo —, puis je photographie les gens. Mais il découle surtout de mes Photonotes : le 8 novembre 1992, j’ai commencé un journal photographique. Pour ce journal, je prends entre 1 et 80 photos par jour, presque chaque jour, 12 mois par an. Des photos de choses et d’événements que je rencontre dans mon quotidien. Je n’utilise pas ce journal pour montrer ce qui se passe dans ma vie, mais comme une méthode pour visualiser le développement de ma vision du monde.
C’est un processus lent et continu : goutte à goutte, à travers des expériences répétées quotidiennement et des observations, il se forme comme des stalagmites et des stalactites dans une grotte. Ce paysage intérieur reste invisible. Je ne peux qu’être le gardien de mes yeux, de la porte d’entrée, et fixer avec l’appareil les quelques images qui franchissent cette porte. Vues séparément, les photographies ne paraissent pas spécifiquement associées à l’histoire d’une personne. Ce sont plutôt des images qui peuvent correspondre à la vie de tout être humain. Ce n’est que dans leur combinaison et leur répétition, qui sont exclusivement liés à ma vie, que ces photographies rendent visibles des moments qui ont pu jouer un rôle dans le développement de ma vision du monde.
© Hans Eijkelboom – Série : Photonotes
© Hans Eijkelboom – Série : Photonotes
Hans Eijkelboom, à Paris, en Novembre 2014
Paris Photo, du 13 au 16 novembre au Grand Palais
Hans Eijkelboom est exposé par la galerie Dirk K. Bakker Boeken, stand EE17.
www.parisphoto.com
Exposition – Hommes du XXIe siècle
Jusqu’au 28 novembre chez Colette, 213, rue Saint-Honoré Paris 1er
Vernissage, rencontre et dédicace en présence de Hans Eijkelboom et Erik Kessels le 13 nov à 17 h.
www.colette.fr
Livre – Hommes du XXIe siècle
Phaidon, 29,95 €.
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